Le nouveau fascisme en Europe
Publié le 16 Décembre 2017
Le Front National accède au second tour des élections présidentielles de 2017 dans l’indifférence. L’extrême droite semble se banaliser en France. Dans de nombreux pays d’Europe, des partis fascistes ne cessent de progresser au niveau électoral. Surtout, leurs idées se répandent. Les gouvernements imposent un racisme d’État accompagné de lois sécuritaires. Les médias ne cessent de répandre un racisme anti-musulman. Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo analysent cette montée de l’extrême droite dans le livre Temps obscurs.
Le développement du nationalisme s’explique notamment par l’aggravation de la crise économique depuis 2008. Les États ont largement financé les banques pour secourir un capitalisme au bord du gouffre. La crise financière débouche alors vers une crise de la dette des États. Les gouvernements mettent en œuvre des politiques d’austérité pour diminuer les dépenses publiques. Des réformes diminuent le salaire indirect (retraites, assurance chômage et maladie). Ce qui permet au patronat de maintenir ses profits dans une période de faible croissance.
Ensuite, la droite et la gauche mènent des politiques similaires depuis le tournant néolibéral des années 1980. La politique de François Hollande, entre Loi Travail et état d’urgence, relève davantage de la droite la plus conservatrice que de la gauche social-démocrate. Un véritable « parti du capital » applique des politiques d’austérité dans tous les pays d’Europe.
De nouvelles forces politiques émergent face à cette situation. Une social-démocratie radicale est incarnée par Podemos en Espagne ou par la France insoumise. Son programme repose sur des politiques keynésiennes de relance de la consommation. Mais dans un contexte de crise et de patronat à l’offensive, cette perspective semble illusoire comme le montre la rapide capitulation de Syriza en Grèce. L’extrême droite se présente également comme une force politique alternative. Son programme repose sur une gestion nationaliste du capitalisme masquée sous un vernis social. Ce projet s’accompagne de politiques autoritaires pour étouffer la contestation.
De nombreux travaux universitaires et journalistiques évoquent le fascisme. Mais la plupart élude l’analyse en termes de classe sociale. Le nationalisme ne se limite pas à une simple politique de terreur. Il permet de rétablir l’ordre pour permettre à l’économie de prospérer. Ensuite, le fascisme s’appuie sur les classes dominantes avec la bourgeoisie, les grands propriétaires terriens, l’Église et l’armée.
Un retour sur l’histoire du fascisme permet de comprendre la situation actuelle. C’est dans les milieux antisémites français que les idées fascistes émergent. Des milices anti-ouvrières s’organisent en Italie dans les années 1920 pour permettre la construction du premier parti fasciste. En Allemagne, le nazisme est également issu des Corps Francs qui ont participé à la répression de la révolte spartakiste de 1919.
Le fascisme s’appuie sur une forte propagande pour manipuler les masses et glorifier le chef. Mais la répression et la censure restent les meilleurs moyens pour maintenir l’ordre. Le fascisme détourne la colère populaire. Il refuse de s’attaquer à la bourgeoisie et désigne alors un ennemi intérieur : le Juif. Le fascisme s’attache également à revaloriser le rôle de l’armée. La violence devient centrale dans sa politique.
Le fascisme n’est pas uniquement un problème moral. Il reste lié à l’ordre économique et social. L’historien Daniel Guérin montre le lien entre fascisme et capitalisme. La bourgeoisie soutient et finance le fascisme. Pire, les partis d’extrême droite accèdent au pouvoir grâce au soutien des politiciens. Le fascisme est donc le produit de la démocratie parlementaire.
Une fois au pouvoir, les partis fascistes répriment le mouvement ouvrier. Ils valorisent la collaboration entre patrons et salariés. Ce qui permet une diminution des salaires. Cette gestion du capitalisme s’accompagne d’une politique de réarmement et de relance industrielle. Le fascisme est soutenu par différentes classes sociales. Il s’oppose à la lutte des classes qu’il remplace par le corporatisme. Les fascistes sont surtout soutenus par les petits patrons, commerçants et artisans. Le fascisme apparaît comme une gestion alternative du capitalisme dans un contexte de crise sociale. Il s’accompagne d’un régime autoritaire et du culte du chef.
L’extrême droite se développe fortement depuis la crise économique de 2008. Les mesures d’austérité et les politiques des gouvernements sont impopulaires. Mais l’opposition à ces réformes reste engluée dans l’altermondialisme. La gauche radicale se contente d’un discours réformiste et légaliste qui ne prend pas la mesure du rapport de force face aux institutions. Cette situation laisse le champ libre à l’extrême droite qui valorise le capitalisme national et dénonce les personnes musulmanes.
Les partis électoralistes xénophobes sont liés au fascisme de rue. Des groupuscules agitent le folklore traditionnel du fascisme. Ces sectes jouent le rôle de milice, comme avec les attaques contre les migrants de Calais. Mais leur discours ouvertement raciste ne leur permet pas d’atteindre une forte audience populaire. En revanche, des partis xénophobes parviennent à se développer. Ils abandonnent le folklore fasciste mais diffusent un discours raciste et homophobe. Ils peuvent participer à des coalitions de gouvernement mais ne sont parvenus à accéder au pouvoir à eux seuls.
Le programme économique de l’extrême droite vise à épurer le prolétariat. Le chômage est attribué au trop grand nombre de personnes sur le marché de l’emploi. La préférence nationale doit donc préserver la protection sociale et le travail aux « français de souche ». Les immigrés en sont alors exclus. Ces mesures visent à provoquer d’importants changements sans remettre en cause la bourgeoisie et les mesures d’austérité.
Malgré sa quête de respectabilité, l’extrême droite préserve une idéologie fasciste. Le racisme structure l’ensemble de son discours politique. Ensuite, ces partis se veulent anti-système et manipulent une rhétorique complotiste contre l’oligarchie ou la finance. Mais le racisme ethnique est remplacé par un racisme identitaire et culturel qui dénonce l’islamisation de la société.
L’extrême droite parvient à s’implanter localement. La mairie d’Hénin-Baumont apparaît comme un laboratoire modèle, avec une communication lisse. Mais le Front National pratique une diminution des dépenses publiques et la chasse aux Roms. Inversement, la mairie de Béziers dirigée par le journaliste Robert Ménard privilégie une communication ouvertement provocatrice pour alimenter le buzz. Mais la politique reste la même. Les effets d’annonce ne sont heureusement pas suivis des faits. Mais la mairie diminue les aides aux organismes sociaux et aux associations. Le phénomène des « Voisins vigilants » s’accompagne de la création de milices. L’extrême droite valorise ce type de groupe qui peut exercer la violence, comme des supplétifs de la police.
Un des axes de l’extrême droite devient la critique de l’Union européenne. Ces partis ne critiquent pas les politiques libérales menées par la bourgeoisie à l’échelle européenne. Ils revendiquent simplement que ces mêmes politiques soient organisées uniquement à l’échelle de l’État-nation. Cette approche souverainiste peut rejoindre le nationalisme de gauche portée par une social-démocratie radicalisée. Le retour à l’État-nation doit alors permettre de réguler davantage l’économie à travers des politiques keynésiennes de relance par la consommation, à l’image des Trente glorieuses.
Le chef de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon, les économistes Frédéric Lordon et Jacques Sapir, le journal Le Monde diplomatique, Syriza et Unité Populaire en Grèce, des courants de Podemos en Espagne défendent cette politique. L’extrême droite entretient la confusion avec ce courant. Malgré un vernis social et anti-austérité, l’extrême droite rejette l’Europe avant tout pour un repli nationaliste et xénophobe.
Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo insistent sur la réalité du danger fasciste et sur l’importance de le combattre. Mais ils reconnaissent également que l’extrême droite est agitée pour favoriser le vote pour le Parti socialiste. Le fascisme à l’ancienne reste marginal et semble éloigné du pouvoir, même en Grèce et en Hongrie. Pourtant, le fascisme de rue resurgit avec des mouvements sociaux de droite comme la Manif pour Tous. Ces moments permettent aux fascistes de recruter et de radicaliser les manifestants. Jour de colère devient même une manifestation ouvertement fasciste. Les médias sociaux permettent également à cette mouvance d’étendre son influence avec des sites comme Égalité et réconciliation et la sphère Dieudonné.
Les partis d’extrême droite abandonnent la violence de rue mais semblent plus dangereux en raison de leur influence politique. Ils ont réussit à imposer les questions de l’immigration et de l’insécurité comme centrales dans le débat public. Ils diffusent également un racisme anti-musulman. Ensuite, l’extrême droite influence également les politiques publiques. Des mesures du programme du Front national de 2002 sont désormais appliquées en France. Le gouvernement de gauche a même proposé une déchéance de nationalité et imposé un durcissement raciste et sécuritaire à travers l’état d’urgence.
Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo insistent sur l’antifascisme comme une lutte spécifique et séparée. Mais ils constatent également l’échec historique des fronts antifascistes larges qui s’alignent sur une ligne réformiste. Ils observent également que l’antifascisme actuel se place souvent dans le cadre de la légalité bourgeoise. L’auto-défense populaire n’est pas valorisée, alors qu’elle reste le principal rempart au fascisme. Mais l’antifascisme « radical » sombre également dans le folklore gauchiste et la marginalité.
Le livre Temps obscurs propose un éclairage pertinent qui permet de mieux comprendre la montée de l’extrême droite et les enjeux de la période. L’analyse du fascisme apporte de précieuses clarifications. Le retour historique permet de bien comprendre les spécificités du fascisme, mais aussi son évolution. Le rôle de milices anti-ouvrières est bien souligné. Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo insistent également sur la dimension de classe du fascisme. Loin d’un antiracisme moral, cette grille d’analyse ouvre de véritables perspectives de lutte.
Le fascisme apparaît comme une alliance de classe entre la haute bourgeoisie au pouvoir, la bourgeoisie, la petite bourgeoisie commerçante et une partie des classes populaires. Pour combattre la montée du racisme, il devient alors indispensable de s’appuyer sur les classes populaires. L’extrême droite brouille les clivages et masque son libéralisme économique. Il semble important de démasquer cette imposture.
En revanche, Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo occultent la dimension émotionnelle du fascisme observée par Wilhelm Reich. Leur approche se situe uniquement au niveau rationnel et économique. Mais le fascisme comporte également une dimension psychologique et irrationnelle. La personnalité autoritaire reste façonnée par la famille, l’éducation et l'ordre moral. La communication de l’extrême droite sur les médias numériques s’appuie fortement sur cette dimension irrationnelle et autoritaire.
Ensuite, Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo semblent tiraillés entre deux approches. Ils défendent l’antifascisme comme une lutte spécifique. Ils soulignent pourtant les nombreux écueils de cettte approche. La séparation des luttes, avec ses multiples collectifs spécialisés, ne permettent pas une approche globale des problèmes. L’analyse de classe disparaît au profit de problèmes précis observés de manière partielle. Le modèle de l’Action antifasciste allemande reflète cette limite et participe à une fragmentation des luttes, au détriment de la lutte des classes.
Mais Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo insistent également sur l’importance de l’antifascisme de classe. La lutte contre le fascisme n’est qu’un des aspects de la lutte contre le capitalisme et l’État. « Ainsi, ce n’est qu’en construisant des mouvements anticapitalistes et révolutionnaires que nous pouvons avoir la capacité d’être suffisamment nombreux et nombreuses pour s’opposer au péril de l’extrême droite », soulignent Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo. Le mouvement de 2016 contre la Loi travail permet d’ailleurs un retour des enjeux sociaux pour balayer les débats racistes et sécuritaires qui colonisent le débat public. C’est effectivement à travers les révoltes sociales importantes et la solidarité de classe que le nationalisme peut être combattu.
Source : Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo, Temps obscurs. Nationalisme et fascisme en France et en Europe, Acratie, 2017
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