Mouvement contre le pass sanitaire : édito n°48
Publié le 22 Septembre 2021
Il n'y a que les anarchistes et les gauchistes pour croire religieusement la parole de l'État en matière de santé. Amiante, sang contaminé, médiator, OGM, pesticides et chlordécone aux Antilles, et dernièrement masques et lits d'hôpitaux supprimés. Le mensonge d'État est devenu la norme en matière de santé. Tous ces problèmes n'ont rien à voir entre eux, et encore moins avec le vaccin. Mais le doute d'une partie de la population semble compréhensible. Bien plus que les leçons de morale et la vaccination par la force.
Surtout quand le pass sanitaire s'accompagne des réformes chômage et retraites. Difficile de croire que Macron est un ami qui nous veut du bien. Il est d'ailleurs savoureux de constater que notre belle gauche inclusive, intersectionnelle et décoloniale passe désormais son temps à traiter les quartiers populaires et les Antilles de réactionnaires complotistes et arriérés. Le tout sous couvert d'antifascisme, qui consiste toujours autant à défendre l'ordre bourgeois face à une peste brune fantasmée.Du côté du pouvoir et des médias, c'est évidemment le mépris de classe qui prédomine. Le pass sanitaire s'inscrit clairement dans le prolongement des politiques sécuritaires qui visent à renforcer le contrôle social et le flicage.
C'est dans ce contexte explosif qu'éclate un mouvement spontané contre le pass sanitaire. Un mouvement hétéroclite. De nombreuses personnes descendent dans la rue pour la première fois. Les partis et syndicats sont absents. Ce qui donne une potentialité explosive à un mouvement délesté des appels à la démobilisation et de l'encadrement bureaucratique.
Cependant, des petits chefs émergent. Ce sont souvent des personnages aussi mégalos que loufoques. Ils proviennent d'une mouvance écolo-bobo plus ou moins fascisante. On retrouve des coach en développement personnel, des naturopathes, des kinés profs de fitness, des hypnothérapeutes et autres escrocs à la petite semaine dans le secteur du bien-être bio-local. Gym tonique, quinoa et smoothie comme alternatives au vaccin. De quoi rigoler un peu plus qu'avec les bureaucrates de la CGT. Les manœuvres de pacification en collaboration avec la préfecture apparaissent trop grossières. Même si les manifestations restent moins sauvages et déterminées que les irruptions des Gilets jaunes.
Avec la déférence aux institutions et aux petits chefs, c'est la composition sociale du mouvement anti-pass qui diffère avec celle des Gilets jaunes. Toute une nouvelle population apparaît. Des personnes en chemises blanches, un pacifisme de classe moyenne, avec sit-in devant des barrages de police. La revendication de "Liberté" semble suffisamment confuse pour attirer un public bigarré. La volonté de maintenir un mouvement unitaire et le refus de tout clivage se retrouve, comme chez les Gilets jaunes. Mais faire communauté semble plus facile quand on partage le même langage, les mêmes expériences de vie, les mêmes galères et le même quotidien. C'est plus difficile de communier avec une petite bourgeoisie qui se désintéresse ouvertement des revendications sociales.
Mais le mouvement anti-pass comprend aussi une forte composante prolétaire. Les Gilets jaunes sont d'ailleurs présents en nombre. Des soignantes et des employés de commerce participent également au mouvement. Les salariés de la santé et du social semblent particulièrement menacés par des sanctions disciplinaires. C'est d'ailleurs dans le rapport d'exploitation que se joue le mouvement. Au-delà des manifs, des grèves éclatent dans les hôpitaux. Des actions peuvent également se lancer contre les ARS ou les directions d'entreprise qui menacent des salariés au prétexte d'obligation vaccinale. Ce type d'actions s'inscrit alors clairement dans une lutte sociale.
Cependant, ce mouvement semble n'ouvrir aucune perspective nouvelle. Le retour à "la vie normale" reste l'objectif le mieux partagé. Les manifestations remettent en cause le pass sanitaire, mais beaucoup moins le pass monétaire. Beaucoup d'anti-pass s'en remettent à de pseudo scientifiques plus ou moins burlesques, en lien avec une idéologie anti-vax qui baigne dans une bouillie complotiste. Le discours des soignants sur leur dégradation des conditions de travail reste largement consensuel. Mais il semble parasité par une mouvance qui adopte une posture paranoïaque qui donne l'image d'un mouvement enfermé dans une marginalité à coups de scientifiques délirants.
Les grands débats génético-virologiques font rage, autant que sur les plateaux des chaînes infos. En revanche, il ne se dégage pas une analyse globale de la crise sanitaire remise dans le contexte de sociétés capitalistes. Surtout, le mouvement anti-pass n'est pas aussi sauvage que celui des Gilets jaunes. Pour l'instant, il reste respectueux de la légalité et semble peu tourné vers des pratiques de blocage et d'actions directes. Les GJ se vivent comme le peuple qui se révolte de manière légitime face à un régime discrédité. Les anti-pass les plus douteux s'enferment dans une posture minoritaire d'une prétendue avant-garde qui méprise un peuple de "moutons" puçés et vaccinés.
Même si cet épisode permet de montrer la capacité de mobilisation et les potentialités des mouvements spontanés. Mais il doit désormais s'élargir pour remettre en cause les politiques sécuritaires et les réformes anti-sociales. Il peut montrer sa puissance si les mises à pied des soignants sont levées à travers des actions collectives.
Sommaire édito n°48 :
Commémoration de la Commune
Stratégies révolutionnaires
Karl Marx et les révolutions du XIXe
Etienne Balibar face à l'histoire
Erik Olin Wright et les stratégies anticapitalistes
Basculements et stratégies post-capitalistes
Underground à la française
Alain Pacadis et la contre-culture
Culture rock
Culture rock et domination de genre