Littérature contre la Commune

Publié le 22 Juillet 2021

Littérature contre la Commune
Les moments de révolte comme la Commune de Paris permettent de montrer le vrai visage des écrivains de référence dans la culture scolaire. Il est de bon ton de pleurer sur le sort des miséreux, mais jamais jusqu'à les soutenir quand ils veulent reprendre leur vie en main par la lutte collective. 

 

Les révolutions sociales peuvent être violemment écrasées, mais elles provoquent toujours la peur de la bourgeoisie. Le 18 mars 1871 commence la Commune de Paris. 30 000 personnes sont massacrées en moins de huit jours. L’ordre social s’est senti menacé et ébranlé. L’opinion bourgeoise se venge de la peur qu’elle a éprouvée à travers des accusations hystériques et des violences de langage contre les communards.

Dans cette attaque, les hommes de lettres occupent une place de choix. Durant ce moment insurrectionnel, les écrivains abandonnent la réserve et les précautions qu’ils adoptent en temps ordinaire. La pensée profonde de cette petite bourgeoisie intellectuelle jaillit de manière claire. La littérature anticommunarde révèle la personnalité et les idées de nombreux écrivains glorifiés par l’école de la République. Paul Lidsky démonte les mécanismes de cette littérature réactionnaire dans son livre Les écrivains contre la Commune.

 

                                              Les écrivains contre la Commune - Suivi de Les artistes pour la Commune - Couverture

 

Dénonciation de la Commune

 

L’homme de lettres se doit de réagir face à un événement historique comme une révolte qui remet en cause toute l’organisation sociale. L’écrivain intervient en tant que membre d’une classe sociale de par sa naissance, son mode de vie et ses idées politiques. Il réagit également en tant qu’artiste qui développe sa propre vision de la société.

Les écrivains soutiennent majoritairement la révolution de 1848. Mais ils expriment leur mépris pour les masses populaires qui refusent de voir les hommes de lettres comme une avant-garde éclairée. Les écrivains sont déçus mais surtout effrayés par le mouvement autonome du prolétariat. Ils défendent un changement de gouvernement, mais ils ne veulent pas d’une révolution qui remet en cause l’ordre social. Les écrivains sentent leurs intérêts matériels menacés. Les écrivains se réfugient alors dans l’art pour l’art. En 1852, l’instauration de l’Empire, avec la limitation de la liberté d’expression, renforce cette tendance.

Les écrivains développent une critique des bourgeois inspirée des milieux aristocratiques. Les hommes de lettres ne critiquent pas le capitaliste qui défend ses intérêts de classe. Ils se contentent d’opposer le poète au bourgeois conformiste et vulgaire. Mais cette dénonciation de la bourgeoisie reste superficielle et ne débouche pas vers un soutien aux révoltes populaires. Les écrivains méprisent la populace, mais aussi la Bohème qui s’apparente à un prolétariat littéraire. Les écrivains s’attachent à une conception élitiste et aristocratique de l’art et de la culture.

 

Dès le soulèvement de la Commune, les écrivains dénoncent la « canaille », la « populace » et les « voyous ». Ils refusent toute forme d’explication politique ou sociale des événements. La Commune apparaît comme une catastrophe d’origine divine. « Ce n’est donc ni une lutte politique, ni une révolution sociale. C’est l’œuvre d’un petit groupe de brigands, de barbares ayant préparé leur coup depuis longtemps, qui ont profité de la surexcitation de la population parisienne provoquée par le siège et la défaite pour s’emparer de la ville et la livrer à l’anarchie », résume Paul Lidsky. Néanmoins, certains écrivains de droite observent la prise de pouvoir de la classe ouvrière pour renverser l’ordre existant. Même si c’est évidemment pour le déplorer.

Les écrivains républicains, comme Catule Mendès ou Emile Zola, soutiennent les débuts de la Commune. Mais ils rejettent les mesures révolutionnaires. La répression sanglante menée par le républicain Adolphe Thiers est accueillie avec soulagement. Les écrivains de droite et de gauche partagent un même mépris pour la population émeutière. Les Communards sont considérés comme des animaux féroces qui veulent détruire tout ordre social et toute forme de civilisation.

Les dirigeants de la Commune sont décrits comme des fous, des incapables et des ambitieux. Ils sont considérés comme des bourgeois déclassés et assoiffés de revanche. Les artistes sont particulièrement attaqués. Ces dirigeants entraînent derrière eux des ouvriers ivres, paresseux et qui recherchent la jouissance. Les femmes sont décrites comme des fanatiques et des dépravées qui recherchent la satisfaction de leur appétit sexuel. Les écrivains réduisent l’œuvre de la Commune à des orgies, des pillages et des incendies. Ils s’opposent aux mesures sociales.

 

          

 

Littérature anticommunarde

 

Une littérature anticommunarde se développe. Même si les révolutions se prêtent davantage au récit épique que les idées réactionnaires. Les écrivains insistent davantage sur les caractères des personnages plutôt que sur leurs idées et sur les événements.

La figure du jeune déclassé est un provincial qui monte à Paris pour réussir. Mais il ne fait que s’enfoncer dans les vices de la capitale. Cet homme est souvent un orphelin car les écrivains veulent montrer l’importance de la famille pour inculquer la morale. Ensuite, ces récits dénoncent l’enseignement, avec son contenu corrupteur. La participation à la Commune devient un moyen de réussir rapidement et permet une revanche face à la bourgeoisie.

De nombreuses œuvres évoquent un ouvrier socialiste, ivrogne, pervers et agitateur. Il est décrit comme un fainéant qui aime la fête et se laisse entraîner pour son « goût de l’émeute ». La révolte semble dénuée de causes sociales. « Il rêvait d’une vie de volupté à bon marché, une belle vie pleine de femmes, de repos sur les divans, de mangeailles et de soûleries », écrit Emile Zola dans Thérèse Raquin. Le voyou est considéré comme pire que le mauvais ouvrier. Il est présenté comme un fainéant qui refuse tout travail et vit dans l’oisiveté. Le communard est alors associé au criminel.

 

La littérature anticommunarde propage des thèmes et des mythes. Des écrivains de l’Académie française se délectent de descriptions d’orgies. La Commune est censée détruire la famille et l’ordre moral. « La Commune, c’est le communisme sexuel, l’union libre et la prostitution universalisée », résume Paul Lidsky. René Maricourt, dans La Commune en l’an 2073, décrit une société dans laquelle les couples sont tirés au sort et les enfants pris en charge par la collectivité. Surtout, l’amour et les sentiments disparaissent. Les individus deviennent de véritables robots soumis à une vie monotone. Contre le communisme amoureux, les écrivains valorisent les ouvriers soumis à leur travail et à la hiérarchie sociale, et qui recherchent leur bonheur uniquement dans la cellule familiale.

La littérature reflète le point de vue de la classe dirigeante. Les écrivains, malgré leur posture artistique d’indépendance, sont financés par un public composé de bourgeois et d’aristocrates. « L’écrivain, malgré ses apparences d’indépendance ou de révolte contre l’ordre bourgeois, est lié fondamentalement, en tant qu’écrivain, à cet ordre qui lui assure sa réussite littéraire », analyse Paul Lidsky. Mais la situation évolue à la fin du XIXe siècle. Le parlementarisme permet d’intégrer la petite bourgeoisie à la classe dirigeante. Surtout, la presse et l’enseignement ouvrent un nouveau public pour la littérature.

Anatole France ou Emile Zola basculent à gauche, sans remettre en cause leur point de vue sur la Commune. Les écrivains versaillais développent des thèmes comme la famille, le travail, le mauvais ouvrier jouisseur, le jeune déraciné, le paysan sage. Ces sujets sont repris par les écrivains d’extrême-droite comme Barrès, Maurras ou Léon Daudet. La violence verbale et la verve polémique des anticommunards se prolongent avec l’antisémitisme et le colonialisme.

 

          La Villette cernée par les troupes versaillaises, mai 1871, Gustave Boulanger, Paris, musée Carnavalet.

 

Analyse de la littérature réactionnaire

 

Le livre de Paul Lidsky reste un classique incontournable, souvent cité. Edwy Plenel évoque ce texte pour décrire le mépris des milieux intellectuels contre le mouvement des Gilets jaunes. La rhétorique anticommunarde et réactionnaire resurgit au moment de différents soulèvements sociaux. La force du livre de Paul Lidsky consiste à croiser l’analyse littéraire des textes et des romans avec l’analyse de classe de la position sociale de ceux qui les écrivent. Une approche qui reste assez rare dans les milieux littéraires qui se contentent de se pencher uniquement sur le style et l’esthétique plutôt que sur le contenu politique et ses implications sociales.

Les écrivains du XIXe siècle s’apparentent à une petite bourgeoisie intellectuelle. Ils sont cultivés et vivent dans un confort relatif. Ce qui les éloigne des classes populaires dont ils n’ont pas de mal à se démarquer. En revanche, les écrivains ne sont pas autant intégrés à la société que les bourgeois. Cependant, Paul Lidsky montre que le lectorat des écrivains du XIXe siècle s’apparente essentiellement à la classe bourgeoise. Si le milieu littéraire se pique d’anticonformisme et de dissidence, il bascule rapidement dans le camp de la bourgeoisie durant les moments insurrectionnels. La position sociale des écrivains explique leurs idées politiques.

 

Ensuite, Paul Lidsky décortique les mécanismes de littérature réactionnaire. Les figures de style sont mises au service d’une idéologie bourgeoise. Kristin Ross évoque également la littérature communarde, de l’autre côté de la barricade. Mais leurs conclusions semblent similaires. La bourgeoisie tolère l’ouvrier qui travaille dur pour nourrir sa famille et qui se plie à une morale irréprochable. L’ouvrier doit être entièrement soumis aux normes imposées et doit intérioriser les contraintes sociales. L’ouvrier robuste et bon travailleur reste valorisé par la bourgeoisie et par les écrivains.

En revanche, la Commune dessine une autre figure de l’ouvrier. Celui qui aime vivre, faire la fête et jouir plutôt que de travailler. Une subtile distinction se dessine d’ailleurs dans ce camp communard. La plupart des ouvriers n’aiment pas travailler, comme tout le monde. Ils pratiquent une résistance passive, comme la grève du zèle. Ils travaillent essentiellement pour survivre, mais préfèrent largement boire et faire la fête.

Cependant, la figure du voyou exprime un refus du travail clairement politique. C’est l’ouvrier qui critique le travail, avec son lot de souffrance et d’exploitation. Il refuse cette vie de misère et lutte pour un monde de jouissance. Cette figure du voyou, plus tard associée à la criminalité, rejoint l’aspiration à transformer le monde pour changer la vie. C’est l’ouvrier communard et révolutionnaire qui inspire le poète Arthur Rimbaud dans ses textes les plus flamboyants.

 

Source : Paul Lidsky, Les écrivains contre la Commune. Suivi de Des artistes pour la Commune, La Découverte, 2021 (Maspéro, 1970)

 

Articles liés :

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Pour aller plus loin :

Vidéo : La Commune vue par les grands écrivains, mise en ligne sur le site Là-bas si j'y suis le 28 mai 2021

Vidéo : Paul Lidsky - Les Écrivains contre la Commune de Paris 1871, mise en ligne le 10 décembre 2017

Nidal Taibi, Flaubert, Zola, Sand.... Quand les écrivains firent bloc contre la Commune de Paris, publié sur le site du magazine Marianne le 9 mars 2021

Un compte rendu de Frédéric Thomas publié sur le site de la revue Dissidences le 20 mars 2021

René Cyrille, Lire : Les écrivains contre la Commune de Paul Lidsky, publié sur le site du journal Lutte ouvrière le 21 janvier 2000

Paul Lagneau-Ymonet, Les écrivains contre la commune, publié dans le journal Le Monde diplomatique en novembre 2010

Francis Pian, Les plumes de la bourgeoisie, publié sur le site Faisons vivre la Commune ! le 22 mars 2021 

Hélène Combis, Les écrivains face à la Commune, publié sur France Culture le 24 mai 2011

Sylvie Triaire, « Pas une ligne pour l’empêcher ». La Commune et l’impossible communauté des écrivains, publié sur le site Fabula le 2 février 2015 

Justine Huppe et Denis Saint-Amand, 1871-2021. De la mémoire des barricades aux imaginaires inflammables, publié sur le site de la revue Contextes 30 en 2021

Vincent Ortiz, La responsabilité de la presse dans la répression de la Commune de Paris, publié sur le site Acrimed le 5 juin 2018

Pierre-Louis Poyau, La mémoire de la Commune ou l’histoire écrite par les vainqueurs, publié sur le site Le Vent se lève le 23 mai 2017 

Marianne Lamiral, La grande peur des bourgeois, publié sur le site du journal Lutte ouvrière le 26 mai 2021

La Commune de 1871, la République et les mensonges, publié sur le site Le comte Lanza vous salue bien le 16 décembre 2016

Ecrire contre la canaille À propos des écrivains et de leur « douloureux problème » avec « le peuple », publié sur le site Les mots sont importants le 17 mars 2021

Publié dans #Histoire des luttes

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