Les origines du punk américain
Publié le 15 Juillet 2021
Le punk américain reste influent sur le monde de la musique pop. Même si le rock’n’roll’ est devenu un produit commercial et marketée. Au contraire, le punk est porté par des loosers, des marginaux, des poètes et des illettrés. Ce courant musical reste longtemps considéré comme sulfureux. Mais il est progressivement digéré et intégré par la culture populaire. Les Ramones ou Iggy Pop sont devenus incontournables.
Au cœur du conformisme des années 1990, les journalistes Legs McNeil & Gilian McCain se replongent dans l’histoire du punk. Ils partent à la rencontre des musiciens et des artistes qui ont façonné cette culture musicale. Ils proposent un livre devenu une référence incontournable avec Please Kill Me.
Emergence du mouvement punk
Le Velvet underground annonce la culture punk américaine. Le groupe de Lou Reed propose un univers de drogue et de sexe qui tranche avec le mode de vie conformiste. Mais cette musique de New York semble plus sombre que le mouvement hippie issu de la Californie. « C’est pour ça que j’ai instantanément adoré la musique du Velvet. Elle parlait de la dure réalité urbaine, de la perversion, du sexe », précise Ronnie Cutrone.
Le MC5 devient le groupe emblématique de la ville de Détroit. Il relie la musique rock à la contestation de la jeunesse. Le MC5 devient légendaire pour être le seul groupe à jouer lors des émeutes de la Convention démocrate à Chicago. Ses musiciens incarnent une révolte instinctive qui aspire à inventer d’autres façons d’être. « Aussi notre programme politique a abouti à drogue, rock’n’roll et baise dans la rue. C’était notre programme politique d’origine, en trois points, qui est plus tard passé à dix points quand on a commencé à se prendre au sérieux », rappelle le guitariste Wayne Kramer.
Le MC5 lance le parti des White Panthers, en hommage au Black Panthers, pour rassembler la jeunesse contestataire issue des classes populaires. « Nous étions la voix des lumpen-hippies, tout comme le parti des Black Panthers était celle du lumpen-prolétariat – à savoir la classe ouvrière sans boulot », précise John Sinclair. Même si ce groupe politique n’est pas pris au sérieux par l’extrême gauche étudiante incarnée par le SDS. Les White Panthers portent une révolte existentielle qui passe surtout par la contre-culture. « C’était l’anarchisme à la sauce Midwest. Faire tomber les murs, virer le gouvernement de nos vies, fumer plein de dope, tirer des tas de coups et faire plein de boucan », décrit Danny Fields.
Le MC5 joue au grand ballroom de Détroit aux côtés d’un autre groupe fondateur de la scène punk. Les Stooges réinventent le rock américain. Iggy Pop apparaît dans un concert avec un collier de chien, et il chante « I wanna be your dog ». Les Stooges apportent un ton provocateur alors que le rock est encore incarné par les Beatles et leurs chansons d’amour. « C’était hyper sexuel, provocateur – c’était tellement illicite. Pour moi, c’était à ça que le rock’n’roll’ devrait toujours aspirer – l’illicite », confie le photographe Leee Childers. Iggy Pop dégage une forte énergie sur scène et chaque concert semble unique.
Les Ramones incarnent cette nouvelle scène punk américaine. Quatre musiciens avec des blousons de cuir noir tranchent avec le look hippie. Le concert devient une explosion de bruit. « Apparemment, ils jouaient tous une chanson différente. Les Ramones ont eu une mini-bagarre sur scène. Ils étaient tous si profondément les uns des autres qu’ils ont jeté leurs guitares au sol et ont sauté de la scène », raconte la journaliste Mary Harron. Les Ramones proposent une musique rapide avec des morceaux courts.
Culture punk
Punk devient le titre d’un magazine. Ce terme désigne un jeune vaurien. Il apparaît notamment dans le livre Junky de William Burroughs. Le mouvement punk se développe à New York, avec la salle de concert du CBGB’s. Le phénomène punk-rock américain reste confiné à quelques salles de concerts. Mais il devient un phénomène populaire en Angleterre. Les Clash, les Damned et les Heartbreakers s’imposent comme des groupes incontournables. Mais les Sex Pistols restent les plus provocateurs. Leurs interventions médiatiques provoquent des scandales. Le punk de New York semble plus artistique et mélancolique tandis que le punk anglais exprime la révolte de la jeunesse. « Les groupes de New York se consacraient davantage à exprimer leur douleur, tandis que les groupes anglais s’occupaient bien davantage de l’expression de leur rage », observe Eliot Kidd.
La chanson « Blank Generation » incarne bien le nouvel esprit du mouvement punk. Après les hippies des années 1960, la fin des années 1970 semble plus sombre. Le reflux des luttes sociales et la montée du chômage limitent les perspectives d’avenir pour la jeunesse. « On n’avait vraiment pas matière à être idéalistes, j’étais complètement dégoutée de la culture hippie. Les gens essayaient de maintenir ces idéaux de paix et d’amour, mais ils avaient perdu toute valeur. C’était aussi l’ère du capitalisme vraiment sauvage, et on n’y croyait vraiment plus », témoigne Mary Harron. La « génération du vide » tranche avec une culture hippie niaise, prude et sentimentale.
Le punk apparaît comme une énergie nouvelle. Mais cette musique refuse de s’inscrire dans une idéologie politique et repose avant tout sur la transgression des normes sociales. « Mais, tu vois, ce qu’il y avait de génial avec le punk, c’est qu’il n’avait pas de programme politique. Ce qui comptait, c’était la liberté réelle, la liberté individuelle. Ce qui comptait, c’était aussi de faire n’importe quoi pourvu que ça choque les adultes. Être aussi choquant que possible, c’est tout », observe le journaliste Legs McNeil.
Le punk accompagne la vie quotidienne, avec des déambulations dans l’East Village dans la nuit. Chanter du punk et donner des coups de pieds dans les poubelles ouvre à l’aventure et à de nouvelles rencontres. « Tu fredonnais ces chansons géniales et tout était possible, et en général ce qui arrivait était plutôt pas mal. Tu emballais une nana. Il t’arrivait une aventure. Tu rentrais dans un délire que tu n’avais jamais expérimenté auparavent », raconte Legs McNeil.
Punk et société américaine
Legs McNeil & Gilian McCain proposent une somme qui fait référence sur le punk américain. Les journalistes baignent dans cette culture punk. Ils fréquentent les musiciens et recueillent leurs propos. Leur livre conserve un style oral et fourmille d’anecdotes. Il peut ravir les fins connaisseurs de punk, mais s'attache surtout d’incarner l’originalité de cet univers. Surtout, Please Kill Me permet d’observer l’évolution de la société américaine à travers la musique.
Le MC5 apparaît comme le groupe qui incarne le mieux la contestation des années 1968. Il exprime une révolte contre le capitalisme, mais aussi contre la société de consommation et son mode de vie conformiste. Cette révolte existentielle est portée par toute une contre-culture. Le sexe, la drogue et le rock’n’roll’ deviennent le seul programme politique. La joie, la fête et le plaisir doivent primer sur les contraintes imposées par la société marchande. Mais, contrairement aux hippies, le MC5 affirme la nécessité d’un affrontement avec le pouvoir et le capitalisme avec la création des White Panthers, en référence à la tendance révolutionnaire du mouvement afro-américain. Le punk ne veut pas s’évader du capitalisme, mais le faire exploser dans une révolte festive et créative.
Dans les années 1970, le reflux des luttes sociales et la crise économique imposent une nouvelle ambiance. Le mouvement hippie, avec son utopie joyeuse, s’est effondré. Le modèle fordiste, incarné par l’industrie automobile de Détroit, rentre en crise. Dans les années 1950 et 1960, les patrons augmentent les salaires pour que leurs ouvriers achètent les voitures qui assemblent sur les chaînes de montage. Mais la crise économique et la montée du chômage ne permettent plus à la classe ouvrière de s’intégrer à la société de consommation. Ce qui ne débouche pas vers des perspectives de rupture révolutionnaire, mais davantage vers l’expression d’une révolte existentielle à travers la culture punk. La musique devient plus sombre et mélancolique.
Le punk américain exprime moins une révolte sociale que le punk anglais. La provocation attaque le royaume et l’ordre moral. Les Sex Pistols ou les Clash remettent en cause ouvertement l’ordre établi. Le groupe Crass se réfère ensuite explicitement à l’anarchisme. Surtout, le punk rentre en phase avec une jeunesse ouvrière anglaise désabusée. Elle refuse la vie à l’usine et n’entrevoit aucune autre perspective que le chômage et la misère. La révolte existentielle se confond avec la révolte sociale contre un modèle d’intégration fordiste à bout de souffle.
Le punk américain semble plus confidentiel. C’est avant tout une culture de la marge, un peu bohème et mélancolique. Le punk exprime l'échec de l'intégration réformiste, mais aussi l'absence de perspectives de lutte. Le punk américain se déploie dans uniquement dans quelques salles de concerts relativement confidentielles. Même si Iggy Pop et les Ramones vont progressivement influencer l’ensemble de la culture populaire.
Source : Legs McNeil & Gilian McCain, Please Kill Me, L’histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs, traduit par Eloïse Esquié, Allia, 2020
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Vidéo : L'Histoire de The Ramones, diffusée le 26 janvier 2012
Vidéo : End of the Century : L'Histoire des Ramones, documentaire de 1994
Vidéo : La femme qui a façonné l'image du punk, diffusée sur Arte le 3 octobre 2019
Radio : Des Sex Pistols aux Pussy Riot, Punks not dead (1/4) - Anarchy in the US : une contre-société américaine, émission diffusée sur France Culture le 9 décembre 2013
Radio : Punk, génération No Future (4 épisodes) Épisode 1 : Aux origines d’un mouvement, documentaire diffusée sur France Culture le15 avril 2019
Radio : Iggy Pop et les Stooges, les sources du punk-rock, émission diffusée sur France Inter le 9 octobre 2019
Radio : Autour des Ramones : aux sources du punk rock américain, émission diffusée sur France Inter le 27 décembre 2016
Revue de presse publiée sur le site des éditions Allia
« Please Kill Me », 20 ans après, publié sur le site Vice le 16 août 2016
Owen le Faucheux, Papier A Musique : Please kill me (l’histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs) de Legs Mc Neil et Gillian Mc Cain, publié sur le site Dailymars le 17 novembre 2014
Guy Darol, Rock soluble, publié dans La Revue des Ressources le 9 décembre 2009