La postérité des Liaisons dangereuses
Publié le 14 Mai 2016
Choderlos de Laclos, officier militaire de 40 ans, publie Les Liaisons dangereuses en 1782. Ce livre devient rapidement un succès populaire qui dépasse même les frontières françaises. Cette intrigue de stratégie amoureuse influence d’autres fictions littéraires. Le roman conserve toute sa force subversive jusqu’à aujourd’hui. Les adaptations au théâtre et au cinéma se multiplient. Le livre collectif Laclos après Laclos se penche sur la postérité de ce roman sulfureux.
David Mc Callam revient sur la réception du roman dans les années qui suivent sa publication. La critique littéraire dénonce sa morale peu recommandable. Le livre est considéré comme une apologie de la séduction contre la chasteté. Le livre peut même permettre d’apprendre des méthodes de séduction et répandre le libertinage. Les lecteurs s’identifient aux personnages du roman qui semblent très représentatifs de leur époque. Le roman brise le mythe de la vertu et de la pureté morale des femmes. Mais Les Liaisons dangereuses présentent l’amour avant tout comme une stratégie, éloignée de la jouissance.
Beatriz Onandia évoque la diffusion du roman libertin en Espagne. Les Liaisons dangereuses sont publiées clandestinement en raison de la censure. « En conséquence, le roman fut interdit pour cause de dissolution, lascivité et incitation au libertinage », précise Beatriz Onandia. La Presidenta de Turvel devient une traduction aseptisée qui permet de passer la censure. L’importance de la religion catholique empêche d’égratigner le puritanisme. Laclos attaque pourtant l’éducation des jeunes filles, alors plongées dans l’isolement et l’ignorance. Les femmes doivent rester au foyer et, dans leur jeunesse, doivent éviter tout contact avec le sexe masculin.
Le couvent, monde clôt et surveillé, devient un modèle d’éducation. La version espagnole censure la lettre de la marquise de Merteuil qui décrit comment elle mène une vie de débauche tout en préservant sa réputation. La traduction de ce roman est donc orientée vers une lecture moralisatrice.
Veronika Altachina évoque la réception des Liaisons dangereuses en Russie. Le roman est perçu comme une simple description de la perversion morale. Après la Révolution russe, il est présenté comme le reflet de la décadence de la classe aristocratique. Les libertins semblent dénués de sensibilité et de sensualité. Le personnage de Valmont, fin stratège, prime sur celui de la marquise de Merteuil qui exprime davantage un libertinage philosophique.
Yunsoo Lee décrit la réception des Liaisons dangereuses en Corée. Une universitaire se penche sur Laclos, présenté comme un féministe d’avant-garde. L’éducation des femmes, un essai de Laclos, vient appuyer cette lecture féministe du roman. Le libertinage renvoie à une critique de la société patriarcale et du conditionnement des femmes dans leur comportement. Les films de Stephen Frears et Milos Forman contribuent également à populariser l’œuvre littéraire. L’étude de ces films insiste sur la dimension historique. Ils présentent la France avant la Révolution. Des cinéastes asiatiques adaptent le roman au cinéma. Leurs films montrent l’hyprocrisie de la morale sexuelle.
Christina Ionescu présente la réception des Liaisons dangereuses dans l’Angleterre de la fin du XIXe siècle. L’éditeur Leonard Smithers présente le roman comme une œuvre pornographique, à l’image des Curiosa. Il situe Laclos dans la lignée de Sade et de la tradition libertine à la française. Les illustrations alimentent la connotation érotique du roman. « Ces images, qui mettent en scène une société frivole et moralement corrompue en quête du plaisir libertin à la veille de la Révolution, accentuent la réputation scandaleuse du roman et fournissent un autre argument d’achat à la clientèle de Smithers », précise Christina Ionescu. La publication de ce roman considéré comme obscène et moralement répréhensible s’oppose à la censure victorienne.
Sylviane Leoni présente une pièce de théâtre qui semble inspirée par le roman libertin. Heine Müller, dramaturge contestataire, écrit Quartett en 1981. Cette pièce se situe avant la Révolution française. Il introduit un lien entre la violence politique et celle qui existe dans les rapports amoureux. « Dans cette œuvre, la pulsion amoureuse est violence faite à l’autre de la même manière que la politique peut broyer les citoyens, en les enrégimentant dans des systèmes qui visent à les empêcher de penser et de vivre comme ils le souhaitent », décrit Sylviane Leoni. L’amour et la politique s’opposent à l’épanouissement individuel.
Ce livre collectif montre bien l’influence du roman de Laclos. Ses thèmes universels, l’amour et le pouvoir, dépassent les frontières. Chaque pays se réapproprie l’œuvre de Laclos. Le théâtre et surtout le cinéma ont contribué à en faire un récit populaire. Les contributions de cette étude sur Laclos évoquent les thèmes et les réflexions que soulèvent Les Liaisons dangereuses. Cependant, ces universitaires adoptent une approche très littéraire, à l’image de la plupart des commentaires qui existent sur ce roman. La forme est abondamment disséquée. En revanche, le contenu du roman n’est pas toujours au centre de ce receuil de colloque.
Pourtant, ce qui fait le succès de Laclos, c’est surtout sa modernité et son regard acéré sur les relations humaines. La critique du puritanisme, de l’ordre moral et du patriarcat semble particulièrement novatrice. La charge contre l’hypocrisie morale semble particulièrement actuelle pour critiquer toutes les religions, et même la marchandisation sexuelle. La dénonciation de l’ordre moral exprime un individualisme libertaire et un féminisme. Les personnages principaux s’affranchissent des institutions patriarcales pour privilégier leur propre plaisir.
Laclos est aussi un fin observateur politique. Il décrit les rapports de pouvoir qui existent dans l’ensemble des relations humaines. L’amour moderne repose également sur le rapport de force. Les stratégies de séduction deviennent les seuls moyens de trouver l’amour, à l’image des sites de rencontres. Le lien entre l’amour et le pouvoir semble donc particulièrement actuel.
Il manque dans le roman de Laclos une critique des relations humaines sous l’angle des rapports de classe. Tous les personnages appartiennent à l’aristocratie. Mais les inégalités sociales peuvent également conditionner les relations humaines et les rapports de domination. L’œuvre de Laclos reste énigmatique et il est possible d’en puiser des morales contradictoires. Néanmoins, Les Liaisons dangereuses permettent une critique implacable de l’ordre moral et des relations humaines. Le roman libertin montre la nécessité de bouleverser la vie quotidienne pour détruire les contraintes sociales et valoriser le plaisir.
Source : Catriona Seth (dir.), Laclos après Laclos, Hermann, 2016
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