Des gilets jaunes à la révolution : édito n°36

Publié le 18 Janvier 2019

Des gilets jaunes à la révolution : édito n°36

Le mouvement des Gilets jaunes reste difficile à analyser et présente beaucoup de nouveautés. Mais cette révolte spontanée dépasse le cadre de la vieille gauche, des partis et des syndicats. Les anciennes grilles d'analyse idéologiques ne permettent pas de comprendre cette dynamique. Le groupe La Mouette enragée propose une bonne observation qui décrit bien l'hétérogénéité idéologique de ce mouvement.

 

Les Gilets jaunes peuvent pencher vers l'extrême droite, surtout sous l'influence de petits patrons qui préfèrent parler migrants plutôt que hausse du Smic. Ailleurs, la tonalité peut sembler plus assembléiste comme à Saint-Nazaire ou à Commercy. Mais, dans de nombreux endroits, les gilets jaunes ne rentrent dans aucune case. Le confusionnisme version Youtube navigue aux côtés d'une critique libertaire de l'Etat. Parfois, des personnes tiennent même deux discours opposés dans la même phrase. On est loin d'une pensée construire, cohérente, avec une claire analyse de classe. Les leaders des réseaux sociaux, enivrés par leur succès et leur accumulation de "likes", sont les plus perméables à tous les délires racistes et complotistes. Ils permettent aux médias et à la bourgeoisie de se pourlécher les babines à chacune de leur sortie douteuse, pour mieux discréditer l'ensemble du mouvement.

 

Le mouvement des gilets jaunes émerge dans un contexte de dépolitisation, d'effacement de la mémoire des luttes ouvrières et d'une conscience de classe qui ne passe pas par un langage marxiste. Mais les raisons de la colère restent les mêmes. Les fins de mois difficiles, la galère au quotidien et la misère sont bien les causes de la révolte. Mais ce n'est pas l'exploitation capitaliste qui est immédiatement remise en cause. Les riches et les banques, évidemment incarnés par le président Macron, sont pointés comme les responsables de cette situation. Les patrons sont épargnés. Pour l'instant. Les personnes les plus actives sont bien souvent intérimaires, précaires, travailleurs indépendants. On est loin de la figure du petit patron poujadiste. Les "artisans" sont bien souvent des travailleurs manuels peu diplômés qui prennent le statut d'auto-entrepreneur pour sortir du chômage. De nombreux salariés sont évidemment présents, mais l'idée de grève a du mal à circuler.

 

 

Le bulletin Jaune ou encore Radio Vosstanie portent la perspective d'une généralisation de la grève pour élargir le mouvement et bloquer la production. Mais les discussions sur le sujet se révèlent difficiles. Des salariés ont déjà du mal à boucler les fins de mois et ne veulent pas se lancer dans une grève. Il n’existe pas encore de caisses de solidarité. Ensuite, beaucoup de gilets jaunes ne sont pas des salariés dans la fonction publique ou dans des grosses boîtes. Dans les petites entreprises, se mettre en grève suppose souvent un affrontement direct avec le patron. L'absence de solidarité inter-professionnelle fige dans l'isolement. Pourtant, il est possible de s'appuyer sur la détermination et de l'inventivité des gilets jaune. Dans ce mouvement, rien ne semble impossible. La révolte et l'auto-organisation sont particulièrement développées, contrairement aux vieux appareils syndicalistes subventionnés par l'Etat. Réfléchir collectivement à une généralisation de la grève et à l'intervention dans les entreprises pourrait donner des pistes, en s'appuyant sur les expériences de chaque personne. 

 

Dans ce mouvement, de nombreuses personnes découvrent le plaisir de la lutte. C'est le plaisir de sortir de chez soi, de voir des amis, de rencontrer de nouvelles personnes, de discuter de politique plutôt que de regarder BFM ou Hanouna. C'est aussi le plaisir de réfléchir sur le monde et sur les moyens de la changer. C'est la découverte de nouvelles idées et de pensées critiques. Même si les gilets jaunes se tournent plus facilement vers Youtube que vers l'histoire des luttes sociales. Ce qui peut expliquer le succès burlesque du RIC. Mais ce mouvement exprime de manière confuse un désir de justice sociale et de démocratie directe. Malgré quelques errances, les gilets jaunes sortent de leur indifférence politique et se plaisent à découvrir la critique sociale. Le plaisir de la lutte, c'est surtout tenir tête au pouvoir. C'est le sentiment d'écrire l'actualité plutôt que de la subir. C'est la fierté d'être gilets jaune, une force collective capable de renverser le cours de l'Histoire. Le pouvoir a déjà reculé. Il faut maintenant se donner pour objectif de changer la société. Du Soudan au Bangladesh, la révolte et la grève se propagent à travers le monde. De quoi donner des idées. 

 

Les gilets jaunes ne s’inscrivent pas dans une perspective révolutionnaire. Beaucoup veulent renverser la table et changer la société. Mais il n’existe aucun horizon révolutionnaire. La Révolution française reste l’unique modèle. En l’absence de discussions sur des projets de société, l’arnaque du RIC passe pour le summum de l’utopie. C’est pourtant le retour du jargon juridique et du vieux langage politicien. Surtout, il est impossible de sortir de la misère sans détruire le capitalisme. Il faut maintenant débattre du monde dans lequel nous voulons vivre. Il faut inventer une société sans classes, sans Etat, sans argent, sans travail.

 

Sommaire du numéro 36 :

 

Violence et insurrection armée

Mario Moretti et les Brigades rouges

Action Directe et le mouvement autonome

Violence et radicalité politique

 

Révolte et créativité

L’imaginaire contestataire du XXe siècle

Le surréalisme arabe des années 1970

Les jeunes situationnistes

 

Imaginaires populaires

Le cinéma américain populaire

Le cinéma des années Trump

Le féminisme des sorcières

Super-héros et politique

Publié dans #Numéros complets

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Commenter cet article
J
Oui, il s'agit d'une insurrection très sage, inédite et tolérante comme les gens qui la soutiennent. Le problème n'est qu'accessoirement la pauvreté, le problème c'est la richesse . les biens publics volés dilapidés, gaspillés ...
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