La lutte contre l'industrie éolienne au Mexique
Publié le 25 Janvier 2019
L’écologie permet la promotion des parcs éoliens et du capitalisme vert. En France, la critique de cette énergie renouvelable semble peu audible. En revanche, d’importantes luttes contre l’industrie éolienne secouent le Mexique. La militarisation du territoire et la fin des usages collectifs de la terre sont justifiés par les parcs éoliens. Alèssi Dell’Umbria a réalisé un film sur ces luttes indigènes en 2015 et il propose également le livre Istmeño, le vent de la révolte.
Entre 2000 et 2004, le gouvernement d’Oaxaca organise une série de colloques internationaux pour permettre le développement de parcs éoliens dans la région de l’Isthme, située sur la côte pacifique. La privatisation du secteur électrique est mis en place par une série de réformes. « Aujourd’hui, 31% de l’énergie électrique générée au Mexique vient d’entreprises privées, principalement étrangères », décrit Alèssi Dell’Umbria. Diverses multinationales de l’énergie renouvelable se précipitent sur l’Isthme. La crise de 2008 et la révolte paysanne ralentissent les investissements.
En 2011, on retrouve de nombreux poissons morts à l’issu de simples travaux de sondages. En Europe, les parcs éoliens colonisent déjà les campagnes. « La saturation de l’espace par la multiplication de ces appareils génère un sentiment d’étrangeté et d’innombrables sites deviennent autant de non-lieux », observe Alèssi Dell’Umbria.
L’énergie éolienne provoque de nombreuses nuisances, comme le massacre des oiseaux, le bruit du mouvement des pales, le dérèglement climatique, la pollution des sols. Les multinationales prennent le contrôle du territoire, avec la déforestation mais aussi l’interdiction de chasser ou de ramasser du bois.
En 2003, les gens d’Union Hidalgo parviennent à empêcher un projet d’élevage industriel de crevettes dans la lagune. La pollution de l’eau et la famine des pêcheurs locaux deviennent des risques majeurs. Manifestations, blocages de routes, occupation du palais municipal ne suffisent pas. Quatre membres du conseil citoyen d’Union Hidalgo sont tués. Cette région s’oppose également à l’énergie éolienne dès 2004. Mais les entreprises s’appuient sur la privatisation des terres communales pour permettre des projets éoliens.
L’enjeu de la propriété foncière reste central. Dans le Mexique colonial, les indigènes disposent de terres cultivées en commun qui coexistent avec les grandes propriétés des colons. Mais les terres communales disparaissent avec la décolonisation. La propriété individuelle s’impose. En 1910, la révolte paysanne, incarnée par Emiliano Zapata, permet la réappropriation des terres. Une manière non capitaliste de cultiver la terre peut donc perdurer. Cette impossibilité de transformer la terre en marchandise empêche les entreprises de s’accaparer d’un site pour développer un projet énergétique ou touristique. Mais les accords de libre-échange de 1993 liquident la communalité de la terre.
Le mouvement contre le projet éolien émerge en 2012. Mais le pouvoir est prêt à tout. Le PRI (Parti révolutionnaire institutionnel) n’hésite pas à réprimer les révoltes, comme à Oaxaca. La violence de la police s’accompagne d’assassinats. Une assemblée émerge à San Dionisio pour lutter contre le nouveau parc éolien.
Une assemblée des peuples de l’Isthme se forme à Alvaro Obregon. Les pick-up de l’entreprise sont attaqués. Des prisonniers sont également libérés. Cette révolte permet de faire reculer l’entreprise qui retire son matériel coûteux et ses engins de chantiers. « Un millier de pêcheurs et de paysans armés de cailloux et de machettes ont réussi à mettre en fuite une multinationale, et avec elle l’Etat de Oaxaca, sa police et ses partis politiques », souligne Alèssi Dell’Umbria.
La COCEI prend le pouvoir municipal au Juchitan en 1981. Ce parti marxiste s’oppose au PRI mais abandonne son projet de transformation sociale pour rester au pouvoir. Le clientélisme et l’intimidation prédominent. Les anciens étudiants gauchistes deviennent des caciques qui imposent l’ordre. « Redistribuant les prébendes étatiques d’un côté, garantissant au gouvernement de l’Etat, voire au pouvoir fédéral, la réalisation de ses objectifs sur place de l’autre, le cacique tire son pouvoir de cette double capacité de médiation et d’intimidation », décrit Alèssi Dell’Umbria. Les dirigeants de la COCEI voient de manière positive l’arrivée d’entreprises éoliennes dans l’Isthme rural.
De nombreux contrats douteux sont signés pour permettre l’expropriation des terres. Mais le recours au droit peut permettre de faire annuler des contrats de location sur des terres communales. Un projet de parc éolien est même annulé. Même si les voies juridiques restent limitées. « Sur le terrain du droit, chaque victoire constitue une bouffée d’oxygène pour les communautés en lutte, mais c’est un oxygène vite brûlé », observe Alèssi Dell’Umbria.
La gauche et l’extrême-gauche au pouvoir s’opposent à l’autonomie des luttes indigènes. Des mouvements se développent également contre la politique extractiviste de la gauche au pouvoir en Equateur et en Bolivie. La pratique de l’assemblée directe permet la gratuité et la rotation des charges au service de la communauté. Les luttes indigènes posent la question centrale de l'autonomie territoriale et du contrôle des ressources par la communauté. L’auto-défense armée permet de faire reculer les entreprises, le pouvoir et même les cartels de la drogue.
Alèssi Dell’Umbria propose un regard critique sur la situation au Mexique. L’enjeu autour des parcs éoliens soulève des questions centrales comme le contrôle de la terre, le pouvoir politique et l’auto-organisation. Alèssi Dell’Umbria s’attache à un Mexique en lutte. Son livre apparaît comme le pendant de celui du journaliste John Gibler sur le narcotrafic. La politique, l’économie et la criminalité se mêlent dans un mélange mafieux. Alèssi Dell’Umbria évoque la corruption, le clientélisme et la violence politique. Mais il ne se contente pas d’un constat désabusé et résigné. Il insiste au contraire sur l’importance des luttes autonomes pour faire reculer les pouvoirs.
Alèssi Dell’Umbria permet également de découvrir l’originalité des luttes indigènes. Il s’immerge véritablement dans la communauté indigène. Il tient à se démarquer de la position surplombante du journaliste, qui existe aussi chez les sociologues intersectionnels. La communauté indigène ne repose pas sur des origines raciales et biologiques. Elle exige simplement de la solidarité entre ses membres. La lutte pour la réappropriation du territoire s’oppose à la logique capitaliste et à la propriété privée. Un usage collectif de la terre doit prédominer.
En revanche, Alèssi Dell’Umbria évoque peu les limites des sociétés indigènes. Certes, il décrit le rôle ambigu des leaders. Mais la place des femmes dans la société et dans la lutte n’est pas mise en avant. Sans connaissances sur ces sociétés, il est difficile de percevoir leur dimension plus ou moins patriarcale et autoritaire. Alèssi Dell’Umbria considère également la dimension spirituelle et cosmogonique comme une richesse. La force de son livre consiste à s’immerger dans cette lutte indigène sans porter un jugement extérieur, loin d’un point de exotique depuis l’Occident. Néanmoins, cette approche sympathique ne permet d'analyser les limites et les contradictions des communautés indigènes.
La lutte locale contre l’industrie éolienne fait évidemment écho à tous les mouvements contre les Grands Projets ailleurs dans le monde. Cette nouvelle forme de lutte et de politisation devient incontournable. Il semble important de s’appuyer sur ces révoltes. Néanmoins, ces luttes territoriales demeurent locales. C’est ce qui fait leur force et leur ancrage. Mais c’est aussi une limite puisque la logique du capital doit être combattue à une échelle plus globale. La solidarité de classe contre le capitalisme doit aussi s’étendre sur tous les territoires.
Source : Alèssi Dell’Umbria, Istmeño, le vent de la révolte. Chronique d’une lutte indigène contre l’industrie éolienne, CMDE et les éditions du Bout de la ville, 2018
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Radio : Retour sur la situation au Mexique, conférence de Table rase mise en ligne le 11 février 2015
Vidéo : Film "Gardes forestiers, autodétermination et autodéfense à Cheran, Michoacan, Mexique", publié sur le site du Regroupement Révolutionnaire Caennais le 23 juin 2015
Radio : Emission de Radio Vosstanie sur le Mexique du 2 Mai 2015
Lémi et JBB, Que Viva l’Isthme de Tehuantepec !, publié sur le site Article 11 le 12 février 2014
Argelaga, Le Vent de la révolte, par Alèssi Dell’Umbria : un documentaire de résistance à la spoliation, publié sur le site La voie du jaguar le 31 août 2015
Vidéo : « Tout le monde déteste le travail », paru dans lundimatin#135, le 28 février 2018
Radio : émissions avec Alessi Dell’ Umbria diffusées sur Radio Grenouille
Radio : Discut’ avec Alessi Dell’Umbria à propos de son dernier bouquin "Tarantella", diffusée sur le site de la ZAD le 13 aoüt 2017
Cédric Lépine, Entretien avec Alèssi Dell'Umbria, à propos de son film « Le Vent de la révolte », publié sur le site Madiapart le 26 juillet 2016
Articles d'Alèssi Dell’Umbria publiés sur le site de La voie du jaguar
Articles d'Alèssi Dell’Umbria publiés sur le site du journal CQFD
Articles d'Alèssi Dell’Umbria publiés sur le site de la revue Jef Klak
Mai 68 vu de la rue, interview avec Alessi dell’Umbria, publié sur le site du Conseil de la Jeunesse Catholique
Alessi Dell’Umbria, Postface à l’édition castillane de "C’est de la racaille ? Eh bien, j’en suis !", publié sur le site Infokiosques le 19 avril 2010
Alèssi Dell’Umbria, ZAD, pour l’autodéfense et la communalité, paru dans lundimatin#142, le 20 avril 2018
Alèssi Dell’Umbria, Marseille effondrée, paru dans lundimatin#167, le 29 novembre 2018
Nicolas Dutent, Alèssi Dell'Umbria : « La bourgeoisie locale rêve de se débarrasser de la plèbe », publié sur le site du journal L'Humanité le 2 novembre 2018
Lémi & JBB, Alèssi Dell’Umbria (part.I) : « Le discours idéologique républicain a anesthésié toute culture de la révolte », publié sur le site Article 11 le 6 septembre 2010