L’imposture zapatiste au Chiapas
Publié le 10 Mars 2014
La révolte au Chiapas de 1994 s’apparente toujours à un phénomène de mode. Avec la commémoration des 20 ans de ce mouvement, il devient une banale marchandise militante et touristique qui complète une panoplie folklorique du ridicule gauchiste. Les pitreries du sous-commandant Marcos ont même ouvert le cycle altermondialiste et de sa confusion politique. Les textes en lien en bas de cet article, souvent de sources "libertaires", proposent une description particulièrement enthousiaste de cette contestation exotique. Pourtant, dès 1996, une brochure critique cette mode altermondialiste du Chiapas. Ses auteurs semblent proches d’un marxisme critique qui attaque toutes les formes de bureaucratie et de marchandise.
« La tâche de ceux qui optent pour l’émancipation sociale se doit toujours, autant que possible, d’œuvrer à mettre en valeur ce qu’il y a d’autonome dans une lutte, tout en critiquant les organisations qui s’approprient la représentativité de ceux qui se battent », souligne l’introduction de la brochure. Les exploités ne doivent pas s’enfermer dans une catégorie spécifique, sociale ou identitaire. Cette introduction critique le « réalisme » qui impose de se placer derrière les projets étatiques des organisations hiérarchisées.
Malgré l’effondrement de l’horreur bureaucratique en URSS, les gauchistes restent toujours en quête de modèles exotiques comme celui du Venezuela. Ses militants préfèrent le folklore et l’idéologie, et ne s’intéressent pas à la vie quotidienne des populations et du prolétariat.
Avec le Chiapas, des libertaires se sont même enthousiasmés pour un mouvement autoritaire, patriotique et identitaire. Ils restent fascinés par les révoltes, surtout lorsqu’elles médiatisent un chef charismatique. Dans les milieux libertaires et radicaux, le confusionnisme s’impose. « Une fois disparue la dimension anticommuniste, le courant libertaire resta livré à la faiblesse de son analyse du capitalisme moderne, devenu système global », observe la brochure. Les anarchistes se contentent d’un simple activisme qui ne permet pas de renouveler la pensée critique. Il faudrait rajouter que leur antimarxisme primaire les conduit à dénigrer une grille d‘analyse en terme de classe sociale, la seule qui permet de sortir de la confusion citoyenniste. « Ils sont ainsi entraînés vers l’humanisme social-démocrate », constate la brochure. Les libertaires, devenus des démocrates radicaux, se mettent à réhabiliter l’idée de nation. Les positions de classe et internationalistes sont alors abandonnées.
Sylvie Deneuve et Charles Reeve démontent le mythe du Chiapas. Les communautés indiennes sont souvent présentées comme idylliques, malgré leur caractère autoritaire et patriarcal. « Comme si la forme communautaire des sociétés précapitalistes empêchait l’existence d’une hiérarchie très structurée, d’un pouvoir centralisé et d’une exploitation barbare du travail », ironisent Sylvie Deneuve et Charles Reeve. Les Mayas vivent dans une société féodale, avec la domination des nobles et des prêtres. Cette pseudo démocratie primitive repose sur la contrainte et ne permet pas la contradiction. La cohésion sociale repose sur la soumission à l’autorité.
Même le mouvement zapatiste ne semble pas socialiste puisqu’il ne tente pas transformer le Mexique tout entier. Il ne s’inscrit pas dans la perspective d’une rupture avec le capitalisme. Il se contente de demander la restitution des terres et se repose sur une aspiration au passé communautaire indien. Les communautés traditionnelles permettent même le développement du capitalisme avec la disparition des grandes propriétés du modèle féodal. « Les communautés dont on mythifie aujourd’hui les traditions démocratiques et émancipatrices furent, des décennies durant, la structure sociale aliénant les exploités aux grands propriétaires », rappellent Sylvie Deneuve et Charles Reeve. Le développement de la condition de prolétaire permet au contraire de faire éclater les communautés pour déclencher des révoltes véritablement émancipatrices.
Au Mexique, les paysans luttent surtout pour devenir propriétaire de leur terre. Ils aspirent à une société de petits propriétaires pour éviter une prolétarisation. « Dans un tel cadre, dominé par la forme privé de la terre, le contenu des revendications des luttes paysannes dépassa rarement le cadre des rapports sociaux capitalistes », analysent Sylvie Deneuve et Charles Reeve. Les organisations avant-gardistes ne remettent pas en cause cet attachement à la petite propriété et privilégient un combat réformiste. La révolte du Chiapas regroupe tous ceux qui ne possèdent aucune terre et qui n’ont pas de travail dans la ville. Ses jeunes révoltés expriment une rage et une radicalité qui n’a rien à voir avec le réformisme de l’EZLN et des organisations qui parlent au nom des peuples. Ses jeunes révoltés ne se battent probablement pas pour un accès à la terre.
Les organisations gauchistes et maoïstes du Mexique décident de s’implanter dans les zones rurales durant les années 1970. Ses bureaucrates masquent leur autoritarisme derrière une mascarade de démocratie participative. « Le projet classique d’encadrement des populations par une organisation d’avant-garde autoritaire était masqué par un discours démagogique de démocratie de base », observent Sylvie Deneuve et Charles Reeve. Marcos et l’EZLN apparaissent comme les héritiers de cette implantation maoïste en milieu rural. Ils adoptent les mêmes pratiques, avec des assemblées qui permettent de protéger le pouvoir des chefs. Pour s’implanter, l’organisation néo-zapatiste s’appuie sur le communautarisme indigène. Mais cette implantation dans les zones rurales du Chiapas débouche vers une marginalisation par rapport au reste de la population mexicaine.
L’EZLN demeure une organisation bureaucratique, avec la seule parole du chef Marcos qui peut s’exprimer. Le visage masqué devient la seule garantit contre une dérive totalitaire. « Pour nous, bien entendu, l’anonymat du chef n’est pas la fin du chef, c’est au contraire la forme abstraite de l’autorité », soulignent Sylvie Deneuve et Charles Reeve. C’est juste une forme modernisée de l’oppression bureaucratique, avec toujours la même figure ridicule du héro mythique. « La modernité s’offre à nous sous la forme d’une caricature du passé : on croyait avoir liquidé l’avant-gardisme bolchevique et l’on se retrouve avec l’avant-gardisme de Zorro. L’EZLN c’est le dirigisme en passe-montagne démocratique », ironisent Sylvie Deneuve et Charles Reeve. Le discours de l’EZLN repose sur la séparation maoïste entre l’armée de libération et les masses populaires.
L’EZLN s’appuie sur l’Église et la religion pour s'implanter dans les communautés rurales. Évidemment, l’Église incarne les idées réactionnaires et s’oppose même à l’avortement et à la libération des femmes.
L’EZLN s’apparente à un groupe armé qui contrôle son petit territoire. En revanche, les paysans occupent leurs terres de manière spontanée. L’EZLN est alors obligé de soutenir ce mouvement mais l’oriente vers le réformisme. Dans ses propositions, l’EZLN s’attache à la défense de la petite propriété. Les coopératives et l’encadrement de l’État s’inscrivent toujours dans le cadre de l’économie de marché. En revanche, l’EZLN défend timidement les occupations de terre, parfois même accusées d'une radicalité qui perturberaient les négociations. « Dans toutes les pages écrites à la gloire de la révolte du Chiapas on ne trouve presque jamais d’éléments sur le mouvement réel des gens engagés dans ses actions d’occupations », observent Sylvie Deneuve et Charles Reeve. L’autogestion du Chiapas demeure une imposture. L’organisation du travail reste la même et les militants à la tête des occupations se comportent comme des employeurs. Les circuits de commercialisation restent les mêmes.
Dans le sillage du gauchisme maoïste, l’EZLN se réfère à un nationalisme patriotique. Cette organisation respecte la démocratie parlementaire et tente de négocier de sa place dans ce système. La nation et la patrie sont considérées comme des remparts au capitalisme mondial. « Dans l’idée des zapatistes l’internationalisme n’est rien d’autre qu’une addition de sursauts nationalistes et protectionnistes contre le système capitaliste. Leur proposition d’avenir se révèle être le projet d’un passé révolu », observent Sylvie Deneuve et Charles Reeve.
En 1995, Marc Geoffroy explique son refus de se solidariser avec la révolte zapatiste. Il ne souhaite pas soutenir une armée. Pour lui, la lutte se situe au niveau de l’organisation économique et sociale, plutôt que de l’affrontement militaire. Cette armée défend une « libération nationale » et semble donc soumise au patriotisme et à la collaboration de classes. « A part le fait que ce vocable s’inscrit dans la tradition stalino-maoïste-guévariste , comment défendre une libération "nationale" alors que je suis persuadé que la "nation" est une structure propre de la société bourgeoise et que l’émancipation de l’humanité passe nécessairement par l’éclatement de ce carcan afin de pouvoir s’affirmer comme communauté humaine, sujet de son devenir ? », interroge Marc Geoffroy.
Les petits chefs de la révolte ne cessent d’invoquer le « peuple », selon une expression qui nie les conflits de classes. Ils ne souhaitent pas supprimer l’exploitation mais mieux encadrer le peuple dans le cadre du capitalisme. La défense identitaire des indigènes occulte le fait que la majorité des blancs et des noirs subissent l’exploitation. Surtout, la bourgeoisie nationale n’est jamais remise en cause. L’attachement identitaire et le nationalisme permettent donc de ne pas attaquer l’exploitation capitaliste.
Ensuite, l’EZLN valorise le « dialogue » avec les classes dirigeantes. Ses gauchistes veulent réconcilier les exploités avec leurs exploiteurs. Marcos apparaît comme un petit chef machiste qui construit sa légende. Il s’apparente à un caudillo. Ce fonctionnement repose sur la délégation du pouvoir.
« Je suis particulièrement déprimé quand en Europe des individus qui se réclament d’une vision social-révolutionnaire s’enthousiasment non pas pour le mouvement social mais sont apparemment fascinés par le spectacle de masques, de fusils, par le mythe de la résistance armée », observe Marc Geoffroy . Les militants s’intéressent davantage aux discours et aux idéologies plutôt qu’à la vie quotidienne réellement vécue.
Cette critique implacable du néo-zapatisme semble simple, informée et très convainquant. Au-delà de cet exemple mexicain, ses analyses permettent de critiquer diverses luttes « exotiques » désormais à la mode chez les altermondialistes et les libertaires. Des mouvements en apparence sympathiques se révèlent verrouillés par des bureaucrates gauchistes au vernis anarchisant. Surtout, la dimension nationale devient sympathique et folklorique lorsqu’elle devient lointaine. Il existe certes de bons arguments pour soutenir des luttes de libération nationale qui s’attachent à une réappropriation du territoire contre l’oppression urbaine et capitaliste. Mais ses mouvements peuvent également privilégier une dimension nationale dans une démarche localiste et inter-classiste. Les petits patrons et les salariés qu’ils exploitent, les chômeurs et les cadres de partis politiques manifestent main dans la main pour un objectif immédiat, malgré des intérêts de classe qui s’opposent.
Au contraire, les luttes autonomes qui tentent de regrouper tous les exploités sont plus rarement mises en lumière par les anarchistes et les altermondialistes. Seule l’organisation à la base, en dehors des bureaucraties, peut permettre de défendre ses intérêts de classe dans une perspective révolutionnaire.
Source : Sylvie Deneuve, Marc Geoffroy, Charles Reeve, Au-delà des passe-montagnes du Sud-Est mexicain. L’indien comme marchandise. De l’usage médiatique de Marcos. La révolte des sans terre au brésil (au sud du Chiapas…), Ab Irato, 1996
Brochure disponible sur le site Nofric nowar
Pour aller plus loin :
Radio : Emission spéciale de Radio Vosstanie sur le Mexique, enregistrée le 2 mai 2015
"La petite école zapatiste de l'autonomie", publié dans le journal Courant alternatif n° 236 en janvier 2014
Vidéo : CNT, 33 rue des Vignolles, Paris : pose d'une plaque commémorative des 20 ans du soulèvement zapatiste au Chiapas, publié sur le site "Caméra au poing" du secteur vidéo de la CNT
Vidéo : message des Zapatistes de San Marcos Avilés, Chiapas
Vingtième anniversaire de la rebellion du Chiaps "Le goût de la liberté des zapatistes", entretien avec Jérôme Baschet, publié sur le site La voie du jaguar
Dan La Botz, "Vingt ans après la rébellion au Chiapas : Les zapatistes, leur politique et leur impact", publié sur le site Avanti le 16 janvier 2014
Pascal (AL Rouen) et Jocelyn (AL Marseille), "En 1994 : Les zapatistes gâchent le triomphe néolibéral", publié dans le journal Alternative Libertaire n°135 en janvier 2014
"1er janvier 1994 dans l’État du Chiapas au Mexique", publié sur le site Rebellyon le 1er janvier 2012
"Zapata vive ! Vingt de lutte et d'autonomie indienne au Chiapas", publié sur le site Quartiers libres le 2 janvier 2014