L'anarchisme révolutionnaire de Flores Magon

Publié le 14 Avril 2014

L'anarchisme révolutionnaire de Flores Magon
Ricardo Flores Magon participe au cycle révolutionnaire du Mexique des années 1910. Il propose un anarchisme de classe fondé sur l'action directe. 

 

L’anarchisme révolutionnaire n’est pas un courant politique qui existe uniquement dans l’Europe occidentale. Certains gauchistes postmodernes considèrent la perspective d’une révolution mondiale comme un projet colonial pour imposer l’universalisme occidental. Ils justifient ainsi l’acceptation des traditions communautaires avec ses hiérarchies et sa morale patriarcale. Les communautés indigènes au Mexique, du Chiapas ou de Oaxaca, sont alors présentées comme émancipatrices.

Mais le Mexique abrite également une véritable culture libertaire. Ricardo Flores Magon incarne ce mouvement anarchiste et révolutionnaire. Il participe à de nombreuses révoltes dans le Mexique des années 1910. Il se place du côté des illégaux, des brigands, des rebelles. Ses textes incitent à l’action et à l’insurrection, loin de la résignation postmoderne et du fatalisme marchand. Le mouvement magoniste existe toujours, même si les anarchistes préfèrent médiatiser les pitreries du sous commandant Marcos.

 

 

                         Ricardo et Enrique Flores Magon pendant la Révolution de  1910 (auteur et date inconnus)

 

Appel à l’insurrection

 

« Dans la pâleur du paysage se dessine la silhouette d’un géant : l’insurrection », écrit Ricardo Flores Magon. Il évoque, avec lyrisme et passion, les diverses révoltes ouvrières. Malgré leur échec, elles permettent de raviver la perspective d’une rupture avec la barbarie capitaliste. « Ainsi vivent les classes dirigeantes, de la souffrance et de la mort des classes dirigées. Pauvres et riches, opprimés et despotes, égarés par l’habitude et les usages ancestraux, considèrent cette situation absurde comme naturelle », souligne Ricardo Flores Magon. Il propose une véritable analyse de classe de la société. Il attaque également les valeurs traditionnelles qui imposent l’acceptation de l’ordre social.

Mais la réflexion critique peut transformer l’esclave en rebelle. Même si la théorie ne remplace pas l’action, indispensable pour véritablement transformer la société. « Le droit à la révolte pénètre les consciences. Le mécontentement grandit, le malaise devient insupportable. La contestation éclate et tout s’embrase », poursuit Ricardo Flores Magon. La conscience de classe permet l’émergence d’une colère spontanée qui ne provient d’aucune avant-garde. La révolte apparaît comme une respiration, indispensable pour vivre.

 

L’anarchiste illégaliste préfère le voleur au mendiant qui quémande une aumône à genoux devant le bourgeois. La dignité du voleur devient préférable à la soumission de l’honnête citoyen qui se prosterne devant la légalité bourgeoise. « En violant les lois promulguées par la bourgeoisie, je ne fais que rétablir la justice bafouée par les riches, qui volent les pauvres au nom de la loi », écrit Ricardo Flores Magon.

La révolution suppose de transgresser la loi. Le changement politique semble impossible dans le cadre de la légalité définie par ceux qui dirigent l’ordre social. « Le révolutionnaire est un illégaliste par excellence. L’homme dont les actes seront toujours conformes à la loi sera, au mieux, qu’un animal bien domestiqué, mais jamais un révolutionnaire », analyse Ricardo Flores Magon.

Le principe même de la loi consiste à interdire aux prolétaires de se révolter. La loi repose sur l’expropriation au profit de la bourgeoisie. « Toutes les libertés conquises par l’humanité sont l’œuvre d’illégalistes qui se sont emparés des lois pour les réduire en miettes », rappelle Ricardo Flores Magon. La révolte doit sortir des chemins balisés pour privilégier la transgression.

 

Le gouvernement ne peut pas changer la société puisqu’il exprime la domination d’une classe sur une autre. Le révolutionnaire refuse le pouvoir d’État. « Tout gouvernement est tyrannique par essence puisqu’il s’oppose à la libre initiative de l’individu et ne sert qu’à maintenir un état social impropre à la réalisation de l’être humain », souligne Ricardo Flores Magon.

L’ouvrier subit l’aliénation au travail et à la machine. Avec ses conditions d’exploitation il risque de se blesser à tout moment et doit se soumettre à une activité mécanique et épuisante.

Le révolutionnaire insiste sur la spontanéité de la révolte populaire. Le prolétariat n’a pas besoin d’écouter des théoriciens anarchistes ou gauchistes pour exprimer sa colère et comprendre les injustices. « Ils pourront y constater que les peuples simples, mais disposés coûte que coûte à être libre et heureux, n’ont nul besoin de fréquenter les lycées, ni de connaître la signification des mots boycott et grève générale, pour s’emparer par le fer et par le feu de la richesse sociale que quelques bandits ont accaparé », souligne Ricardo Flores Magon.

 

 

L'anarchisme révolutionnaire de Flores Magon

 

Détruire le capitalisme

 

La misère et la tyrannie découlent d’une cause bien précise : la propriété individuelle. « Sa persistance maintient l’humanité en deux classes, celle des riches et celle des pauvres, celle des repus et celle des affamés, celle qui a tout et celle qui n’a rien », analyse Ricardo Flores Magon. La paix pourra émerger lorsque le peuple s’emparera des moyens de production.

Mais aucun dirigeant ne peut sortir le peuple de la misère. Les réformes se contentent d’atténuer la colère sans résoudre le moindre problème. « Toute réforme prétendant en finir avec la pauvreté et l’injustice ne soulagera qu’un instant les souffrances de ceux d’en bas, les prolétaires qui ont fait la révolution », observe Ricardo Flores Magon. La propriété privée et toute forme d’autorité doivent être abolies.

Mais les pauvres eux-mêmes sont tentés de défendre une forme de propriété privée. Pourtant, l’auto-exploitation et la petite propriété individuelle ne sont pas davantage une solution. « De plus, le travail d’un homme, même aidé par de famille, sur son lopin de terre, est semblable à celui qu’on effectue sous les ordres d’un patron », souligne Ricardo Flores Magon. En plus le petit propriétaire doit payer des impôts pour financer les juges, les policiers et les fonctionnaires qui doivent empêcher toute révolte contre le capitalisme.

L’appropriation collective des terres apparaît comme la véritable solution pour les paysans. L’activité collective permet d’atténuer la dureté du travail. « Si la terre est possédée et cultivée en commun, ceux qui la travaille n’auront qu’à y consacrer trois ou quatre heures par jour, quelques mois par an », propose Ricardo Flores Magon. Avec la terre, ce sont tous les moyens de production et les transports qui doivent être mis en commun pour réorganiser la société. Cette société communiste doit également abolir l’autorité nécessaire pour maintenir un ordre social injuste.

 

Les textes du révolutionnaire mexicain reprennent les analyses du communisme libertaire exprimées de manière simple et directe. Il insiste sur les causes des problèmes sociaux, avec la propriété des moyens de production, plutôt que de proposer d’aménager ses conséquences. Son propos insiste sur la spontanéité de la révolte. La conscience de classe ne provient d’aucune avant-garde, parti ou syndicat, et encore moins des pédagogues libertaires qui pensent que seules des conférences sur l’anarchisme permettent de déclencher la colère.

Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie mais la vie qui détermine la conscience estime Karl Marx. Et c’est surtout la lutte qui détermine la théorie, et non l’inverse. Les prolétaires constatent déjà les injustices et ils subissent directement la misère sans qu’il soit nécessaire de leur expliquer ce phénomène. Leur réflexion part de leurs propres conditions de vie. Il leur reste à propager le désir révolutionnaire pour abattre le monde marchand.

 

Source : Ricardo Flores Magon, Propos d’un agitateur, Traduit par Michel Velazquez, L’Insomniaque, 1990 (réédition Libertalia, 2008)

 

Articles liés :

L'anarchisme, une pensée dans les luttes

L'imposture zapatiste au Chiapas

Le néo-zapatisme pour sortir du capitalisme

 

Pour aller plus loin :

Radio : la Discussion publique avec Mitchell Verter sur Ricardo Flores Magon et la révolution mexicaine, conférence mis en ligne sur le site de la CNT-AIT Toulouse

Dossier Mexique : Décembre 1910 : Une prise d’armes au cri de « Tierra y Libertad », publié dans le journal Alternative Libertaire n°201, décembre 2010

"Ricardo Flores-Magon et la révolution mexicaine", brochure publiée par l'Union locale de Montréal de la Nefac en 2004

"Americo Nunes, Ricardo Flores Magón : utopie et mythe du communisme au Mexique (1908-1922)", publié dans la revue L'Echaudée n°2 en hiver 2012

Hélène, "Ricardo Flores Magon et Emiliano Zapata : la communauté indienne comme base d'une société future", publié dans L'Affranchi no 14 (printemps - été 1997)

Ricardo Flores Magon sur le site Anarsonore

David Doillon, "De l’anarchiste comme figure littéraire dans l’œuvre de Ricardo Flores Magón", publié dans la revue A Contretemps n°34 en Mai 2009

Les anarchistes dans la révolution mexicaine, publié sur le site du Collectif Anarchiste de Traduction et de Scannérisation de Caen

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
&quot;Malgré leur échec, elles permettent de raviver la perspective d’une rupture avec la barbarie capitaliste.&quot;<br /> <br /> Outre les erreurs d'analyse, le défaut de cet anarchisme est précisément une conception christique du martyre. Le résultat est qu'au mieux, on va au casse-pipe, au pire, on y envoie les autres (ou plutôt le contraire pour les petits malins, comme dirait le Brassens de &quot;Mourir pour des idées&quot;).
Répondre