Narcotrafic et terreur au Mexique
Publié le 7 Novembre 2015
Le Mexique reste ensanglanté par le trafic de drogue. Une véritable économie parallèle se développe. Une collusion entre le crime organisé et l’appareil d’Etat perdure. Le journaliste John Gibler évoque le narcotrafic dans le livre Mourir au Mexique.
Des individus sont assassinés de manière anonyme. Les criminels ne sont pas poursuivis et peuvent même être aidés par des institutions, comme une directrice de prison. « Quant l’assassinat fait partie des frais généraux d’une industrie illicite milliardaire, l’impunité devient un investissement fondamental », analyse John Gibler. Seul le silence garantit cette impunité.
Les journalistes qui veulent informer sont menacés de mort et vivent dangereusement. De nombreux journalistes ont déjà été assassinés pour les réduire au silence. Evidemment, aucune de ces affaires n’a été résolue. Les journalistes doivent se contenter d’égrener les informations de manière factuelle, sans trop chercher à analyser la situation. « Les gros titres des journaux annoncent le nombre de morts jour après jour mais les articles ne te diront rien sur qui étaient ces morts, qui auraient pu les tuer et pourquoi », constate John Gibler. Aucun témoignage ni aucune enquête ne peuvent émerger.
En réalité, c’est l’Etat qui gère le trafic de drogue. Cette activité génère une importante manne financière. « L’armée mexicaine et la police fédérale administrent le trafic de drogue depuis des décennies », confie John Gibler. Ce commerce criminel rapporte davantage que le pétrole. Les barons de la drogue ne sont pas uniquement les narcotrafiquants, mais aussi les généraux de l’armée mexicaine et les commandants de la police fédérale. Ses institutions fournissent les hommes de main des groupes paramilitaires et la protection armée des narcotrafiquants. C’est l’armée qui distribue les territoires et impose la cartographie des cartels. Des règlements de comptes découlent d’une lutte pour le contrôle d’un territoire. Le complexe militaro-industriel fournit les armes qui permettent cette guerre entre cartels.
Au Mexique, la lutte contre la drogue s’apparente à un spectacle avec des arrestations médiatiques. Mais le gouvernement favorise l’ascension du cartel de Sinaloa au détriment de ses rivaux. Quand le gouvernement de Calderon lance une offensive contre le trafic de drogue, il se garde bien d’égratigner le cartel de Sinaloa. Les opposants politiques sont également assassinés en toute impunité. Les drogues s’intègrent au commerce capitaliste. Mais leur illégalité en fait désormais des marchandises de valeur. La légalisation casserait les importantes marges de profits que crée l’illégalité. L’argent de la drogue alimente l’économie légale et a même sauvé les banques mexicaines de la faillite en 2008. Mais ce commerce repose sur la mort, avec de nombreux assassinats.
Aux Etats-Unis, la lutte contre la drogue s’apparente à un contrôle social. Les Noirs sont incarcérés pour des délits liés à la drogue. Le trafic de crack reste plus criminalisé que celui de la cocaïne. « La genèse de l’ère moderne de la prohibition de la drogue repose sur l’usage de la prohibition sous forme de contrôle social à caractère racial », observe John Gibler. Le trafic de cocaïne permet à la ville de Miami de se développer. Ensuite, le commerce de cocaïne permet de financer les forces contre-insurrectionnelles pour écraser les guérillas en Amérique latine. La CIA soutien alors les cartels.
Le problème du narcotrafic s’explique par l’immense pauvreté qui règne au Mexique. L’économie parallèle offre de nombreux emplois tandis que le chômage ne cesse de se développer.
Malgré les caméras et les dispositifs de sécurité, des détenus sont assassinés en toute impunité. Si le Mexique a abolit la peine de mort, la prison débouche vers un risque de décès important. Le programme de désintoxication, pour permettre aux détenus d’échapper à l’emprise de la drogue, révèle des résultats très faibles. Les prisonniers acceptent ce programme surtout pour les réductions de peine, mais pas pour réellement se désintoxiquer.
Les journalistes ne peuvent plus réaliser de reportages ou d’enquêtes sur les assassinats au Mexique. Aller sur place et discuter avec les gens devient impossible et peut même coûter la mort. Ce sont les cartels qui définissent la ligne éditoriale à coups de menaces. Les prisons abritent une violence qui fait des ravages.
A Reynosa, les cartels de la drogue ont infiltré les médias locaux. Des journalistes et des cameramen collaborent avec les cartels. Tous ne sont pas mouillés mais les plus honnêtes vivent dans la peur. « Les barons de la drogue imposent leur censure par l’argent, la peur ou la mort, et quel que soit le biais, la censure est totale », déplore John Gibler. Le monde du trafic de drogue est si ancré dans la vie quotidienne qu’il imprègne les cultures populaires et influence des artistes. Un narco hip hop se développe. Mais les chanteurs sont parfois payés directement pour écrire des textes à la gloire des mafieux.
Le gouvernement ne tente pas d’agir pour endiguer les massacres et les nombreux assassinats. Ses actions s’apparentent à des orchestrations médiatiques mais ne changent rien à la situation. Le gouvernement se préoccupent des assassinats uniquement lorsqu’ils sont médiatisés, notamment dans la presse internationale. Les dirigeants se préoccupent surtout de l’opinion et de leur réélection. Mais ils ne luttent pas concrètement contre les nombreux assassinats.
L’administration Obama poursuit la guerre à la drogue qui a commencé avec Reagan. Même si la rhétorique semble moins guerrière, la prohibition et la répression guident la logique de cette lutte contre le narcotrafic. « Les gouvernements du Mexique et des Etats-Unis continuent de dépenser des milliards de dollars en campagnes policières et militaires sans précédent dans l’histoire au regard de leur échec absolu », observe John Gibler. Les consommateurs de stupéfiants sont toujours plus nombreux. Surtout, la criminalité et la violence ne cessent d’augmenter, avec une multiplication des meurtres. Le gouvernement utilise surtout l’armée pour consolider son pouvoir.« Calderon a envoyé l’armée dans la rue pour le protéger lui, et pour essayer d’obtenir, à travers l’exercice de la violence, la légitimité sociale qu’il n’a jamais réussi à obtenir à travers les urnes », analyse John Gibler. La prohibition demeure un échec, mais reste la seule politique menée depuis toujours.
Le journaliste Ismael Bojorquez livre son analyse du narcotrafic et sur les solutions pour l’endiguer. La misère sociale demeure une cause importante qui explique que de nombreux jeunes se tournent vers l’économie illégale. Ensuite, l’Etat refuse de s’attaquer aux piliers du narcotrafic. Les politiciens qui collaborent avec les cartels ne sont pas inquiétés. Ensuite, les structures économiques et les circuits financiers des cartels ne font l’objet d’aucune enquête. « Comme je dis toujours, il y a deux choses que Calderon n’a jamais attaquées : l’économie des mafias de la drogue et leurs relations avec le monde politique », analyse Ismael Bojorquez. La stratégie du gouvernement consiste au contraire à soutenir le cartel de Sinaloa pour éradiquer les autres cartels. Mais cette politique ne débouche que vers le renforcement de Sinaloa sans réduire le niveau de violence.
Le journaliste John Gibler propose une description approfondie de l’univers du narcotrafic au Mexique. Il montre bien le lien entre les milieux de la politique, du crime et des affaires. L’Etat, l’armée et la police ne tentent pas d’endiguer le commerce de la drogue mais cherchent surtout à le contrôler.
En revanche, le livre avance des propositions sympathiques mais qui semblent peu crédibles. John Gibler dénonce la répression et propose la dépénalisation de la drogue. Il évoque également une lutte financière contre l’argent issu des trafics.
C’est sans doute s’illusionner sur l’Etat et le gouvernement pour songer à une telle politique. Mais, surtout, c’est une fausse bonne solution qui ne tient pas compte d'une analyse du système mafieux. Le narcotrafic a envahit l'Etat, la police et l'armée. L'appareil bureaucratique et les institutions semblent défendre les mêmes intérêts que les mafias et ne vont donc pas lutter contre la drogue. Une partie du trafic au Mexique est même directement géré par l'armée. L'Etat lutte pour le contrôle du trafic, même pas pour son éradication. Les classes dirigeantes profitent de ce commerce illégal qui participe à l'enrichissement du pays.
La mafia s'apparente surtout à la logique capitaliste dont elle apparaît comme une caricature. La concurrence se règle par les armes et la violence, mais la logique reste la même. La crise du capitalisme et de l'économie légale peut également expliquer le développement du narcotrafic. Pour mettre un terme aux entreprises du crime et à leur conséquences, aménager le capitalisme et réguler le commerce de la drogue semble illusoire.
John Gibler propose des analyses pertinentes, mais sans perspectives politiques. Il décrit un monde de violence féroce mais n'évoque pas les mouvements sociaux au Mexique qui peuvent permettre de combattre l'Etat et le capitalisme.
Source : John Gibler, Mourir au Mexique. Narcotrafic et terreur d’Etat, traduit par Stephen Sanchez et Anna Touati, CMDE, 2015
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