Miami : art et urbanisme

Publié le 16 Août 2015

Miami : art et urbanisme
Un reportage gonzo évoque la ville de Miami pour jeter un regard critique sur la colonisation de l'espace public par l'art et l'urbanisme.
 

La ville de Miami semble connue pour deux évènements majeurs. La répression des manifestations contre les négociations de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) mais aussi l’Art Basel Miami Beach, un marché de l’art international, incarnent cette ville. Même si ces évènements semblent exceptionnels, ils correspondent à l’image que souhaite donner la ville d’elle-même. Les flics anti-émeutes et le marché de l’art ne sont pas présents en permanence.

Le journaliste Erick Lyle propose un reportage gonzo pour sur l’Art Basel pour jeter un regard critique sur la société dans le livre intitulé Quand l’art investit la ville. « Néanmoins, la luxueuse foire de l’art incarne, au même titre que la répression violente des manifestations, les plus vieux désirs enfouis de Miami, les fantasmes de sexe et de pouvoir qui sont aux origines même de la ville », souligne Erick Lyle.

La vie paisible, avec bonne bouffe, bonnes drogues et art contemporain, est incarnée par Miami. Cette ville renvoie également à Scarface et à Grand Theft Auto : Miami Vice. La réussite nécessite d’écraser tous ses opposants dans la course au profit.

Pourtant, deux visions de Miami s’affrontent. D’un côté, le maire Many Diaz souhaite transformer cette ville pauvre en capitale mondiale de l’art. Musées, galeries et appartements neufs sont construits. De l’autre, un important mouvement de squatteurs, incarné par Take Back the Land, développe des pratiques de solidarité et de lutte contre les projets urbains.

 

                                                 

 

Art et colonisation marchande

 

Le reportage d’Erick Lyle permet d’observer le lien entre l’art et la gentrification. « Art Basel Miami Beach attire tous les ans quarante mille personnes qui viennent voir des expositions et faire la fête, mais surtout regarder des célébrités en train de voir des expositions et faire la fête », ironise Erick Lyle. Miami est devenu une capitale de l’art autour de 2002, dans les beaux jours de la bulle immobilière. Les quartiers sortent transformés. De gigantesques bâtiments sont construits. De nombreux appartements de luxe sont construits. Le marché de l’art permet le développement du marché de l’immobilier.

Avec l’Art Basel, la créativité la plus subversive devient une simple marchandise. Matisse, Kooning et Marcel Duchamp se présentent sur le même étal. Sans la moindre contextualisation ou description de leurs démarches artistiques. Cet évènement bling bling se réduit à un étalage de fric et au vulgaire luxe tapageur. Ce marché de l’art à ciel ouvert colonise également les quartiers populaires. Overtown, le ghetto afro-américain, et le quartier portoricain de Wynwood conservent des loyers modérés. Mais, au cours de l’Art Basel, ils sont envahis de bars branchés, de galeries, de lieux de fête, avec fresques et graffitis.

« J’ai changé l’image de ma ville de Scarface en Art déco », lance Craig Robins qui dirige une entreprise de développement du Design District. Il contribue au développement du tourisme en restaurant les motels de Miami Beach. « Robins, quarante-six ans, est probablement l’homme qui incarne le mieux les goûts et les valeurs du nouveau Miami, où l’art et l’immobilier sont devenus aussi inséparables que le soleil et la plaisir », décrit Erick Lyle. Le développement de l’art, avec ses lofts et ateliers, permet d’augmenter le prix de l’immobilier. « Il donne des ateliers aux artistes, qui pensent qu’il va acheter leurs œuvres et lancer leur carrière, mais c’est l’inverse qui se produit : leur art donne de la valeur à ses bâtiments », témoigne un artiste.

Le design, l’immobilier et l’art doivent permettre « de faire de Miami une marque », selon Robins. Il cherche à attirer restaurants, haute couture et commerces de luxe dans les quartiers populaires à travers des fêtes et des expositions. Pétri des idées de la gauche progressiste qui défend la culture, Robins n’en méprise pas moins les classes populaires. Surtout, lorsque des luttes s’organisent contre l’augmentation du prix des loyers.

Miami cultive son image de marque pour ne pas apparaître comme une ville pauvre, même si beaucoup de ses habitants vivent dans la misère. Robins estime que le feuilleton des années 1980, Deux flics à Miami, a véritablement « changé l’horreur bien réelle à l’époque des cow-boys de la cocaïne en un fantasme basé sur le sex-appeal et la mode ».

 

brooklyn-street-art-obey-miami-2010-web

 

Récupération de la contestation

 

Erick Lyle croise Agent H. Cet activiste anarchiste qui participait aux contre-sommets altermondialistes arpente désormais les fêtes branchées de Miami. Dans les rues qui ont vus des affrontements entre la police et les manifestants s’organisent désormais des expositions.

Le street art apparaît comme une belle arnaque. Des fresques sont subventionnées mais dans des quartiers qui abritent déjà des graffitis créés de manière illégale. Ce street art sponsorisé semble particulièrement artificiel. Le message inoffensif de défense de la liberté d’expression semble d’autant plus ridicule qu’il est protégé par des vigiles. Surtout, il s’avère être une publicité pour une exposition.

Fairey, figure du stress art, se vit en véritable rebelle. Nourrit de la culture punk et skateboard, il prétend adresser un discours contestataire. Mais il n’aime pas que d’autres personnes s’aventurent à peindre sur ses fresques. Il incarne une fausse contestation pour une petite bourgeoisie intellectuelle qui se veut branchée. Fairey « a cyniquement transformé la culture du graffiti en une campagne de pub et d’autopromotion frivole qui ressemble à s’y méprendre à celle des marques », ironise Erick Lyle. L’artiste a même conçu l’affiche de campagne pour Obama dont il se garde bien de critiquer la politique. Ses fresques dans un quartier populaire de Miami contribuent à augmenter le prix des loyers.

 

Art Basel semble échapper à la crise économique mondiale. Les ventes ne cessent d’augmenter. La sérigraphie d’Andy Warhol qui représente Mao se vend à plus de deux millions de dollars. L’art récupère très facilement le moindre symbole contestataire pour en faire une marchandise. Des artistes tentent de subvertir Art Basel de l’intérieur. Ils prétendent attaquer le marché de l’art. Un catalogue du festival Art Basel est brûlé et des stands se moquent du monde de l’art. Paetau propose une vidéo qui révèle toute la vacuité de sa démarche. Il boit de l’eau salée et se rend sur le parvis de l’Art Forum Fair de Berlin. Il commence à vomir au milieu de la foule et le défilé des amateurs d’art s’interrompt. Mais il est rapidement posé sur une chaise, son vomi est recouvert par une feuille de journal et son action est déjà oubliée.

Une œuvre très provocante propose huit portraits de prostituées photographiées dans les rues de Miami. Cette œuvre est censée comparer le monde de l’art à celui de la prostitution. Mais le jeune artiste fringant ne semble pas aussi atteint que ces femmes ravagées par la drogue et la misère. Si cette exposition est intéressante, c’est qu’elle fait entrer les classes populaires de Miami dans un marché de l’art clinquant dont elles sont évidemment exclues.

Cette fausse contestation artistique ne fait qu’alimenter le marché de l’art. « Voilà le problème des insurrections artistiques contre le monde de l’art, pensai-je. Elles sont généralement organisées par des gens qui souhaitent devenir célèbres dans ce même monde », observe Erick Lyle. La contestation de l’art n’est pas une démarche politique mais reste un objet artistique.

 

                  http://i2.wp.com/www.sfbayview.com/wp-content/uploads/2010/05/Take-Back-the-Land-liberates-foreclosed-home-for-family-in-Miami.jpg

 

Résistances et critique sociale

 

Le journaliste termine son reportage par l’évocation du collectif de squatters Take Back the Land. Cette forme de lutte semble ouvrir de nouvelles perspectives. Des logements vides sont occupés illégalement. « Nous ne nous soucions pas de ce qui est légal, mais de ce qui est moral. C’est tout simplement immoral qu’il y ait des gens à la rue alors que ces maisons sont vides », affirme Max Rameau, le fondateur du collectif.

Ce combat légitime pour ne pas laisser des gens à la rue obtient facilement le soutien de la population, et même des médias. Les classes populaires peuvent ainsi se loger à Miami. Le fort soutien populaire empêche la police d’expulser les squats. Mais cette lutte semble surtout présente à Liberty city, le quartier le plus pauvre de Miami. Ce qui explique la tolérance des autorités. Mais le collectif risque aussi de s’en prendre aux superbes immeubles du centre-ville à moitié vide.

 

Ce court livre renoue avec la tradition du journalisme gonzo. Un reportage, vivant et descriptif, permet de présenter de nombreux aspects de la société moderne. Ce phénomène d’embourgeoisement urbain rappelle furieusement le phénomène des hipsters et des bobos avides de culture branchée et encensés par les médias. Un pseudo journalisme gonzo, incarné le webzine Vice, parvient à récupérer cette forme de reportage. Mais c’est un exotisme artificiel qui prédomine souvent. L'écriture à la première personne peine alors à masquer la vacuité de l'article. La récupération marchande de la culture underground est loin d’être critiquée par ces nouveaux journalistes. Mais des reportages peuvent aussi illustrer une critique sociale et nourrir de véritables analyses.

Ce regard original sur la ville de Miami permet de montrer les dérives de la logique capitaliste. Cette cité américaine illustre l’évolution de l’urbanisme partout dans le monde. Une culture superficielle et branchée remplace l’authenticité des cultures populaires. La ville est nettoyée de ses habitants les plus pauvres pour devenir le parc d’attraction d’une petite bourgeoisie intellectuelle en mal de sensation forte. Mais des luttes collectives peuvent permettre d’égratigner les projets des promoteurs immobiliers. Ces mouvements permettent de se réapproprier l’espace et la vie quotidienne contre la colonisation marchande.

 

Source : Erick Lyle, Quand l’art investit la ville, traduit par Julien Besse et Gaël Dauvillier, CMDE, 2015

 

Articles liés :

Lutte des classes et urbanisme à Paris

Détruire l'urbanisme et son monde

L'expérience des squats parisiens

Lutte urbaine et révolte sociale au Brésil

Pour aller plus loin :

Compléments au livre publiés sur le site du Collectif des métiers de l'édition

Erick Lyle, Can I get in the van ?, publié sur le site Vice le 14 mai 2013

Articles publiés sur le site de la revue Inégale

Olivier Cyran, En Floride, l’éternel espoir du rebond, publié en août 2012 dans Le Monde diplomatique, mis en ligne sur le site Ere Transat

Dossier Luttes urbaines, mis en ligne sur le site du groupuscule Alternative Libertaire le 10 février 2015

Politikon Urbain, L’urbanisme situationniste : une notion à la dérive, publié sur le site Le Comptoir le 29 novembre 2014

Fabien Bon, « L’urbanisme sert à faire la guerre », Et alors ? n°6, 2010
"Montpellier : au sujet de l'appel du 17 décembre contre l'urbanisme capitaliste", publié le 14 novembre 2011 sur le site squat.net 
Rubrique « Urbanisme, mixité sociale et gentrification » sur le site Non Fides
Rubrique « Urbanisme » sur le site Infokiosques
Rubrique "Critique urbanisme" sur le blog Laboratoire Urbanisme Insurrectionnel

Publié dans #Actualité et luttes

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article