L'expérience des squats parisiens

Publié le 13 Novembre 2011

 

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L’expérience, la subjectivité critique et le témoignage permettent de souligner les limites des squats politiques, mais également la tentative de créer des espaces plus émancipateurs dans une société capitaliste.
 
Un livre de Jean Berthaut immerge ses lecteurs dans l’ambiance des squats et du mouvement autonome et alternatif parisien de la fin des années 1990. Ce document subjectif s’appuie sur de nombreux témoignages qui permettent de découvrir la richesse mais aussi les limites et la fragilité des squats politiques.
Le squat s’apparente à une occupation illégale qui s’inscrit dans la tradition du mouvement ouvrier. Les travailleurs luttent contre leur patron mais aussi, en dehors de l’usine, contre leur propriétaire. Des grèves de loyers sont organisées, par la CNT espagnole en 1931 par exemple, pour protester contre l’augmentation des prix du logement. Le squat s’inscrit dans une lutte pour construire un rapport de force afin de loger des familles. A partir des années 1968, des militants occupent des logements par choix politique. En Italie, les squats permettent d’étendre la lutte ouvrière de l’usine au quartier. Les squats permettent progressivement de se réapproprier un espace pour organiser des activités. Si les squats se développent, la répression se fait toujours plus forte. Surtout lorsque les intérêts de l’industrie immobilière sont en jeu.
 
Routine rebelle
Le témoignage de « Nicolas » fait revivre l’atmosphère du milieu alternatif parisien. Ses autonomes sont liées au milieu étudiant et participent à diverses actions en solidarité avec les chômeurs ou les sans papiers. En revanche, ils privilégient l’activisme et les émotions fortes à la construction de véritables luttes et rapport de force sociaux. « Mais il était rare que ces actions servaient à quelque chose » confie Nicolas. L’ouverture d’un squat s’apparente à une action sympa qui incarne un style de vie vaguement rebelle. « Intéressant comme aventure, explorer les choses par curiosité. C’est bien quelque chose que les garçons sont toujours encouragés à faire: découvrir, prendre des risques, toujours la même chose hein ! » confesse Nicolas.
Son témoignage ne masque pas les tensions humaines qui existent et l’absence de construction d’un projet commun en dehors de « squatter, c’est cool ». Il se révèle très lucide par rapport aux actions engagées par les squatters. Ses actions n’ont pas vraiment de sens politique et aucune prise réelle sur la réalité sociale. En revanche, Nicolas regrette le peu d’actions qui modifient la vie de quartier concrètement. Il souligne que le squat n’est pas un combat en soi. « Quoi que ce soit, sous quelle forme que ce soit, de l’écrit, des relations, des rencontres… tu fais qu’il y ait des choses en plus » que la simple habitation dans le squat souligne Nicolas. Il insiste également sur les limites du mode de vie rebelle avec le squat, le vol, la fraude. La plupart des personnes qui développent ses pratiques sociales peuvent se le permettre sans prendre de risque. Mais ce mode de vie ne peut pas se répandre à l’ensemble de la population.
 
Jean, l’auteur du livre, est interrogé en dernier. « Je pense qu’il y a une recherche d’affirmation de soi. Il y avait une volonté de nous affirmer par nous même et de couper les ponts avec notre milieu d’origine qui était souvent la classe moyenne instruite », analyse Jean. Malgré des espaces collectifs, les squats se distinguent des communautés de type hippie. Jean évoque la pratique du vol qu’il présente comme subversive mais permet surtout de se conformer à la société de consommation et à la norme marchande. Mais l’idée de défi prime souvent sur la réflexion politique. « Beaucoup cherchaient une reconnaissance » parmi ceux qui, dans le mouvement alternatif, volent souvent. 
 
« Mathieu » participe à la lutte de solidarité avec les révoltés du Chiapas et aux débuts du mouvement des chômeurs. La lutte et le débat politique lui permettent d’exprimer sa révolte et d’affirmer sa personnalité. Mais il se conforme rapidement au milieu squat qu'il décrit comme assez « normé ». Il décrit une « fascination pour l’illégalité. Ce qui n’est pas légal, c’est cool ! ». 
 
Cette routine de la rébellion, avec l’exaltation de l’illégalisme, s’apparente davantage à un folklore pseudo-contestataire plutôt qu'à une véritable stratégie révolutionnaire. Mais cette révolte peut également se traduire par la construction de mobilisations sociales. Les luttes politiques doivent permettre de changer la société mais permettent également une émancipation individuelle immédiate. Surtout, lorsque le plaisir prime sur l’ennui militant.
 
Lutter c’est vivre
« Loïc » évoque sa révolte contre la société et son engagement dans les luttes. Il participe avec Manue aux « banquets socratiques ». « Je voulais faire ce que j’ai envie et me faire plaisir. Les mouvements de grève au lycée ou à la fac étaient les seuls moments où on avaient un espace de liberté », souligne Loïc. Il participe au mouvement de l’hiver 1995 et à la lutte des sans papiers. Cependant, il ne tente pas d’abattre le système capitaliste. « J’étais plus dans l’optique d’échapper au système que de vouloir le changer », confie Loïc. Il découvre les squats en participant à l’occupation d’un bâtiment avec des sans papiers, mais recherche davantage la convivialité plutôt que l’expression de la révolte. 
 
« Etienne » découvre la lutte sociale avec les grèves de 1995 et participe au mouvement des chômeurs de 97-98. « Le militantisme est une façon de cracher son malaise » selon lui. « Je cherche un équilibre dans mes rapports sociaux entre mes désirs, ma mise en pratique, et une harmonisation égalitaire avec les autres » explique Etienne. Il n’a pas vraiment de recul critique sur les squats qui, selon lui, permettent de modifier la vie quotidienne. « Quand tu vis intensément, tu exprimes des désirs et des sentiments que tu n’exprimes pas autrement: tu va avoir envie d’organiser un concert, envie de peindre ta chambre, de fabriquer un hammam, de donner des cours de français à des immigrés, de créer, de vivre des choses avec des gens… », ressent Etienne. Mais cette démarche semble plus politique que spécifique à la vie en squat. « Après, je pense qu’au moment où j’ai eu des relations fortes avec les gens, ce n’était pas directement lié aux squats, ce n’est pas lié au lieu où je vivais, mais aussi à mon engagement politique » explique Etienne. Il ne nie pas les rapports de domination et les inimitiés qui existent également dans les squats. 
 
Pour « Ludivine » , le militantisme permet de découvrir des idées nouvelles, avec la passion du débat, et surtout une socialisation. L’anti-sexisme la conduit vers des squats non mixtes en Suisse. Son discours sur ses expériences semble peu critique. Elle vit ensuite dans des squats mixtes à Paris.
 
Les luttes sociales des squatters semblent également s’inscrire dans une démarche alternative. Lutter permet de mieux vivre dans ce monde mortifère, mais ne tente pas de s’attaquer directement à l’ordre social pour le détruire. Surtout, les échecs des luttes sociales peuvent renforcer une dérive alternativiste pour sombrer dans le communautarisme.
 
L’impasse des communautés
« Patrice » découvre le milieu squat à travers le mouvement alternatif et les concerts punks. Son discours est peu critique. Il évoque l’importance des activités, des rencontres et de la créativité qui existent dans les squats. Cet aspect est probablement celui qui modifie le plus la vie quotidienne. En revanche, il insiste sur la vie en groupe sans remettre en cause le communautarisme qui s’oppose à la liberté individuelle. Selon lui, la vie de groupe permet de rompre avec l’isolement. Mais si quelques personnes vivent ensemble en permanence, elles sont coupées du reste de la population et s’isolent à leur tour. « Pour nous, le fait d’avoir une maison en commun a vite créé un phénomène de groupe plus ou moins fermé », reconnaît Pat. De plus, vivre ensemble en permanence alimente de nombreuses tensions après la période de formation du groupe affinitaire. 
 
« Manuela » découvre progressivement le militantisme. Elle participe à l’organisation de « banquets socratiques » qui doivent briser la routine de la vie étudiante en créant un espace de rencontres et de discussions dans les universités. Les squats sont liés à la lutte des sans papiers qui occupent des bâtiments à la fin des années 1990. Manue conçoit donc le squat comme un lieu occupé et comme un espace de rencontres. Elle insiste également sur son attachement à la vie communautaire. Manue évoque les problèmes entre les habitants du squat qui cherchent un logement et ceux qui tentent d’organiser des activités ou simplement une vie collective. Les désirs de chacun ne sont pas toujours pris en compte. 
 
Dans le numéro 78 du journal Cette semaine, daté d’octobre 1999, un ex-habitant des Zortos témoigne de différents problèmes qui existent dans les squats. « Le nombre de personnes, les divergences quant au projet du lieu ou l’absence même de projet, la dégradation des rapports humains » expliquent l’échec des squats parisiens. Cet article insiste sur l’importance d’un projet commun et d’un bon fonctionnement collectif. « Car si le squat n’est pas une fin en soi car il se « contente » d’une réappropriation partielle, c’est bien plutôt par son fonctionnement (notamment les rapports entre les gens) et son rapport à l’extérieur qu'il peut porter son projet émancipateur » conclue l’auteur de l’article.
 
Le squat peut permettre de construire une espace de rencontre et de créativité. Mais il peut aussi former une communauté recroquevillée sur elle-même. Les tensions entre individus peuvent alors s’aviver et l’ennui se propager.
 
La misère de la vie quotidienne
« Marie » évoque une révolte contre le conformisme familial mais, surtout, un engagement anti-spéciste. Il n’est pas étonnant que plusieurs squatteurs soulignent leur engagement végétarien. A l’image des hippies, ils tentent d’atténuer la médiocrité de leur petite existence plutôt que de s’attaquer à la transformation de l’ensemble des rapports humains pour rendre la vie passionnante. Marie décrit son expérience à Alésia 2, un « squat cool ». Ce squat refuse l’ouverture à l’extérieur et se préoccupe peu d’activités politiques. Finalement, de nombreux squatteurs aspirent à une vie monotone et bien rangée, mais sans payer de loyer. Surtout, qu’il ne se passe rien.
 
Le parcours militant de « Julien » traverse de nombreuses organisations. La Fédération anarchiste, Lutte ouvrière, Socialisme international, les SCALP: aucune organisation ne participe à la lutte des homosexuels. Julien lit les auteurs de l’école de Francfort, les situationnistes, Wilhelm Reich. Mais aucune lecture ne répond à ses questions en articulant homosexualité et révolution. Il s’éloigne progressivement de la politique. « C’était toujours à celui, la plus grande gueule qui l’emportait; personne ne pensait à écouter ceux qui ne parlaient jamais. Et ça, c’était exactement comme dans le système » déplore Julien. Il se réfugie alors dans les squats. Julien estime que, dans le milieu squat, la pratique prime sur la théorie et les comportements semblent alors plus humains et moins autoritaires. Bien qu’il n’apprécie pas la vie en groupe, il décide de vivre en squat pour participer aux activités du lieu et espère rencontrer d’autres homosexuels.
Mais il est rapidement déçu par la vie quotidienne dans les squats. « J’étais déçu car je m’attendais à ce que, dans les squats, il y ait l’amour libre, qu’on fasse des partouzes et tout ça ! J’ai encore vu des couples avec des relations de jalousie, de propriété… J’ai vu des grandes gueules parler dans les débats. J’ai vu des relations entre individus pas plus différentes dans les squats qu’ailleurs », observe Julien. Les squats et les alternatives ne remettent pas en cause les fondement de l’aliénation et de l’oppression sociale. Au contraire, les différentes formes d’oppression et d’aliénation traversent l’ensemble de la société, y compris les squats alternatifs. Mais Julien se tient à l’écart de l’action politique, alors que seule une révolution sociale et libertaire peut permettre de bouleverser l’ensemble des relations humaines. En revanche, cette critique du militantisme et de l’alternativisme doit être prise en compte pour créer de nouvelles formes de lutte.
 
Ses différents témoignages révèlent la démarche expérimentale des squats. Ses lieux alternatifs tentent de construire une autre manière de vivre au quotidien. Diverses activités doivent permettre aux individus qui y participent de s’épanouir et de développer leur esprit critique. En revanche, les squats révèlent les limites de la stratégie alternative qui consiste à vouloir construire des espaces en dehors de la société pour la transformer progressivement. Seul un mouvement de révolution sociale peut permettre de détruire les différentes formes d’aliénation et d’oppression pour modifier l’ensemble des rapports humains. Mais l’affirmation des désirs, la recherche du plaisir et la réalisation des passions permettent, ici et maintenant, d’esquisser des pistes pour une révolution totale. Aujourd’hui, il semble urgent d’ouvrir des espaces (mais pas forcément des squats) pour expérimenter l’agencement des désirs.
 
Articles liés:
 
Pour aller plus loin:
Jean Berthaut, Parisquat. Des squats politiques à Paris 1995-2000, Atelier de création libertaire, 2008
Des textes sur les squats sont disponibles sur le site Infokiosques

 

Rédigé par zones-subversives

Publié dans #Anarchisme révolutionnaire, #Histoire des luttes

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