Une analyse du mouvement étudiant au Québec

Publié le 10 Novembre 2014

Une analyse du mouvement étudiant au Québec
Le collectif de débrayage propose ses analyses et réflexions critiques sur le mouvement étudiant qui agite le Québec en 2012.

 

Un mouvement de révolte éclate au Québec en 2012 avec une grève étudiante et des manifestations populaires. « Du 13 février au 4 septembre 2012, le Québec est transfiguré : sept mois de grève étudiante, culminant avec la résistance aux mesures d’exception, la marée anonyme des casseroles et les émeutes quotidiennes », décrit le collectif de débrayage. Le livre collectif sur ce mouvement, intitulé On s’en câlisse, insiste sur la grève elle-même comme moyen et comme fin. Le mouvement dépasse le cadre de la question étudiante, même si le conflit est provoqué par une hausse des frais d‘inscription à l’université. La morgue du pouvoir et la créativité de ceux qui luttent déclenchent alors un mouvement d’ampleur. Ce mouvement de révolte demeure imprévisible et spontané.

Depuis 2011 et le « Printemps arabe », le vent de la révolte balaye les gouvernements. Dans ce contexte l’analyse du Collectif de débrayage assume sa subjectivité. « C’est de là que ce livre porte le regard, de cet œil résolument amoureux de la grève, résolument fasciné par ses effets et irrémédiablement partisan de ses faits d’armes », indique le collectif de débrayage. La grève précipite les choix individuels et construit un sentiment de puissance collective. La grève bloque la machine sociale et permet une démobilisation générale. La grève attaque les dispositifs de contrôle et brise les séparations entre les êtres humains.

Le mouvement au Québec dispose déjà de ses livres d’histoire et de ses commémorations qui visent à désamorcer la charge créatrice du mouvement, alors réduit à un simple exercice de citoyenneté. Le caractère destructeur de la grève et ses coups portés contre l’ordre social demeurent éludés. Mais il semble indispensable d’écrire une histoire de la grève de 2012 pour penser les mouvements à venir et ne pas avoir chaque fois à recommencer à zéro. « Pour que même des années plus tard, les désirs révolutionnaires puissent recueillir des étincelles dans la cendre des défaites », précise le collectif de débrayage. Contre la personnalisation politique, les auteurs du livre assument une démarche anonyme et collective. Étudiants, travailleurs et chômeurs, ils se définissent avant tout comme grévistes.

 

Le Québec entame dans les années 1960 une « révolution tranquille ». La rupture avec le conservatisme catholique doit permettre de moderniser l’économie. Les libéraux et les nationalistes québécois se partagent successivement la gestion de l’État. Le consensus et la peur du conflit caractérisent la société québécoise. Au gouvernement, l’économie et la bonne gestion priment sur les choix politiques.

La grève de 2012 s’annonce comme une date de plus dans les calendriers militants. Mais elle ne semble pas capable de perturber la routine du quotidien. « Les urbanistes avaient amené tous les racoins à la transparence, la novlangue néolibérale avait dépolitisé le vocabulaire public de toute référence au conflit et le libéralisme existentiel avait gagné les consciences à la "quête de soi" dans des modes de vie pré-usinés et interchangeables », décrit le collectif de débrayage. La crise économique menace moins que la multiplication des dépressions individuelles.

 

   Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la CLASSE, participe à une manifestation lors du 100e jour de la grève étudiante.

Le syndicalisme de la CLASSE

 

La présence d’un syndicalisme étudiant de lutte distingue le Québec. Pour ces partisans de l’action directe, seul un rapport de force, qui repose sur la grève générale, peut permettre de faire reculer le gouvernement.

Mais le syndicat de la CLASSE repose aussi sur une routine militante. Un mouvement de lutte doit s’appliquer comme une science syndicale avec des étapes précises et exécutées dans l’ordre. La campagne syndicale commence toujours par une entreprise de mobilisation. Pendant deux ans, le syndicat doit argumenter et faire de la pédagogie auprès des étudiants pour préparer une grève. Les centrales syndicales disposent d’importants moyens financiers. L’adhésion à un syndicat semble obligatoire mais les grèves politiques, hors de revendications corporatistes, sont considérées comme illégales. Les syndicats sont donc financés pour empêcher les grèves sauvages. Les associations étudiantes reposent sur ce même modèle et oscillent entre l’organisation politique et le club de jeunes.

 

Le syndicalisme de combat de la CLASSE doit se soumettre au protocole de l’autogestion. Des brochures expliquent les gestes et les recettes infaillibles pour imposer l’autogestion. Les militants sont formés pour appliquer le protocole. L’Assemblée générale, avec ses multiples règles inaccessibles aux néophytes, devient le principal espace de décision. « La fonction profonde du code est plutôt de donner l’apparence de neutralité à une institution où se jouent des enjeux foncièrement polarisants », observe le collectif de débrayage. Les procédures autogestionnaires permettent de masquer les véritables enjeux politiques. Mais les stratégies partisanes perdurent.

L’Assemblée générale s’apparente à un rituel monotone sans conflit, sans débat ni animosité. « Pour éviter les soucis, il vaut mieux marcher sur des œufs et s’adresser d’une voix impersonnelle à un sujet rationnel abstrait », ironise le collectif de débrayage. La procédure doit éradiquer la politique passionnelle. Le syndicalisme de combat semble encore plus tiède, démocrate et légaliste que la démocratie parlementaire elle-même. Ce qui n'empêche pas la CLASSE de vouloir imposer ce modèle de démocratie directe à la société toute entière.

 

Les fédérations étudiantes se composent en revanche d’apprentis politiciens qui délèguent la mobilisation à la CLASSE et se proposent comme médiateurs avec le gouvernement une fois la grève enclenchée. Mais la CLASSE s’oppose surtout aux « groupes affinitaires » jugés trop radicaux car ils insistent sur l’importance de la spontanéité et des désirs. Mais cette opposition artificielle doit surtout permettre de justifier la nécessité de rejoindre l’organisation syndicale.

En 2005, un mouvement étudiant spontané échoue. Le gouvernement dénonce la violence des grévistes. La CLASSE reprend ce même argumentaire pour dénoncer les grèves sauvages trop radicales et aventuristes. Mais le syndicat intègre aussi les plus radicaux qui se révèlent souvent les plus actifs et offensifs. « Et c’est dans le compromis établi entre l’organisation abstraite et la politique passionnelle que se trouve le secret de sa puissance », observe le collectif de débrayage.

Le syndicat adopte une « diversité des tactiques » pour permettre l’expression de diverses formes d’action. Les modérés s’appuient sur les actions directes pour faire pression sur le gouvernement. Les radicaux utilisent les moyens financiers et la légitimité démocratique du syndicat pour agir. Les radicaux peuvent se réduire à des activistes au service du réformisme de la CLASSE. Mais ils préfèrent concevoir le syndicat comme un simple moyen.

 

Les syndicats se focalisent sur la revendication contre la hausse des frais d’inscription. Ils adoptent une posture défensive et réformiste de défense des acquis de la « révolution tranquille ». Mais la hausse des frais d’inscription n’est pas uniquement privative, elle façonne un nouveau mode de vie. Le discours contre la hausse reprend les débris de l’idéologie keynésienne. L’éducation doit permettre de former de nombreux salariés qualifiés pour rendre le Québec compétitif sur le marché mondial. La CLASSE reprend le discours citoyenniste. L’éducation ne doit pas se soumettre aux impératifs du marché mais doit aussi former des citoyens critiques selon ce discours. Cette réforme de l’éducation s’inscrit dans la ligne des profs et de la social-démocratie qui veut sauver l’école des impératifs marchands. La défense du Bien commun remplace la lutte des classes.

La hausse ne revoie pas uniquement à une perte. Cette mesure impose aux étudiants de s’endetter, et donc de se soumettre pour le reste de leur vie au travail et à l’économie. Les syndicats se focalisent sur l’éducation pour éluder la question de la dette comme technique de gouvernance par la culpabilité et l’angoisse. Chaque individu doit alors gérer sa vie comme une entreprise.

 

            Jungle urbaine

Les débuts du mouvement étudiant

 

Depuis deux ans, la CLASSE prévoit de déclencher une grève en 2012. Le mouvement ne doit pas apparaître comme sauvage et spontané, mais comme l’aboutissement ultime après de multiples actions symboliques. La grève doit finaliser le scénario du syndicalisme de lutte après des étapes précises. « Un grand soin est donc porté à construire l’image de l’escalade, par une succession d’actions inéluctablement vouées à l’échec », observe le collectif de débrayage. Les manifestations inutiles scandent les épisodes d’une série qui doit montrer la violence de la police et le mépris du gouvernement. Les premières semaines de grève, les étudiants sortent de l’université pour augmenter la mobilisation et amplifier le mouvement.

Si les occupations d’universités échouent, la grève mobile permet de se réapproprier l’ensemble du territoire de la ville. Des actions de blocages se multiplient pour empêcher le fonctionnement des lieux de circulation. Le blocage des ponts perturbe la mobilité de la main d’œuvre.

Les anti-grévistes s’organisent. Les carrés verts se composent d’étudiants hostiles au mouvement. Bien que fortement médiatisés, leurs pleurnicheries grotesques n’ont aucun écho. Les administrations des universités incitent à la reprise des cours à travers des messages sur internet. Des universités sont totalement fermées, selon la vieille pratique patronale du lock-out. Des grévistes sont réprimés et passent en conseil de discipline. Dans la rue la violence policière permet aux illusions pacifistes de s’envoler.

La radicalisation du mouvement lui donne une dimension existentielle. « La violence qui fuse, loin d'étouffer la grève, engendre des affects nouveaux, fait parler des inconnus, les forçant à prendre parti, voire à prendre part », souligne le collectif de débrayage. Des comités d’action autonome, au-delà du mouvement étudiant, se multiplient. La lutte semble s’élargir à l’ensemble de la population. La manifestation du 22 mars demeure un succès qui ne permet plus de présenter le mouvement comme minoritaire.

 

Mais le gouvernement ne semble pas davantage ouvert à des négociations. Soutenu par les médias, il minimise un mouvement d’ampleur. La stratégie syndicale échoue puisque la manifestation monstre est censée aboutir au succès du mouvement, comme point d’orgue de l’agenda militant. Le mouvement peut sortir de la planification militante. La grève s’amplifie. Avec l’échec de la mobilisation par délégation syndicale, tout le monde prend part à la grève. Les diverses formes de créativité et de subjectivité peuvent se libérer.

Des actions de blocage se multiplient. La créativité s’accompagne d’un discours offensif au cours de manifestations aussi burlesques que révoltées. Des défilés festifs au parcours indéfinis deviennent incontrôlables pour la police. Les actions deviennent ludiques et spontanées, irriguées par une culture jeune et un esprit de défiance à l’égard du monde adulte. Tags, détournements de publicités, vitres brisées et autres actions symboliques apparaissent.

Lorsque la jeunesse devient ingouvernable, seule une forte répression semble pouvoir la contrôler. Des injonctions juridiques obligent à faire cours. La grève perd sa justification légaliste. Les patrons dénoncent également un mouvement qui nuit au bon fonctionnement de l’économie. Mais des émeutes permettent d’exprimer une force collective face à la police. La victoire est totale, notamment au Salon du Plan Nord, sans la moindre arrestation.

 

Le gouvernement se montre ouvert à des négociations, à condition que les syndicats étudiants dénoncent les actions violentes. Pourtant, c’est bien la casse incontrôlée qui fait peur au pouvoir et l’oblige à négocier. La CLASSE, avec sa lourdeur autogestionnaire, ne peut pas prendre position dans l’immédiat sans consulter l’ensemble de ses membres. Une manifestation nocturne, avec saccage de banques et de voitures de police, est organisée. La CLASSE, qui refuse pourtant d’endosser la responsabilité de l’organisation de cet évènement, se trouve exclue des négociations.

Finalement des bureaucrates de la CLASSE peuvent participer aux négociations, armés de leurs rapports économiques et de leur esprit gestionnaire. Mais le gouvernement modifie les accords signés. La hausse des frais d’inscriptions demeure toujours prévue. Les négociations semblent échouer et les illusions sur l’honnêteté des dirigeants politiques s’effondrent.

 

             

L’élargissement de la lutte

 

Les perspectives du mouvement semblent limitées. Une grève d’étudiants ne perturbe pas énormément le bon fonctionnement du capitalisme. Le gouvernement semble attendre tranquillement un essoufflement de la lutte.

Alors que de véritables négociations sont attendues par une partie de la population, le gouvernement privilégie la répression avec le vote d’une loi spéciale. Le véritable visage de l’État apparaît. Le pouvoir tente de briser toute forme de grève. Toute personne qui ne remplit pas avec zèle sa fonction sociale est sanctionnée. A partir du 19 mai, les manifestations deviennent illégales. La loi spéciale débouche vers un mouvement massif de désobéissance et d’illégalisme. Si les manifestations nocturnes virent à l’émeute, l’esprit ludique perdure et se renforce dans la combativité. Les chants, les slogans et les mascottes accompagnent les manifestations.

Avec la loi spéciale, le mouvement s’élargit au-delà des étudiants. Une grande partie de la population participe à la protestation. Le bruit des casseroles doit permettre d’exprimer sa colère sans prendre le risque de descendre dans la rue, désormais violemment réprimée. Mais des manifestations spontanées s’organisent au bruit des casseroles. Chacun peut rejoindre des cortèges sans service d’ordre ni trajet prédéfinit. La politique ne passe plus par des médiations, mais par l’expérience directement vécue. Les pratiques d’insoumission devancent les discours. « Le sérieux, les revendications, le programme, toutes les conventions du décorum et de la légitimité sont mises à mal, ne suffisant plus à traduire l’expérience vécue », analyse le collectif de débrayage.

 

Même si le mouvement s’élargit au-delà du milieu étudiant, les casseroles n’attaquent pas davantage la sphère de la production. Même si le mot d’ordre de "grève sociale", en dehors du cadre syndical, circule dans les cortèges. Les manifestations bruyantes ne permettent pas la rencontre et la discussion. Des Assemblées Populaires Autonomes de Quartier (APAQ) s’organisent. Mais cette forme d’organisation révèle ses limites. Des procédures priment sur la fluidité des échanges. Surtout, les APAQ se contentent de soutenir la grève étudiante et refusent de prendre part au conflit directement.

L’assemblée demeure une forme ambiguë traversée par des sens opposés et des destins contraires. La forme assemblée a aussi débouché sur le parlementarisme ou sur le soviétisme qui demeurent des organisations bureaucratiques. « Il importe d’y distinguer deux avenues antagoniques : soit elle se pose sous une forme constituante en cherchant à fonder une nouvelle société, ou alors elle assume n’être que la limite qui va défaire le pouvoir en place sans se hasarder à le remplacer », analyse le collectif de débrayage.

Dans les nouveaux mouvements de lutte, les assemblées peuvent se contenter de faire pression sur le pouvoir ou, au contraire, tenter de le détruire pour le remplacer. « Bref : comment se passer de gouvernement, et non pas comment mieux gouverner ? », résume le collectif de débrayage. Les APAQ deviennent des forces de destitution lorsqu’elles brisent l’isolement affectif en confrontant les désirs concrets des personnes présentes. Lorsque les APAQ parviennent à sortir du formalisme démocratique, elles deviennent des expérimentations importantes pour la suite.

 

Le 22 mai, une nouvelle manifestation dépasse les précédentes pour atteindre une ampleur historique. Mais c’est l’épisode qui marque le sommet et le début de la fin du mouvement. Les manifestations, même les plus massives, semblent impuissantes. Le rapport de force reste inchangé et la répression ne cesse de se durcir.

Le mouvement subit désormais la muséification et la récupération. Il est commémoré comme un évènement du passé devenu inoffensif. La presse branchée et l’élite du swag s’emparent du « Printemps érable » comme une révolution cool. Le cinéaste Xavier Dolan et autres vedettes récupèrent la créativité de la lutte et arborent un carré rouge. « À partir du moment où c’est devenu plus cool d’aller aux manifs de soir que de sortir dans les clubs, la grève est en passe de pousser son "dernier cri" », observe le collectif de débrayage. La mode hipster privilégie la distance ironique et superficielle à la passion et à l’intensité de la lutte. Cette esthétique de la dissidence reste soumise à l’ordre existant.

Le mouvement décline. L’année universitaire s’achève et les établissements demeurent fermés. Il ne reste de la lutte que sa représentation, à travers la CLASSE et les élections.

 

Une analyse du mouvement étudiant au Québec

L’échec du mouvement

 

La CLASSE montre son vrai visage de bureaucratie électoraliste. Le syndicat étudiant n’envisage pas de poursuivre le mouvement ou de lui donner un nouveau souffle à la rentrée universitaire. En l’absence de perspectives, les élections sont présentées comme un débouché politique naturel par la CLASSE. Pour les syndicalistes, une lutte doit se contenter de faire pression sur le pouvoir, mais pas d‘en finir avec l’oppression marchande. « Rapidement, le récit progressiste recouvre la révolte existentielle : plutôt que de transformer irrémédiablement la vie, le mouvement ne sert plus qu’à améliorer indéniablement la société », souligne le collectif de débrayage. Le citoyennisme tente d’inventer de nouveaux sujets révolutionnaires, comme les cyber-activistes ou les étudiants, pour éviter un mouvement de l’ensemble du prolétariat. L’État et les institutions sont considérés comme des outils neutres sur lesquels il suffit de faire pression pour changer la société.

Avec les Assemblées générales, ce sont les militants eux-mêmes qui mettent en œuvre les procédures pour mettre un terme à la grève. La démocratie associative accompagne la démocratie représentative pour achever la lutte. « Le mouvement reste pris avec cette base de légitimité qui n’émane pas de lui, l’AG demeurant l’outil de gestion normale de la vie étudiante, non un moyen de lutte ayant émergé de ses propres nécessités », analyse le collectif de débrayage. Mais le vote des AG a surtout révélé un résultat serré avec de nombreux étudiants qui souhaitent reprendre la grève mais qui doivent se plier à la bureaucratie autogestionnaire.

 

En septembre, c’est le retour à la normale. Toute trace de conflictualité est effacée. Les associations étudiantes crient victoire lorsque le gouvernement limite les frais d’inscription et considère la lutte définitivement achevée. Les syndicalistes et bureaucrates étudiants ne perçoivent pas l’originalité d’un mouvement qui repose sur la spontanéité de la base gréviste.

Les nouveaux mouvements contestataires permettent de liquider l’altermondialisme qui prétend penser global et agir local. Cette distinction semble dépassée. Les points locaux semblent les reflets de tous les autres. Chacun peut se reconnaître dans une lutte locale qui évoque des dimensions transversales. « Car dans un monde véritablement mondialisé, attaquer un endroit précis c’est attaquer l’ensemble », analyse le collectif de débrayage.

Une culture de grève émerge de la créativité et de la spontanéité. « Dépassant par là l’opposition entre la lutte et le jeu, la détermination et la rigolade, cette culture a gagné en intensité à chaque affront », observe le collectif de débrayage. La lutte ne repose pas sur le sacrifice militant, mais sur le jeu et le plaisir. La grève construit une véritable contre-culture et crée ses propres moyens d’expression, malgré le mécanisme de la récupération.

Le comité média de la CLASSE s’autonomise de la base. Malgré tous les protocoles autogestionnaires, une bureaucratie se constitue pour mettre en avant des propositions crédibles pour le pouvoir et se désolidariser d’un mouvement criminalisé. Après la lutte, le syndicat reprend sa petite routine militante sans tenter de prendre en compte et de s’appuyer sur la force d’un mouvement de masse spontané. La force de la CLASSE demeure ses moyens (locaux et photocopies) et surtout la construction d’un espace qui rassemble tous ceux qui veulent lutter. Mais le syndicat a aussi « généré sa cohorte d’ingénieurs du déclenchement de l'AG, de techniciens spécialisés, de ventriloques médiatiques, encadrés par des procédures hautement sophistiquées », observe le collectif de débrayage. Les militants de la CLASSE s’enferment dans leur routine militante insensible à l’imprévu, à la spontanéité et à la créativité. L’organisation prime alors sur la dynamique propre du mouvement.

 

La lutte permet de briser la monotonie du quotidien pour vivre intensément. Pour le collectif de débrayage, « la densification des relations affectives est la première condition de possibilité pour que la vie en grève soit plus désirable que l’ordinaire ». Pourtant, l’urgence de la lutte ne laisse pas toujours de place à la discussion et à la réflexion.

Le collectif de débrayage propose une analyse pertinente de ce mouvement étudiant. Les mêmes travers s’observent en France au cours du cycle de lutte entre 2006 et 2010 qui agite la jeunesse scolarisée. La critique des AG interminables encadrées par des apprentis bureaucrates semble pertinente. Ces assemblées ne permettent pas d’organiser la lutte mais découlent d’un souci de légitimer la grève aux yeux des institutions.

En revanche, un syndicat comme la CLASSE joue un rôle majeur. Cette organisation peut permettre de déclencher des mouvements et de mettre ses moyens au service des activistes. Mais le syndicat tente toujours d’encadrer un mouvement plutôt que d’épouser sa dynamique singulière. En France, les syndicats étudiants demeurent des groupuscules inoffensifs. L’Unef et Sud étudiant ne parviennent à contrôler que des luttes artificielles et minoritaires. Lorsque qu’un mouvement s’amplifie un peu, les syndicats se révèlent immédiatement dépassés.

Il semble important d’insister sur la singularité de ces luttes étudiantes avec la créativité et la spontanéité. Comme dans toutes les luttes, des espaces de rencontres et de discussions politiques émergent. Mais les grèves étudiantes doivent s’élargir et déboucher vers une généralisation du conflit pour bloquer la production et ouvrir de nouvelles perspectives.

 

Source : Collectif de débrayage, On s’en câlisse. Histoire profane de la grève. Printemps 2012, Québec, éditions Sabobart et Entremonde, 2013

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