Politisation dans le mouvement de 2016

Publié le 11 Juillet 2018

Politisation dans le mouvement de 2016
Le mouvement de 2016 a permis la politisation de nouvelles personnes. L'occupation des places favorise les rencontres et la multiplication des initiatives. 

 

Le 31 mars 2016, la Place de la République à Paris est occupée. Le mouvement Nuit Debout est lancé. Une assemblée quotidienne est organisée sur la place. Cette pratique reprend celle des mouvements Occupy, et notamment du 15-M en Espagne. Même si l’ampleur n’est pas la même. Des commissions sont mises en place. Ces formes d’organisation tentent de limiter la délégation de pouvoir et favorisent la prise de décision au consensus.

Nuit debout permet à de nouvelles personnes de participer à un mouvement social, de sortir de la résignation pour commencer à lutter. Ces individus ne sont affiliés à aucune organisation militante et ne disposent d’aucune expérience de lutte. L’occupation de la Place leur permet de sortir de leurs contraintes du quotidien. Elle favorise de nouvelles rencontres, rythmées par des actions et des initiatives diverses. Elle permet de vivre de nouvelles expériences affectives, sensibles et corporelles. Le chercheur en science politique Sélim Smaoui revient sur ce mouvement dans le livre Faites place.

 

 

Participer à un nouveau mouvement

 

Cette expérience de Nuit Debout est rapidement dénoncée. Les médias fustigent une occupation illégale de l’espace public. D’autres dénigrent des « bobos » et des personnes considérées comme illégitimes pour parler de politique. Mais les militants traditionnels restent également méfiants à l’égard d’un mouvement qui sort de leurs pratiques routinières. « Ils devaient tirer leur épingle du jeu face à des collectifs divers et aux stratégies opposées. Ils avaient souvent à être partie prenante d’initiatives qui détonaient avec leurs pratiques courantes », observe Sélim Smaoui. Des analyses militantes insistent sur les limites de Nuit Debout avec ses longues délibérations et son discours citoyenniste. Mais les dimensions novatrices restent peu mises en avant.

L’occupation de la place se distingue de Nuit Debout, avec ses assemblées et commissions. « L’expérience de l’occupation était tramée d’événements imprévus, de situations circonstancielles, de dynamiques, en somme, qui dépassaient largement ce qui était explicitement dit ou organisé », observe Sélim Smaoui. Les occupants de place participent au mouvement contre la Loi travail, avec ses manifestations, ses cortèges autonomes et ses actions de blocage. L’occupation de la place permet de suivre ou de lancer diverses initiatives qui sortent du cadre de Nuit Debout.

 

« Qui propose fait ! », devient une maxime répandue sur la place. L’auto-organisation  et la prise d’initiative sont valorisées. Le mouvement tente de sortir du monde hiérarchisé qu’il combat. Cette forme d’organisation permet la participation de nouvelles personnes qui ne parviennent pas à s’intégrer au milieu militant. « Car, rappelons-le d’emblée, s’engager dans la lutte n’a rien d’évident, tant l’univers du militantisme peut sembler excluant. Le quidam qui s’y frotte découvre des rites implicites et des codes qui lui échappent », souligne Sélim Smaoui.

Le vocabulaire singulier et les références obscures peuvent faire fuir. Beaucoup de personnes sont dissuadées de rentrer dans un entre soi, avec ses tensions et ses conventions étonnantes. Les conflits internes au milieu militant ne sont pas compris et font fuir des personnes qui ne sentent pas légitime pour prendre position. Mais les assemblées ouvertes permettent plus facilement de participer. Ensuite, ce moment de lutte rend secondaire les conflits internes au milieu militant.

L’occupation de la place permet des rencontres, de s’écouter et d'échanger sans heurts. Une ambiance enchantée se crée alors Place de la République. Les participants peuvent livrer leur point de vue librement, sans risquer de subir des réactions hostiles ou des malentendus. Les occupants sortent de leur milieu familial ou professionnel pour rencontrer de nouvelles personnes avec lesquelles ils partagent certaines idées.

 

 

Sortir de la routine du quotidien

 

L’émergence d’un mouvement permet de s’arracher du confort de la routine pour rentrer dans la lutte. « Je pensais qu’il fallait d’abord avoir une conscience, mais c’est tout ce mouvement qui te donne une conscience », témoigne Eva. L’urgence de la lutte permet de vivre le présent plus intensément. La répression des manifestations accélère les formations militantes. Le maintien de l’ordre est analysé tandis que des séances de déplacement collectif sont simulées.

Le mouvement permet de se réapproprier le quotidien et l’espace urbain. Les murs deviennent tagués ou collés. Le mobilier urbain, comme le métro, peut être recouvert de stickers. Les personnes en lutte s’approprient la ville et la perçoivent d’une nouvelle manière. Même les nasses, avec les policiers qui encerclent un groupe pendent plusieurs heures, peuvent devenir des moments de joies. Des personnes se rencontrent, tissent des affinités et même des amitiés. Certaines se mettent même à chanter pour dépasser leur peur.

 

Le mouvement perturbe la routine du quotidienne, le travail, le couple, la famille, les amis. « En ces temps mouvementés, la vie d’avant semble grisâtre. Pas étonnant. S’engager à corps perdu dans une aventure aussi exaltante affadit le quotidien », décrit Sélim Smaoui. Les discussions avec des proches révèlent des clivages. Des amis peuvent montrer leur indifférence et leur résignation. Mais leurs bavardages sur la téléréalité ne sont plus supportables. D’autres se fâchent en raison de désaccords politiques. Mais le mouvement permet de sortir de la routine et d’exprimer un refus. « Plaisir de dire non, de s’arracher aux contraintes », observe Sélim Smaoui. Les personnes qui participent au mouvement ne le fond pas en raison d’une idéologie figée. Elles sont portées par la lutte qui devient aussi un moment de réflexion et de critique politique.

A Barcelone, le mouvement du 15 M permet de reformuler les problèmes du quotidien. Les personnes témoignent pour sortir de la culpabilisation individuelle et remettre leurs problèmes dans le contexte de la situation économique. « Ce sont ici les contrariétés immédiates du quotidien qui sont repensées sous un nouveau jour », souligne Sélim Smaoui. Le vécu ordinaire se politise. L’impossibilité de rembourser ses dettes devient une condition commune. Les témoignages, échanges et ateliers permettent de ne plus vivre l’endettement comme une honte. 

 

 

Politisation citoyenniste

 

Le livre de Sélim Smaoui permet de souligner la politisation du mouvement de 2016. Comme avec le mouvement de Mai 68, pour les luttes des femmes ou la situation des précaires, la révolte permet de s’arracher à la routine du quotidien. Sélim Smaoui montre bien cette politisation qui passe par les actions, les rencontres et les affects. Son enquête permet de souligner l’absurdité des avant-gardes gauchistes qui prétendent éduquer les masses avec leurs tracts jargonneux et leur conscientisation laborieuse. Six mois de lutte permettent une politisation plus importante que dix ans de distribution de tracts.

Sélim Smaoui s’attache à revaloriser Nuit Debout, un mouvement souvent dénigré. L’occupation de la Place permet de faire de nouvelles rencontres et de participer à des actions, des blocages ou des piquets de grèves. Au-delà des débats lénifiants et autres ateliers-débats citoyennistes, l’occupation de la Place devient un point de ralliement pour lancer des actions diverses.

 

Néanmoins, cette politisation ne semble pas s’appuyer sur une conscience de classe. La composition sociale de Nuit Debout reste diverse. Entre les cadres et les précaires, les discours et les intérêts ne sont pas toujours les mêmes. Nuit Debout permet effectivement de s’arracher du quotidien, mais aussi de son ancrage de classe. Le témoignage de ce nuitdeboutiste qui s’excuse auprès de son manager de ne pas être suffisamment efficace en dit long sur la faiblesse du mouvement. Une lutte contre la Loi Travail devrait impliquer des grèves ou au moins des conflits dans les entreprises. Mais, avec Nuit Debout, la révolte se déplace dans la rue et contre la police. Les patrons, les petits chefs et les managers ne sont pas inquiétés.

Cette absence de conflictualité sociale découle aussi d’une idéologie citoyenniste et postmoderne. La fin du livre de Sélim Smaoui révèle toute la déliquescence du mouvement ouvrier. Des cadres écoutent des « primo-concerné-e-s » et autre « racisé-e-s » en train de geindre. Mais il n’y a plus aucune démarche de lutte ou de révolte. La solidarité de classe disparaît au profit d’une convergence des luttes qui n’est qu’une addition de problèmes séparés. Mais la civilisation marchande n’est pas remise en cause dans sa globalité. Dès lors, les grèves et les luttes sociales sont remplacées par des ateliers-débats et des pleurnicheries citoyennistes. Nuit Debout reste minoritaire et s’enferme dans l’entre soi. Des grèves, des blocages, des sabotages doivent permettre de réinventer la solidarité de classe. Seules des pratiques de lutte dans le cadre d'un mouvement d’ampleur peut remettre en cause l’ordre capitaliste.

 

Source : Sélim Smaoui, Faites place. Novices en lutte, Textuel, 2017

Extrait publié sur le site de la revue Contretemps

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Pour aller plus loin :
Radio : « LOI  TRAVAILLE ! » Chronique d’une offensive antisociale annoncée, mise en ligne sur le site Vosstanie le 8 juillet 2017
 
Radio : Une analyse critique du mouvement actuel et de ses perspectives, émission mise en ligne sur le site Sortir du capitalisme
 

Radio : "Nuit debout", les indignés à la française ?, émissions diffusées sur France culture

Vidéo : Nuit Debout, comment ça marche ?, mise en ligne sur le site Mediapart le 14 avril 2016
 
Vidéo : Comment Nuit debout peut s'étendre, émission diffusée sur Mediapart le 14 avril 2016
 

Sélim Smaoui, « Nuit debout s’inscrit dans le sillage de son aîné espagnol », publié dans le journal Le Monde le 10 avril 2016

Béatrice Bouniol, Qu’est devenu le mouvement Nuit Debout ?, publié dans le journal La Croix le 17 octobre 2017

Alexandra Schwartzbrod, Robert Maggiori, Claire Devarrieux, Frédéric Roussel, Romans Philosophie Sociologie, publié dans le journal Libération le 22 septembre 2017

Dan Israël, Nuit debout, ce qu’il en reste, publié sur le site de Mediapart le 22 octobre 2017

[Brochure] Discussions sur la loi travail publié sur le site Paris-luttes.info le 19 juin 2017

De la place Tahrir aux Nuits debout : compilation d’analyses des « mouvements de place », publié sur le site Rebellyon le 30 avril 2016

Ferdinand Cazalis, Nuit Debout : le mois le plus long, publié dans le journal journal CQFD de mai 2016

Publié dans #Actualité et luttes

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C
Ces manifestations ne servent strictement à rien, à par peut-être de se dire que l'on a participé.<br /> <br /> Nuit debout était en majorité composée par des personnes petites bourgeoises qui rêvent de révolution en salon.<br /> <br /> A quoi sert la politisation de nouvelles personnes sachant que la politique est tributaire de l' économie et que c'est celle-ci qui donne les marges de manoeuvres?<br /> <br /> Tous ces mouvements sont des attrape-nigauds.
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