Le modèle du community organizing en France
Publié le 13 Août 2016
Le community organizing structure les luttes dans les quartiers populaires aux Etats-Unis. De nouvelles pratiques se développent. Une approche moins idéologique et plus pragmatique permet de remporter des victoires concrètes. La revue Mouvements, dans un numéro intitulé « Ma cité s’organise », présente ce nouveau modèle. « Les Etats-Unis, ce pays où les inégalités sociales sont plus fortes que jamais, où les minorités raciales sont discriminées, incarcérées – sans parler de leur assassinat par la police – pourraient-ils inspirer un renouveau du militantisme dans les banlieues françaises ? », interroge l’éditorial.
En France, les quartiers populaires subissent également la précarité, le mal logement et le racisme. Mais les associations restent soumises aux subventions et aux institutions. Le community organizing repose sur un militantisme de proximité, ancré dans les lieux du quotidien, pour impulser des luttes concrètes souvent victorieuses. « Ces formes de contre-pouvoir contribuent à ce que les habitants des quartiers populaires résistent au clientélisme, à l’encadrement et au contrôle social que leur imposent les institutions », présente l’éditorial.
Ces nouvelles pratiques peuvent permettre de renouveler le mouvement social. La politisation des classes populaires reste un enjeu majeur. Malgré l’existence de professionnels et de leaders, le community organizing valorise les luttes à la base et l’auto-organisation. « A l’opposé de l’avant-gardisme qui a longtemps marqué le mouvement ouvrier au XXe siècle, les expériences présentées dans ce dossier ont en commun de chercher à faire des classes populaires, prises dans leur diversité, les actrices de leur propre émancipation », introduit l’éditorial.
Julien Talpin et Hélène Balazard présentent le modèle du community organizing. Des professionnels de la mobilisation permettent aux habitants de s’organiser eux-mêmes pour lutter et obtenir des améliorations concrètes de leurs conditions de vie. Ces associations sans but lucratif s’implantent dans les quartiers et les lieux de vie.
Aux Etats-Unis, le développement de la société civile repose sur une défiance à l’égard de l’Etat. Aucun parti de masse ne prétend représenter la classe ouvrière américaine. Les syndicats les plus puissants représentent les fractions les mieux intégrées des classes populaires. Les Noirs et les immigrés restent exclus de structures qui regroupent surtout des ouvriers qualifiés et blancs. Il existe donc un vide politique pour représenter les classes populaires, à la gauche du Parti démocrate.
Ensuite, l’Etat délègue à la société civile de nombreux services. Le community organizing est alors soutenu par les institutions et bénéficie du financement de fondations privées. Cette pratique peut devenir managérial et renforcer la pacification sociale. Mais le community organizing peut également s’opposer aux politiques néolibérales.
Des associations s’inscrivent dans des pratiques caritatives et proposent de simples services. En revanche, le community organizing entretien un rapport critique avec les élus et les institutions. « Il entend favoriser l’organisation collective et autonome des quartiers populaires afin de créer un rapport de force avec les pouvoirs établis », précisent Julien Talpin et Hélène Balazard. Les manifestations et actions collectives précèdent toujours les négociations. Les associations reflètent donc une diversité de pratique, de la lutte autonome jusqu’au soutien à des candidats aux élections.
Le modèle du community organizing se développe également en France. L’Alliance Citoyenne de Grenoble valorise l’autogestion et semble critique par rapport aux institutions. En revanche, Stop le contrôle au faciès semble davantage intéressé par la conquête du pouvoir avec la candidature de listes citoyennes aux élections locales. Les méthodes du community organizing inspirent plus largement de nombreuses associations et des animateurs sociaux.
Hélène Balazard et Robert Fisher soulignent la dimension néolibérale qui existe dans le community organizing. Dès 2006, David Cameron, alors chef du Parti conservateur du Royaume-Uni, encourage les associations. Il insiste sur l’importance de la responsabilisation individuelle. Contre l’Etat social, il invite les collectifs de citoyens à travers des subventions. Il s’agit d’une nouvelle forme de gestion de la misère. « Ce faisant, les associations et collectifs d’habitants sont mis en compétition et incités à gérer et non remettre en cause les inégalités sociales », analysent Hélène Balazard et Robert Fisher.
Anaïk Purenne évoque l’exemple des mobilisations d’usagers de drogue à Vancouver. L’association VANDU reprend le registre de la responsabilité individuelle et de l’autonomie. Les autorités publiques incitent également à cette participation. « Cette nouvelle normativité érige certes l’individu en acteur autonome capable d’optimiser ses ressources au service de ses propres aspirations, mais sans ébranler la distribution inégale des ressources et des pouvoirs », observe Anaïk Purenne.
Nicole Marwell évoque les associations de services. Elles sont mieux financées que le celles qui pratiquent le community organizing et surtout moins radicales. Elles cherchent à rendre service à la population, mais pas à transformer la réalité sociale. Elles entretiennent des liens privilégiés avec les élus et peuvent sombrer dans des relations de clientélisme.
Marie-Hélène Bacqué évoque la notion d’empowerment et son importation en France. Dans le travail social, cette notion vise à sortir des modalités d’intervention paternalistes et hiérarchiques. « Dans l’idée d’empowerment il y a l’idée de transformer la société, mais aussi de se transformer soi-même et collectivement en sortant de la stigmatisation et de la victimisation », présente Marie-Hélène Bacqué. Mais cette notion peut aussi renvoyer à la responsabilité individuelle, et non à la transformation sociale.
Le modèle du community organizing provient de la société américaine et de ses spécificités. Malgré ses limites, cette pratique de lutte s’inscrit dans une longue histoire d’organisation des travailleurs précaires mais aussi des ouvriers noirs. Aux Etats-Unis, la lutte de classe se révèle particulièrement violente. Surtout, le mouvement social semble moins soumis à l’Etat. Une véritable culture de la société civile favorise davantage d’autonomie dans les luttes sociales.
En France le modèle du community organizing semble reproduire toutes les târes du républicanisme franchouillard. Loin du pragmatisme américain, le bavardage idéologique prime sur les luttes concrètes. La Marche pour la dignité et autres pitreries racialistes ne visent pas à améliorer les conditions de vie concrètes dans les quartiers populaires. Ensuite, les associations françaises restent soumises à l’Etat. Et pas uniquement à travers des subventions. Les associations adoptent toujours une posture pleurnicharde qui consiste à demander à l’Etat plus de droits. On est loin de l’auto-organisation et du conflit social.
En revanche, les associations françaises devraient davantage puiser dans une belle histoire des luttes de l’immigration et des quartiers populaires. Marginalisés par les organisations comme le Parti communiste et la CGT, les immigrés se sont organisés par eux-mêmes. Ils s’inscrivent dans la lutte des classes et défendent une amélioration de leurs conditions de travail et de vie. Des émeutes spontanées peuvent également éclater. L’objectif n’est plus le pragmatisme ou l’interpellation des institutions, mais une contestation globale de la société existante.
Source : Revue Mouvements n° 85, « Ma cité s’organise. Community organizing et mobilisations dans les quartiers populaires », La découverte, 2016
Editorial publié sur le site de la revue
Les luttes de quartiers à Los Angeles
Angela Davis et les luttes actuelles
Les émeutes de Chicago en 1919
Syndicalisme et bureaucratisation des luttes
Guerre de classe et illégalisme en Amérique
La démocratie d'interpellation : l’exemple de « Pas sans nous », publié sur le site de Mediapart le 22 octobre 2015
Vidéo : La « marche de la dignité » : de nouveaux militantismes dans les banlieues, publié sur le site de Mediapart le 22 octobre 2015
Vidéo : Hélène Balazard : « Il est possible d'agir en démocratie », publié sur le site Mediapart le 21 juillet 2015
Vidéo : Territomaton 2014 - retour sur expériences, publié sur le site du Centre National de la Fonction Publique Territoriale le 16 décembre 2014
Vidéo : Injonction à la participationet normativité, dans le cadre de la Journée d'étude Classes populaires et organisations militantes : transformations sociopolitiques et recompositions des liens avec le monde associatif et politique
Vidéo : Nicolas Duvoux, L’empowerment, de la théorie à la pratique. Entretien avec Marie-Hélène Bacqué, publié sur le site La Vie des idées le 10 mai 2013
Radio : émission avec Marie-Hélène Bacqué diffusées sur France Culture
Radio : Pour une critique de l'idéologie IDENTITAIRE, émissions mises en ligne sur le site Vosstanie le 1er août 2016
Adeline DL, Community organizing : Libertaire ou néolibéral ?, publié dans le journal Alternative Libertaire de juin 2016
Adeline DL, Le « community organizing » décortiqué, publié dans le journal Alternative Libertaire n°258 de février 2016
Vincent Gay, La naissance du « community organizing » en France. Entretien avec Adeline de Lépinay, publié sur le site de la revue Contretemps le 25 janvier 2017
Donatien Huet, Dans les banlieues françaises, "tout est fait pour que les habitants ne puissent pas s’organiser", publié sur le site d'Arte le 27 octobre 2015
Ixchel Delaporte, Quelles réalités de la participation citoyenne en France ?, publié dans le journal L'Humanité le 10 octobre 2014
Claire Malen, Agir dans les quartiers : de l’éducation populaire au « community organizing », publié sur le site Presse & Cité le 17 septembre 2012
Jean-Pierre Duport, Quelle place des citoyens dans le débat public ?, publé sur le site la Fonda, fabrique associative le 17 janvier 2013
La participation citoyenne, enjeu d’une démocratie territoriale, publié sur le site du collectif Pouvoir d'agir le 13 février 2013
Emilie Brouze, « Changer les choses autrement que par le vote », entretien avec
Démocratie et citoyenneté: la France peut-elle s'inspirer du community organizing à l'américaine ?, publié sur le site Slate le 15 mars 2013