Panaït Istrati, écrivain et aventurier
Publié le 5 Décembre 2015
« Les exclus, les marginaux, les oubliés de l’histoire me sont plus sympathiques que les personages présents dans les manuels scolaires », confie Jacques Baujard. Il se penche sur l’oeuvre mais aussi sur la vie de cet écrivain révolté.
Panaït Istrati né en Roumanie, dans une famille paysanne qui vit dans la pauvreté. Il est bercé par les ballades et les chansons qui retracent les aventures des haïdoucs, ces héros du petit peuple roumain. Ces bandits des forêts s’apparentent à des justiciers. Les premiers romans de Panaït Istrati évoquent ces personnages de révolte et de résistance.
En 1890, Panaït Istrati s’ennuie à Braïla sur les bancs de l’école primaire, "l’insupportable école". Baigné dans une culture orale, avec les récits de ses oncles, il fuit la discipline scolaire et sa violence. « En effet, insultes gifles et coups de verges font fuir la plupart des élèves. Subir ces violences alors que chaque jour la nature apporte son lot de richesses ? », interroge Jacques Baujard. Mais Panaït Istrati se passionne malgré tout pour la lecture. Il rencontre ensuite Calin, un ancien bagnard. C’est cet homme, a priori peu fréquentable, qui lui apprend le sens de la justice et de l’amitié. Il devient le personnage de Codine dans les romans de l’écrivain.
Dès l’âge de 13 ans, Panaït Istrati doit travailler pour faire vivre sa famille. Dans Mes departs, il évoque cette « marmaille nue » pour défendre cette main-d’oeuvre exploitée et soumise à ses maîtres. «Tout enfant est un révolutionnaire. Par lui les lois de la creation se renouvellent et foulent aux pieds tout ce que l’homme mûr a édifié contre elle : morale, prejugés, calculs, interêts mesquins », écrit Panaït Istrati.
A 20 ans, l’écrivain ne cesse de voyager. Il préfère l’aventure plutôt que les biens matériels. Sa mère se désole de ne pas le voir s’intégrer à la société, avec une profession stable et responsable. « A quoi bon une terre si vaste et si attrayante, à quoi bon les immenses désirs de notre coeur, si l’on est oblige de tourner, sa vie durant, à l’intérieur du même kilomètre carré d’espace terrestre ? », s’interroge Panaït Istrati. Il devient vagabond et marin. Il sillonne la méditerrannée et rencontre de nouvelles personnes. Au cours de discussions, il découvre les mots de “socialisme” et de “revolution”.
En 1905, une manifestation pacifiste est réprimée dans le sang en Russie. Un mouvement de solidarité s’exprime à travers le monde. Panaït Istrati défile aux côtés des travailleurs roumains. Le meeting organisé par le Parti socialiste alterne chansons, slogans et discours. Maxime Gorki, l’écrivain du peuple russe, est emprisonné. « A 20 ans à peine, Istrati sait de quoi parle Gorki lorsqu’il décrit les nombreuses difficultés s’abattant sur le pauvre bougre décidé à trouver un métier et n’ayant que ses deux mains pour richesse », observe Jacques Baujard. Une filiation littéraire peut s’observer entre Panaït Istrati et Gorki. La révolte et le vécu nourrissent leur expression artistique et révolutionnaire. Panaït Istrati s’identifie sans doute aux personnages de va-nu-pieds des romans de Gorki.
Dès 1898, Panaït Istrati participe à un mouvement de grève sur le port de Braïla. En 1904, à l’âge de 20 ans, il se rapproche du Parti socialiste. Mais il n’idéalise pas le bon peuple. « Istrati sait que les classes existent. Pourtant, à l’intéreur de celles-ci, ce n’est pas noir ou blanc. Le gris domine », précise Jacques Baujard. Les prolétaires ne sont pas toujours tournés vers la solidarité de classe. En 1909, le premier syndicat du port de Braïla est créé. Panaït Istrati utilise sa plume pour alimenter la presse socialiste. Il incite les ouvriers à lire pour comprendre leur situation sociale et ne pas s’enfermer dans leur travail abrutissant.
En juin 1910, une grève éclate. Panaït Istrati est arrêté. Il a notamment écrit des articles qui analysent les causes de la grève. C’est désormais la lutte contre la classe dominante qui guide son existence. «Combattre pour une idée, combattre pour un sentiment, pour une passion ou pour une folie, mais croire en quelque chose et combattre, voilà la vie. Qui ne sent pas la nécessité du combat, ne vit pas, mais végète », écrit Panaït Istrati.
En 1916, pendant la Première guerre mondiale, il fuit la Roumanie. Comme de nombreux marginaux, pacifistes, déserteurs ou anarchistes, il rejoint la Suisse. Il décide de profiter de son séjour pour apprendre le français. Pour cela, il dévore des classiques de la langue française armé de son dictionnaire. Pour survivre, il effectue des petits travaux notamment comme manutentionnaire et ouvrier d’usine.
Il découvre Romain Rolland et dévore l’oeuvre de cet écrivain pacifiste et humaniste. « La bonté, l’amour, existent dans le coeur de l’homme, et je sais aujourd’hui qu’il y a des écrivains qui ne sont pas uniquement des fabriquants de belles choses à divertir », se réjouit Panaït Istrati. Mais il s’oppose au pacifisme et à la non-violence diffusés notamment par Tolstoï. Il se reconnaît davantage dans le socialisme révolutionnaire. « Aujourd’hui que la vie est un âpre combat, c’est un véritable crime que de prêcher la non-résistance », tranche Panaït Istrati dans un article.
En 1920, il retourne à Paris. Il exprime son désir d’écrire des romans. Pour puiser son inspiration, il se tourne vers ses jeunes années. Mais Panaït Istrati tente de se suicider. Il souffre moins de la misère sociale que de la détresse affective. Il semble désespéré par rapport à l’avenir de l’humanité. Mais il parvient à rencontrer l’écrivain Romain Rolland. Mieux, l’homme de lettre le conseille pour écrire en français, qui n’est pas la langue maternelle de Panaït Istrati. Romain Rolland ne cesse de l’encourager et voit en lui un grand écrivain en devenir.
Panaït Istrati fait une rencontre amoureuse, avec Anna Munsch. Surtout, il peut abandoner les petits boulots pour vivre de sa plume. Ses récits épiques suscitent un enthousiasme unanime. Mais Panaït Istrati préfère les relations sincères et les amitiés véritables aux liens superficiels du milieu littéraire. « En écrivant, il espérait rencontrer de nouveaux camarades, non des lauriers ou une prétendue renommée littéraire », indique Jacques Baujard.
En 1927, Panaït Istrati est invité à Moscou pour célébrer les dix ans de la Révolution russe. L’écrivain doit prendre la parole dans les meetings, les reénions officielles et les conferences de presse destinées aux intellectuels étrangers. Pour lui, l’URSS incarne l’avenir et l’espoir de renouveau.
Mais Panaït Istrati rencontre les opposants de gauche comme Boris Souvarine ou Victor Serge. Au cours de son voyage, l’écrivain observe de nombreux problèmes. Il écrit même au Gépéou, la police politique, pour s’indigner d’une opposition baillonée et réprimée. Tôt ou tard, « la terreur qui frappe le ventre et l’abri produit un jour ou l’autre la lâcheté générale et les deux accouplés permettent aux tyrans de jouir à leur guise », écrit Panaït Istrati dans Vers l’autre flamme.
L’écrivain rentre en France désillusionné. Il est pourtant attendu pour faire un compte-rendu élogieux de la patrie des travailleurs. Romain Rolland lui conseille de ne pas diffuser ses écrits qui décrivent de manière réaliste la situation en URSS. Panaït Istrati renonce donc à diffuser son témoignage.
Mais l’écrivain écrit Vers l’autre flamme, un livre qui dénonce le pouvoir en place en Russie et accuse la bureaucratie de confisquer les libertés. Même si Panaït Istrati fait l’éloge de Lénine, de Trotsky et de toutes les grandes figures de la Révolution d’Octobre. « N’est combattant, à mes yeux, que celui qui subordonne ses interêts individuels aux interêts de l’humanité meilleure qui doit venir. Je crois en cette humanité… Mais je ne crois plus à aucun credo. Je ne veux plus écouter ceux que les hommes disent mais seulement regarder ce qu’ils font »,conclue Panaït Istrati.
Les chiens de garde de Staline, dans la littérature et la politique, expérimentent leurs nouvelles armes pour discréditer les opposants : le mensonge et la calomnie. Panaït Istrati est traité de “bourgeois romantique”, d’“anarchiste brouillon”, d’“agent provocateur” à la solde des forces capitalistes. L’écrivain perd des amis, à commencer par Romain Rolland.
Panaït Istrati defend l’homme qui n’adhère à rien. Il refuse toutes les idéologies. Il renvoie dos à dos le stalinisme et la fascisme. Mais il ne renonce pas à la critique sociale et à l’émancipation humaine. « N’adhérer à rien, c’est adherer à tout. C’est prôner l’amour, l’amitié, le Beau. L’universel n’a pas de frontières. Cette pauvre humanité a besoin d’autre chose que de ces systèmes de pensée afin de rassembler et de construire quelque chose de nouveau, de plus solidaire, de plus égalitaire », précise Jacques Baujard.
Panaït Istrati demeure un franc-tireur. Il est détesté par la droite comme par la gauche. Les deux camps s’accordent pour considerer l’URSS comme un régime communiste. La gauche défend la terreur bureacratique et calomnie ceux qui la remette en cause. La droite s’appuie sur des écrivains médiocre comme Soljenitsine qui égratignent l’URSS pour mieux défendre l’ordre capitaliste. « Peu enclin à s’enfermer dans un quelconque carcan idéologique, suivant son coeur plutôt que son esprit, Istrati a eu le courage de dénoncer l’imposture soviétique tout en condamnant le système capitaliste », résume Jacques Baujard.
Cette belle biographie propose une présentation de Panaït Istrati qui insiste pertinemment sur la dimension politique de son oeuvre. L’écrivain propose une critique implacable du régime bureaucratique en URSS. Son analyse demeure instinctive, lié à son vécu et à ce qu’il voit. Ses écrits alimentent la critique du communism bureaucratique, bien avant Soljénitsine et la mode de l’antitotalitarisme. Surtout, sa critique de l’URSS ne repose pas uniquement sur une morale abstraite. Panaït Istrati adopte le point de vue des exploités qui subissent l’oppression du régime bolchévique. La dictature en URSS ne doit pas déboucher vers la liquidation du communisme comme projet de société. Bien au contraire, cette tyrannie bureaucratique montre la nécéssité de la lutte sociale et politique. L’émancipation passe alors plus que jamais par les révoltes de la classe ouvrière, plutôt que par les idéologies politiques.
Pour autant, Panaït Istrati ne fait pas partie de ces intellectuels qui idéalisent le prolétariat. L’écrivain demeure issu de la classe des exploités. Il rencontre les ouvriers, non pas à travers des livres, mais dans sa vie quotidienne. Ses écrits tranchent avec la literature prolétarienne qui vise à faire des ouvriers de véritable héros infaillibles. Panaït Istrati ne sombre pas dans la fable du prolétariat rédempteur. Il sait que les ouvriers peuvent se montrer lâches, soumis, dociles, egoïstes. Il jette un regard froidement réaliste sur le monde du travail. Cette vision peut paraître pessimiste et désespérée. Mais Panaït Istrati voit également que lorsque les ouvriers s’organisent pour lutter, ils développent aussi des formes de solidarité et d’amitié.
Source : Jacques Baujard, Panaït Istrati. L’amitié vagabonde, Transboréal, 2015
Vidéos : conférences du Festival Istrati organisées par la librairie Quilombo en 2015
Radio : émissions sur Panaït Istrati diffusées sur France Culture
Louis Janover, Actualité de Panaït Istrati, paru dans Le Monde diplomatique de janvier 1981, publié sur le site du collectif Smolny en 2007
Frédéric Thomas, Compte-rendu publié sur le site de la revue Dissidences le 28 mars 2016