Les nouveaux mouvements sociaux au Maroc

Publié le 16 Février 2015

Les nouveaux mouvements sociaux au Maroc
La révolte au Maroc semble méconnue. De nouvelles formes de contestation émergent contre le régime autoritaire. 
 

 

En 2011, une vague de révolte partie de Tunisie se propage dans de nombreux pays. Le Printemps arabe touche également le Maroc. Un nouveau cycle de lutte s’amorce avec le Mouvement du 20 février. L’universitaire Frédéric Vairel propose une analyse dans son livre intitulé Politique et mouvements sociaux au Maroc.

Le régime monarchique encadre les groupes contestataires. Le mouvement du 20 février se contente de demander des aménagements du régime et non pas son renversement. Il s’attache également à un refus de la violence. Mais, issu de la vague de révolte de 2011, il semble spontané et s’organise en dehors des partis et des syndicats. Ce mouvement du 20 février regroupe des militants de l’extrême gauche marxiste mais aussi des défenseurs des droits de l’homme. Des organisations politiques radicales mais aussi des islamistes composent ce mouvement très hétéroclite.

« Le Maroc est un laboratoire fascinant de la protestation en régime autoritaire et de la manière dont celui-ci s’en accommode », souligne Frédéric Vairel. La révolution n’est plus un horizon politique et les collectifs militants s’institutionnalisent. La sociologie politique, avec l’observation de la répression et des particularités du régime, peut permettre d’enrichir l’analyse des mouvements de lutte. La contestation sociale se construit en opposition mais aussi en référence à la politique institutionnelle.

 

 

                                                 Politique et mouvements sociaux au Maroc

 

Mouvements de contestation

De nombreux politologues estiment que le régime marocain repose sur la religion pour se légitimer. En réalité, la monarchie s’appuie surtout sur l’Etat avec la répression et les divers moyens de coercition. Le régime utilise l’intimidation, les arrestations et la torture pour museler toute forme d’opposition. L’organisation des élections, du calendrier et la réglementation de la campagne électorale permettent de réserver les postes de pouvoir aux partis proches du régime.

La monarchie s’appuie sur différents groupes sociaux pour lesquels elle mène une politique clientéliste. La bourgeoisie, la moyenne paysannerie et la petite bourgeoisie citadine soutiennent le régime. Des postes de fonctionnaires sont créés et les entreprises locales sont favorisées.

En 1990, une vague de mouvements sociaux déferle sur le Maroc. Luttes, grèves et émeutes déstabilisent le pouvoir. Les jeunes précaires occupent l’espace public et participent activement aux émeutes. Le régime ne répond pas par la répression mais par une ouverture. Les partis d’opposition peuvent participer au gouvernement. En 1999, un nouveau roi arrive au pouvoir. Les droits de l’homme sont intégrés au discours officiel et la répression semble moins féroce.

 

Le syndicat étudiant de l’Unem apparaît comme le creuset des mouvements contestataires, gauchistes ou islamistes. Cette organisation étudiante forme les futures élites. Mais les jeunes contestataires subissent la répression, la clandestinité et la prison. Les trajectoires de ces militants évoluent vers l’action locale et associative. Ils ne s’inscrivent plus dans une remise en cause globale du régime mais agissent pour sa démocratisation.

Les gauchistes et les islamistes sont issus de la petite bourgeoisie intellectuelle. Les militants sont socialisés dans des familles politisées. Après l’expérience de la prison ou de la répression, les militants continuent leurs activités politiques à travers des associations pour les droits de l’homme. Mais seuls les militants qui disposent du plus important capital culturel et politique, avec des réseaux, continuent leur vie politique. Les autres trouvent davantage de satisfactions dans un « bonheur privé », professionnel et familial.

Les jeunes militants s’opposent aux partis politiques, en raison de leur dimension autoritaire et électoraliste. Les organisations de femmes s’organisent en marge des partis car leurs problèmes ne sont jamais évoqués dans ce cadre traditionnel. Le militantisme associatif s’oppose au champ politique régit par le calcul cynique et avec la compromission avec les autres partis et le pouvoir. « Selon ces militants, le champ politique se caractérise par son immobilisme auquel vient répondre l’effervescence contestataire de la scène qu’ils animent », indique Frédéric Vairel. De nouvelles pratiques politiques doivent s’inventer en dehors des institutions.

Les mouvements pour les droits de l’homme deviennent le seul cadre légal pour lutter contre le régime et les rapports de production. Les associations de défense des droits de l’homme abritent souvent les militants d’extrême gauche et les anciens prisonniers politiques qui n’ont pas renoncé à leurs idées.

 

Des collectifs se forment pour construire une force contestataire dans la durée. Le Forum marocain pour la vérité et la justice (FVJ) regroupe des anciens prisonniers et leurs familles. Ce collectif organise des réunions pour parler des problèmes de la répression dans la démarche d’un groupe de thérapie collective. Mais, progressivement, les moyens d’action sont évoqués. Le collectif ne regroupe donc pas uniquement des militants d’extrême gauche mais s’appuie sur une partie de la population qui a subi directement la répression.

Le FVJ s’attache à construire une force politique et permet aux personnes de retrouver leur dignité dans la lutte. « Un partie du travail du FVJ a consisté à retourner le stigmate de victime, transformant des identités et des liens fragmentés et localisés en une identité politique commune », observe Frédéric Vairel. Des actions sont organisées, comme les sit-in devant les centres de détention.

Le FVJ s’appuie sur les témoignages de victimes. Mais, contrairement à la presse, le FVJ refuse toute utilisation misérabiliste et humanitaire. Le collectif donne un sens conflictuel aux témoignages pour dénoncer les causes et les responsables de la répression. Les associations féministes s’appuient également sur des services, comme l’alphabétisation, pour élargir leur capacité de mobilisation.

 

 

 

Pratiques de lutte

 

Le sit-in, un rassemblement protestataire, devient le mode d’action central. Il trouve son origine dans les actions d’occupation, valorisées notamment par les jeunes chômeurs. Le FVJ pratique couramment le sit-in avec des slogans qui dénoncent les responsables de la répression. Cette effervescence protestataire permet de construire un rapport de force social qui explique la démocratisation du Maroc. « Contrairement à ce qu’indiquent les points de vue conservateurs, le trait marquant de la libéralisation réside davantage dans la multiplication des démonstrations publiques d’indignation que dans la complexe ingénierie politique qui permet aux partis de l’opposition de sa Majesté d’accéder au gouvernement », analyse Frédéric Vairel.

Le sit-in permet une occupation de l’espace public. Même lorsque la mobilisation n’est pas massive, elle reste visible. Des tracts et des autocollants permettent d’interpeller les passants. « Vous qui regardez, vous êtes tous concernés », lancent les militants. Le sit-in révèle également la division sexuelle du travail militant. Les dirigeants des collectifs sont tous des hommes. Les organisations comme l’AMDH reproduisent les vieux schémas militants du dogme marxiste-léniniste. Seuls les dirigeants décident du sit-in et planifient son organisation. Ensuite, les actions s’inscrivent dans la vieille routine de l’avant-garde qui doit conscientiser les masses. Les slogans et les banderoles ne sont pas laissés à l’improvisation. En dehors des origines autoritaires des collectifs, la répression explique cet encadrement de la lutte. Les dirigeants des associations peuvent être arrêtés si un slogan attaque directement le régime.

 

Au-delà de la routine bureaucratique, les rassemblements demeurent des espaces de rencontres et de discussions. « Aux marges du sit-in, on se parle et l’on rit », indique Frédéric Vairel. Un esprit de convivialité s’observe, notamment entre les militants qui ne se sont pas vus de longue date. « D’autres liens que le seul lien politique se nouent. Des ensembles de relations s’y tissent, s’y renouvellent et s’y exposent, qui entourent et renforcent le sentiment d’appartenance à un groupement politique », observe Frédéric Vairel. Les émotions et le plaisir de la mobilisation demeurent un puissant moteur d’engagement.

Les forces de sécurité marquent fortement leur présence. Le moindre écart se traduit par une répression féroce. Des diplômés chômeurs qui bloquent une rue sont encerclés par la police. Le sit-in ne nécessite pas une autorisation mais peut être réprimé en invoquant la notion floue de « trouble à l’ordre public ».

Des rassemblements du FVJ rendent hommage aux victimes de la répression. Ces actions, qui s’inspirent des Mères de la place de Mai en Argentine, mêlent émotion et protestation.

 

En raison de la forte répression, les mouvements sociaux ne s’inscrivent plus dans un horizon révolutionnaire. La moindre émeute peut finir en bain de sang. Ensuite, l’aide internationale oriente également la routine militante. Les associations des droits de l’homme doivent alors gérer des apports financiers. Une professionnalisation et une bureaucratisation se développe, même dans les associations dirigées par des militants d’extrême gauche. L’action devient moins orientée vers les mouvements de lutte et davantage vers un travail d’information avec la diffusion de rapports qui présentent la situation au Maroc.

Le roi Mohamed VI tente de rompre avec l’autoritarisme d’Hassan II. Les nouvelles élites politiques ne sont plus issues de la police, mais du marxisme-léninisme. Les anciens contestataires sont recrutés par le pouvoir pour participer à la transition démocratique. La monarchie ne s’appuie donc pas uniquement sur la répression pour encadrer les mouvements de lutte mais favorise également leur institutionnalisation. Pour de nombreux militants, le régime ne doit plus être supprimé mais aménagé. Mais des débats traversent les associations. Certains contestataires refusent toute forme de compromission avec un régime toujours considéré comme autoritaire.

 

 

          
Marocains rassemblés par le mouvement du 20 février à Rabat le 19 février 2012 pour célébrer le premier anniversaire du Printemps arabe AFP Abdelhak Senna

 

Mouvement du 20 février

 

En 2011, la vague de contestation du « Printemps arabe » se propage au Maroc. Mais la diversité des situations politiques empêche un effet domino dans la chute des régimes autoritaires. Pourtant, le 20 février 2011 marque un véritable tournant au Maroc. Un soulèvement populaire amorce une « période de réformes où politique dans la rue et politique dans les palais s’articulent, se répondent et s’opposent », analyse Frédéric Vairel.

Des manifestations et rassemblements attaquent directement le régime. Comme dans de nombreux pays arabes, les autorités se sentent menacées. Le roi du Maroc est même obligé d’annoncer une révision de la constitution. Le mouvement du 20 février ne semble pas entièrement spontané. Il regroupe des jeunes urbains qui ne sont pas issus de familles aisées. Ces activistes ont déjà participé à des collectifs ou à des partis. Mais ils rejettent la discipline partisane et l’autoritarisme de ses formes d’organisation. Ils remettent également en cause la religion et les valeurs patriarcales. La question de la justice sociale demeure majeure, avec celle des libertés démocratiques, et des rassemblements s’organisent dans les quartiers populaires.

En revanche, le mouvement du 20 février ne s’inscrit pas dans un horizon marxiste, révolutionnaire et internationaliste. Cette contestation se réfère au monde arabe et revendique une démocratisation du régime, et non pas son renversement.

Les partis et syndicats se tiennent à l’écart de ce mouvement. Ses revendications sont jugées classiques mais son organisation se révèle incontrôlable. Le mouvement dénonce la corruption et le pouvoir de l’argent, mais n’attaque jamais directement le régime. « Sa réforme constitutionnelle ou parlementaire est souhaitée, certainement pas sa chute. C’est là un bon indice de la légitimité de cette institution : les acteurs politiques marocains, y compris les plus radicaux, n’imaginent ni ne revendiquent d’autres modalités de gouvernement », observe Frédéric Vairel. Le mouvement ne prend pas d’ampleur, contrairement à la Tunisie ou l’Égypte. Seuls quelques secteurs professionnels participent à la lutte. Ensuite, l’occupation de la rue est brutalement réprimée avec de violents matraquages.

 

Le livre de Frédéric Vairel propose un éclairage original sur la situation au Maroc. Il brise l’image véhiculée par le régime et l’industrie touristique. Les sciences politiques opposent trop souvent la sociologie des mouvements sociaux et l’attention portée aux institutions et aux politiques publiques. Les analyses des Frédéric Vairel permettent de croiser ses deux approches pour montrer leur influence réciproque. Les défenseurs du régime monarchique au Maroc insiste sur son evolution et sa democratisation. Mais ce sont bien les mouvements sociaux qui permettent quelques ameliorations de la situation. Ensuite la répression demeure brutale et le régime n’hésite pas à récupérer les dirigeants des mouvements sociaux pour affaiblir la contestation.

Pourtant, l’étude de Frédéric Vairel connaît quelques limites. Il considère que les islamistes font partis des mouvements sociaux. Ses réactionnaires ne s’inscrivent dans aucune perspective de transformation sociale et veulent renforcer l’ordre dominant malgré leur opposition au régime. Leur presence dans le mouvement du 20 février ne prouve que la faiblesse et la confusion de ce ressemblement hétéroclite sur les bases politiques les plus limités.

Enfin, Frédéric Vairel, en bon sociologue, ne semble pas toujours saisir l’originalité et la spontanéité de l’évènement. La révolte de 2011 ne correspond pas aux cadres classiques de la routine militante. Même si l’approche sociologique et historique permet aussi de montrer les origines de ce soulèvement. Le mouvement du 20 février permet de developer des pratiques de lutte qui sortent de la hiérarchie marxiste-léniniste pour adopter unr organisation plus horizontale et libertaire. Mais un renversement du régime au Maroc ne peut passer que par l’émergence d’un veritable mouvement de masse. Des grèves permettent de bloquer la production et de mettre en avant la dimension sociale de la lutte. Le mouvement du 20 février se contente de soulever la question des libertés démocratiques mais n’évoque pas l’exploitation capitaliste. Pourtant, les mouvements de lutte qui permettent de renverser des régimes autoritaires articlent lutte contre la repression et lutte contre l’exploitation et la misère.

 

Source : Frédéric Vairel, Politique et mouvements sociaux au Maroc. La révolution désamorcée ?, Presses de Sciences Po, 2014

 

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Conférence: "Révolte dans le monde arabe: vers un changement politique ?", publié sur le site UQUAM TV le 8 février 2011

Frédéric Vairel, « "Qu’avez-vous fait de vos vingt ans ?" Militantismes marocains du 23-mars (1965) au 20 février (2011) », L’Année du Maghreb, VIII | 2012

Julie Chaudier, Maroc : « L’idée de révolution a disparu », selon Frédéric Vairel [Interview], publié sur le site Yabiladi le 13 décembre 2014

Textes de Frédéric Vairel publié sur le site Cairn

Olivier Mongin, Note de lecture publiée dans la revue Esprit le 1er décembre 2014

Béatrice Hibou, Le mouvement du 20 février, le Makhzen et l'antipolitique. L'impensé des réformes au Maroc, publié par le CERI / Sciences Po

Rubrique Maroc sur le site Révolutions arabes

Indymedia Nantes, Maroc : Le Mouvement du 20 février en Europe, publié le 17 juin 2014

Montassir Sakhi et Hamza Esmili, Comprendre et agir, appel à un autre Maroc : créer les conditions d’un nouveau mouvement social, publié sur le site de la revue Contretemps le 7 mai 2015

Anne-Leïla Ollivier, Au Maroc, c’est le printemps tout le temps, publié dans le journal CQFD n°96 (janvier 2012)

Publié dans #Actualité et luttes

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