La presse du plaisir

Publié le 10 Octobre 2011

La presse du plaisir
Les journaux révolutionnaires des années soixante-dix ne se conforment pas à l'austérité gauchiste. La libération de tous les désirs devient un mot d'ordre fédérateur qui alimente une réflexion critique.
 
Dans l’ambiance joyeusement agitée de l’amphithéâtre des Beaux-arts, la critique de la vie quotidienne issue de Mai 68 débouche vers la libération sexuelle. Il s’agit de changer concrètement et immédiatement ses conditions de vie. Mais sans perdre la perspective d’un soulèvement révolutionnaire pour démolir toutes les autorités et les normes qui fondent la société bourgeoise. Tous ses mouvements aspirent à libérer la parole à travers des journaux qui insistent sur le plaisir et la jouissance pour abolir les contraintes sociales.
 
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La révolution de la vie quotidienne
Loin de la grisaille gauchiste, le journal Tout !s’attache à la critique joyeuse de la vie quotidienne et de l’ordre moral. Ce titre est l’organe de presse de Vive la Révolution (VLR). Ce groupe est issu de l’UJC(ml), une organisation maoïste, dirigée par des chefaillons normaliens, à la hiérarchie plutôt rigide. VLR s’inscrit dans la continuité du mouvement du 22 mars de Nanterre et de la révolte de Mai 68. Pour VLR, la transformation des rapports sociaux doit s’accompagner d’un bouleversement de tous les rapports humains. La créativité et le plaisir deviennent des armes subversives pour pilonner la société marchande. 
Le journal Tout !est créé en 1970. Son titre s’inspire directement du mot d’ordre des grévistes de la Fiat à Turin: « Nous voulons tout ! ». Luttes dans le tiers-monde, Blacks Panthers et nouvelles formes de contestation à travers le monde irrigue ce journal clairement révolutionnaire. Mais Tout ! s’inscrit surtout dans une démarche libertaire. Le journal est réalisée au cours d’assemblées générales ouvertes à tous, en rupture avec le sectarisme gauchiste. Tout ! est lié à ses lecteurs qui s’expriment sur divers sujets dans leur courrier. Ce journal tente surtout de susciter des discussions et des rencontres. « Que les militants se rappellent que le canard n’est pas fait pour être discuté entre eux, mais que sa diffusion et ses discutions autour sont une lutte contre l’étouffement par l’intox bourgeoise », souligne un  article dès le numéro 2.
Sexualité, drogues, danses, musique: les sujets abordés concernent la vie quotidienne et tous les rapports humains. Le journal impulse de nouvelles luttes, notamment sur le front de la libération sexuelle. En avril 1971, le numéro 12, consacré à « la libre disposition de notre corps », illustre cette lutte. « L’embrigadement du corps est la condition de la soumission des esprits» affirme Guy Hocquenghem dans un article qui ouvre le dossier. Tous les rapports de domination et les normes sociales sont attaqués, toutes les formes d’autorité sont remises en cause. Tout !relie et fédère les différentes luttes des homosexuels, des femmes, des prisonniers, des fous, des enfants, des pauvres et de toutes les marges. Le bonheur passe par la destruction de toute idée de normalité. Le Front de Libération de la Jeunesse, lié à VLR, publie dans le numéro 8 une ode à la jouissance contre l’école, la famille, la police et toutes les institutions. En juillet 1971, le dernier numéro titre « Ce que nous voulons: vivre ». Ce journal révolutionnaire s’appuie sur le désir de vivre comme force agissante.
 
                                            Torchon
 
L’émancipation des femmes
Le lutte pour la contraception et l’avortement doit permettre aux femmes la réappropriation de leur corps, de leur sexualité et maternité. Le rapport sexuel ne doit plus être un acte de reproduction mais une source de plaisir. Les femmes participent donc activement à la lutte pour la libération sexuelle. En 1968, les réunions du Comité d’action culturel favorisent une libération de la parole féminine. Le Mouvement de libération des femmes (MLF) se crée en 1970. La même année la revue Partisans, éditée par François Maspéro, consacre un numéro spécial à l’émancipation féminine. Le Nouvel Observateur publie une tribune de 343 femmes qui déclarent avoir avorté et soutenir les luttes du MLF. 
Le torchon brûle, journal « menstruel », doit libérer la parole féminine. Tous les courants du MLF doivent pouvoir s’exprimer, le ton et l’esthétique du journal peut varier d’un numéro à l’autre. Diverses tendances s’opposent. Des féministes attendent des aménagements législatifs tandis que d’autres femmes s’attaquent à la société patriarcale dans son ensemble. Des courants loufoques et moralisateurs s’affrontent pour le contrôle du MLF. Heureusement, Le torchon brûle ne permet pas aux bureaucrates du MLF de verrouiller la parole. Ce journal relaie surtout la reconquête de la liberté féminine, se fait écho des initiatives locales et des groupes de discussion. Les différentes luttes sont évoquées.
Le torchon propose des sujets qui se démarquent du crétinisme queer actuel avec le despotisme féminin et l’oppression des hommes comme proposition politique. La question de l’égalité entre hommes et femmes dans l’éducation, la place de l’enfant dans la famille et les crèches autogérées font partis des premiers sujets traités. Ensuite, un article intitulé « La répression du silence » évoque la libération de la parole pour sortir de l’aliénation. Dans « Le pouvoir du con », Le torchon insiste sur la réappropriation du corps, du désir et du plaisir. L’ordre traditionnel et la famille sont constamment critiqués.
 
 
                                             Fleau
La libération des homosexuels
Après la revue Arcadie qui souhaite intégrer les homosexuels dans la société, le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) s’attaque rageusement à la société patriarcale et à sa norme « hétéro-fasciste ». Le numéro 12 de Tout ! permet une convergence des homosexuels avec les femmes pour la libération des corps. « Prolétaires de tous les pays, caressez-vous » devient le mot d’ordre du FHAR qui fustige le virilisme puritain des organisations gauchistes.
En juin 1972, le FHAR crée un journal au nom provocateur: Le fléau social. La transformation totale de la vie devient l’enjeu d’une révolution qui se vit également au quotidien. Le programme en 15 points du FHAR s’inscrit dans une lutte globale contre la famille, l’école, l’idée de norme et de nature, la culture et pour la destruction de tous le rôles et de toutes les valeurs, de toutes les formes de domination et de pouvoir. Le fléau social invite à « détruire tout ce qui nous détruit ». 
L’Antinorm se présente comme un bimensuel « révolutionnaire et sexuel ». Ce journal lutte pour une société socialiste dans laquelle « il n’y aura plus ni homos, ni hétéros, mais une libre sexualité », contre les mœurs bourgeoises et la répression sexuelle.
En 1975, le journal Sexpolapparaît et titre « Un monde à refaire ». Mais cette revue, sous l’autorité idéologique de Wilhelm Reich, préfère adopter un ton scientifique plutôt que l’insolence révolutionnaire. Sexpol porte plus largement sur toute la révolution sexuelle.
 
 
 
                                  sexpol1
 

 

Au cours d'un entretien dans Article 11, Steven Jezo-Vannier évoque l'actualité de la presse underground. Cette "presse du plaisir" disparaît avec la révolution sexuelle des années soixante-dix, prétendument réalisée. Pourtant, la normalisation des comportements, la misère affective et sexuelle, l'artificialité des rapports humains, la morale patriarcale demeurent des oppressions toujours actuelles. La révolution sexuelle doit aujourd'hui faire face à tous les conformismes: celui de la morale bourgeoise, mais aussi celui du libéralisme consumériste. La libération des désirs semble toujours indispensable pour réaliser une révolution totale et abattre toutes les formes de normes et de contraintes sociales.

 

 

Source:

Steven Jezo-Vannier, Presse parallèle. La contre-culture en France dans les années soixante-dix, Le mot et le reste, 2011

 

 

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Rédigé par zones-subversives

Publié dans #Révolution sexuelle, #Contre culture

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