Les militants juifs contre le fascisme

Publié le 13 Avril 2023

L'Armée du crime (2009)

L'Armée du crime (2009)

Les immigrés juifs ont joué un rôle décisif dans la lutte contre le fascisme. Ils participent aux grèves dans les années 1930. Ils sont également actifs dans les réseaux de Résistance. Mais ces militants et militantes se heurtent également au patriotisme et aux errements du Parti communiste. 

 

 

Le combat contre l’extrême-droite reste toujours d’actualité. Maurice Rajsfus incarne cette filiation antifasciste. Rescapé de la rafle du Vél’ d’Hiv, il poursuit son engagement au moment des années 1990 avec l’association Ras l’Front. Il publie de nombreux livres pour documenter les pratiques violentes et racistes de la police française. Il participe notamment à la publication du bulletin Que fait la police ?

Les révolutionnaires juifs ont mené des combats concrets en France et en Europe. Ils luttent contre leur oppression singulière, mais aussi pour l’émancipation de l’humanité toute entière. Ces travailleurs et intellectuels juifs, souvent venus de Pologne, participent activement à la résistance antifasciste en France. Ils descendent dans la rue dans les journées de 1934 contre l’extrême-droite. Ils participent aux grèves générales. Ils rejoignent les Brigades internationales qui partent combattre le franquisme en Espagne. Ils créent les FTP-MOI et se lancent dans la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale.

Cette génération connaît des espérances, mais aussi de nombreuses désillusions. Elle lutte pour un monde meilleur débarassé de l’exploitation, du racisme et de l’antisémitisme. Y compris au sein du mouvement ouvrier. Les tracts, les journaux, les grèves, les attentats, les filières pour cacher les rescapés des rafles composent leur activité militante. Ils subissent les désillusions face aux errements du Parti communiste et au moment de la Libération. Maurice Rajsfus retrace les trajectoires des juifs révolutionnaires dans son livre L’An prochain la révolution.

 

 

                   L'an prochain, la révolution : les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne : 1930-1945

 

 

Mouvement ouvrier juif

 

L’immigration juive est d’abord créée par la misère. Mais le climat politique en Pologne déclenche une nouvelle vague d’exils. Le régime du maréchal Pilsudski ferme les portes des universités et de certaines professions. Ce qui pousse une partie de la jeunesse juive vers le mouvement révolutionnaire. Face aux persécutions, ils fuient vers la France. Les communistes et les bundistes représentent les éléments les plus radicaux. Cette immigration juive reste traversée par les clivages du mouvement ouvrier, entre la IIe et la IIIe Internationale.

Ensuite, les militants du Bund restent attachés à la Pologne tandis que les communistes luttent avant tout là où ils vivent. Les immigrés de Pologne restent considérés comme indésirables par les autorités françaises, mais aussi par les représentants de la communauté « israélite » autochtone. Des ghettos juifs se forment, comme à Belleville. Des groupes politiques se structurent. Les bundistes et les communistes sont les mieux organisés. Mais il existe aussi des groupes anarchistes et trotskistes. Il existe évidemment des juifs de droite, comme des religieux ou des sionistes.

Les Juifs autochtones adoptent des positions politiques plus modérées. Ils se retrouvent plutôt au centre-gauche, à la SFIO, au Parti radical ou à la Ligue des droits de l’Homme. Le Consistoire recommande aux Juifs de rester neutres. Des représentants de la bourgeoisie juive s’affichent même aux côtés des Croix-de-Feu du colonel de La Rocque.

 

 

Communistes juifs

 

Les communistes juifs défendent l’orientation sectaire de l’Internationale et du PCF. Les autres courants sont considérés comme des sociaux-traîtres à éliminer, y compris physiquement. La sous-section juive reste marginalisée au sein du PCF. Elle ne dispose d’aucune autonomie et doit se contenter d’appliquer la ligne du Parti. Les communistes juifs développent des réseaux de solidarité. Ils s’organisent à travers des associations culturelles, qui servent de couverture face à une législation qui limite la possibilité de s’organiser pour les étrangers.

Des cours de formation et de patronage se lancent. Des associations sportives, des dispensaires et des associations sportives sont également créées. Une solidarité internationale s’organise pour aider les victimes de la répression en Pologne et à travers le monde. Les communistes participent à des associations juives et des syndicats. Mais ils se constituent en fraction pour mieux infléchir les activités de la structure. Les organisations de masse, y compris les associations culturelles, sont conçues uniquement comme des courroies de transmission du Parti.

 

Les ouvriers juifs immigrés rejoignent le syndicat de la CGTU, lié aux communistes. Ils sont particulièrement implantés dans les secteurs des cuirs et peau, du textile, de l’habillement, des métiers du bois. Ils participent à des luttes, et notamment aux grèves de juin 1936. Cependant, avec le Front populaire, le Parti communiste décide de s’allier avec une fraction de la bourgeoisie. Les perspectives révolutionnaires semblent alors s’éloigner. La Commission intersyndicale juive reste strictement dépendante des décisions de la CGT.

Beaucoup d’immigrés doivent se contenter d’un travail à domicile avec de nombreuses heures. Mais plutôt que de dénoncer la législation qui favorise cette nouvelle forme d’exploitation, la direction de la CGT préfère dénoncer ces travailleurs à domicile sur le ton des immigrés qui concurrencent les Français.

 

              L’armée des ombres, Jean-Pierre Melville, 1969

 

 

Tentatives d’unité

 

Un Front uni se lance pour lutter contre la législation qui menace les étrangers. Ensuite, les immigrés recherchent la solidarité avec les ouvriers français pour mieux combattre le racisme. Une campagne contre le fascisme s’adresse aux juifs qui adhèrent aux idées de droite. Ce Front uni juif rassemble des communistes, des bundistes et des sionistes qui tentent de dépasser leurs divergences. Cette stratégie est favorisée par l’abandon de la part de la IIIe Internationale de sa ligne sectaire.

Les procès de Moscou débouchent vers des débats virulents. Certains justifient cette épuration qui vise à combattre le fascisme. D’autres observent que les exécutions ciblent particulièrement les juifs. Le doute s’immisce au moment du procès de Radek, juif polonais et stalinien fervent. Cependant, les militants craignent l’exclusion du Parti communiste qui structure toute leur vie sociale. De nombreux ouvriers juifs s’engagent dans la guerre d’Espagne. Le coup d'État des généraux espagnols leur rappelle la prise du pouvoir par Pilsudski en Pologne.

 

Le Front uni s’effondre en France. La xénophobie devient toujours plus virulente, y compris au sein de la CGT. Les communistes juifs se contentent d’un antifascisme qui se réduit à défendre l’État bourgeois. En 1939, avec le Pacte germano-soviétique, les divisions se creusent. Les bundistes et les sionistes dénoncent les communistes comme les alliés des nazis. Les communistes juifs s’enferment à nouveau dans l’isolement et le sectarisme. Ces réactions ne prennent pas en compte le péril commun qui menace les Juifs immigrés.

En 1939, le pacte germano-soviétique introduit le doute chez les militants juifs du PCF qui se heurtent à l’hostilité des bundistes et des sionistes. Les communistes qui sont sortis de l’influence du PCF dénoncent une trahison contre le prolétariat européen. Le pacte avec Hitler n’est pas considéré comme de même nature qu’une alliance avec une fraction de la bourgeoisie au moment du Front populaire.

 

 

Face au fascisme et à l’occupation

 

Dès 1940, des structures semi-clandestines de militants communistes juifs sont mises en place. Elles vont servir de modèle à la Résistance organisée. Néanmoins, la presse du PCF et de la CGT se gardent bien de dénoncer l’occupant allemand. Les structures clandestines organisent avant tout la solidarité, mais pas encore la résistance. Les communistes juifs sont prêts à affronter les nazis, mais ils attendent l’autorisation du PCF. Même si des armes sont stockées.

En 1942, le PCF lance des groupes de lutte armée. Les militants de la FTP et de la MOI entrent en clandestinité. Ils abandonnent leurs proches et leurs occupations professionnelles. Ils sont rémunérés et ravitaillés par le mouvement de Résistance. Les femmes deviennent agents de liaison et transportent des armes. Elles participent à des actions de sabotage, notamment contre les camions allemands. Elles subissent autant la répression que les hommes. Les laboratoires de la MOI fabriquent des explosifs. Des actions de solidarité visent également à sauver des enfants des rafles. L’Union des Juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE) vise à coordonner ses actions, à côté du PCF.

 

La plupart des ouvriers juifs préfèrent éviter de se lancer dans des activités politiques, en dehors de la participation à des grèves massives, notamment pour éviter la répression. Mais des milliers de travailleurs juifs s’engagent dans l’armée française en 1939. Moins par patriotisme que pour combattre la menace nazie. Ils seront envoyés en première ligne.

Des juifs participent à une forme de collaboration économique. Mais ils travaillent avec les occupants avant tout pour survivre. De plus, les salariés ne font qu’exécuter les ordres de leur patron. En revanche, les notables juifs ont participé à une collaboration politique. Tout en prétendant agir au nom de l’intérêt supérieur du judaïsme. Des actions de sabotage de l’effort de guerre sont lancées face à des patrons qui profitent de la collaboration pour s’enrichir davantage. Des ouvriers se mettent en grève. Surtout, des ateliers sont incendiés par des groupes de lutte armée. Néanmoins, ces actions restent périlleuses par rapport à leur efficacité réelle.

 

 

            L’armée des ombres, Jean-Pierre Melville, 1969

 

 

 

Résistance des immigrés juifs

 

Une mythologie gaullo-communiste glorifie la résistance des maquis, souvent isolés et impuissants. En revanche, la guérilla urbaine reste effacée des mémoires. Surtout, lorsqu’elle est portée par des immigrés. Ce qui contribue à égratigner la farce d’une résistance patriotique. Le PCF envoie des militantes juives se sacrifier en allant porter des tracts devant les casernes allemandes. Les FTP-MOI sont envoyés pour les tâches les plus périlleuses. Même si ces militants sont souvent mieux structurés et bénéficient de l’expérience de la guerre d’Espagne.

Mais le groupe Manoukian se retrouve traqué et isolé dans Paris. Le Parti ne lui fournit même pas d’armes tout en donnant les consignes pour multiplier les attentats. Le Parti envoie des militants se sacrifier dans des actions spectaculaires pour pouvoir en tirer toute la gloire après la Libération. Considérés comme des opposants de gauche, les militants du groupe Manouchian ont probablement été trahis par des agents de la Guépéou.

Ensuite, la mort des résistants de l’Affiche rouge permet de faire défiler à la Libération des FTP aux noms bien français. Par ailleurs, les résistants de la MOI n’hésitent pas à s’attaquer à des collabos français. Au contraire, les communistes préfèrent tuer des soldats allemands, probablement enrôlés de force, plutôt que des collabos bien français. La résistance conserve une dimension nationaliste et patriotique qui s’attaque davantage aux Allemands qu’aux véritables nazis.

 

 

Diffusion d’information

 

Les bundistes peuvent difficilement combattre aux côtés des communistes qui ont approuvé le pacte germano-soviétique. Ils vont alors faire fuir le plus grand nombre de Juifs pour les sauver. Ils partent vers la zone Sud, vers la Suisse ou les États-Unis. La solidarité concrète pour sauver des Juifs semble moins spectaculaire que la résistance armée, mais n’en reste pas moins efficace et souvent risquée.

En Pologne, le Bund va tenter de convaincre les Juifs de ne pas se laisser enfermer dans des ghettos. Les bundistes vont ensuite lutter à l’intérieur de ces quartiers et vont impulser la révolte du ghetto de Varsovie en 1943. Ils vont tenter d’alerter les gouvernements « démocratiques » sur l’extermination des Juifs en Europe de l’Est, mais sans succès. En France, les bundistes se tournent vers les socialistes qui n’ont pas fait allégeance à Pétain. Ils fournissent une précieuse aide matérielle et logistique. Même si Daniel Mayer se garde bien d’évoquer le soutien du Bund au moment de la Libération.

La réalisation et la distribution de journaux dans la clandestinité restent des tâches périlleuses. Les communistes juifs parviennent à diffuser plusieurs journaux. Dès 1942, ils évoquent les camps d’extermination et le génocide comme destination des rafles et des déportations. Ces journaux n’hésitent pas à dénoncer la collaboration des Juifs, notamment de l’Ugif (Union générale des Israélites de France). En revanche, les communistes juifs adoptent le même ton que le PCF. Ils cultivent le patriotisme franchouillard. De même, ils dénoncent plus facilement les Allemands plutôt que la police française qui participe pourtant à de nombreuses arrestations. Staline et les combats de l’Armée rouge sont glorifiés.

 

 

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Histoire de la résistance juive

 

Maurice Rajsfus propose un livre précieux qui éclaire quelques zones d’ombre de l’histoire. Il s’appuie sur des témoignages mais pour les reconstituer dans leur contexte. Surtout, le livre de Maurice Rajsfus tranche avec l’histoire officielle colportée par les manuels scolaires.

Les Juifs sont souvent décrits comme des victimes naïves voire lâches qui attendent béatement leur extermination. Au mieux, l’histoire scolaire commémore leur génocide. Mais il n’est jamais question d’évoquer leur combat contre le fascisme. Au contraire, Maurice Rajsfus se penche sur les militants juifs qui comprennent rapidement les enjeux du fascisme et de l’antisémitisme. Notamment les immigrés polonais déjà confrontés à des pogromes. Les militants juifs ont joué un rôle important dans les luttes en France. Ils participent à la guerre d’Espagne contre le franquisme et multiplient les actions de résistance face à l’occupation nazie.

 

Maurice Rajsfus écorne également la mythologie de la Résistance. Il attaque le chauvinisme qui dénonce le « boche » plutôt que le nazi, notamment le collaborationniste bien français. La Résistance comporte une dimension nationaliste qui insiste sur l’occupant plutôt que sur la lutte contre le fascisme. Son histoire officielle efface également l’importance des immigrés dans les actions de la Résistance. Les gaullistes et les communistes communient dans cette version franchouillarde de la Résistance.

Maurice Rajsfus insiste également sur les erreurs du Parti communiste. Il évoque l’attentisme des staliniens au moment du Pacte germano-soviétique. Il remet en cause sa vision sacrificielle puis triomphaliste de la Résistance. Il moque la course aux médailles et au patriotisme qui prime sur les actions concrètes dans la Résistance. L’importance des femmes et des immigrés est alors gommée.

 

Source : Maurice Rajsfus, L’An prochain la révolution. Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne 1930-1945, Éditions du Détour, 2022

 

Articles liés :

Une histoire des communistes français

Les révolutionnaires dans les années 1930

Daniel Guérin et le Front populaire

Le nouveau fascisme en Europe

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Ludivine Bantigny et Arié Alimi, Soirée de lancement de la collection Maurice Rajsfus, diffusée sur le site de l'émission #AuPoste le 20 juin 2021

Vidéo : Maurice Rajsfus l’éclaireur raconté par ses enfants, diffusée sur le site de l'émission #AuPoste le 20 mai 2021

Vidéo : Maurice Rajsfus, une vie de lutte #1, diffusée par ACTA le 14 juin 2021

Vidéo : Maurice Rajsfus, une vie de lutte #2, diffusée par ACTA le 14 juin 2021

Vidéo : Maurice Rajsfus, une vie de lutte #3, diffusée par ACTA le 14 juin 2021

Vidéo : Maurice Rajsfus, une vie de lutte #4, diffusée par ACTA le 14 juin 2021

Vidéo : Filmographie diffusée sur le site Les Ami.e.s de Maurice Rajsfus

Radio : Maurice Plocki dit Rajsfus, historien autonome (1928-2020), diffusée sur France Culture le 12 mars 2022

 

Claude Lévy, Rajsfus Maurice, L'an prochain la révolution. Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne, 1930- 1945, publié dans la revue Vingtième Siècle en 1985

Site de l'association Les Ami.e.s de Maurice Rajsfus

Jean-Paul Salles, RAJSFUS Maurice [PLOCKI Maurice], publié sur le site Le Maitron le 26 août 2018

Maurice Rajsfus, une vie de livres et de combats, publié dans Hebdo L’Anticapitaliste n°626 le 1er septembre 2022

Olivier Doubre, Maurice Rajsfus, « camarade éclaireur », s’en est allé…, publié dans l'hebdomadaire Politis le 17 juin 2020

Ludovic Simbille, Maurice Rajsfus, historien de la répression : « J’ai toujours été un emmerdeur », publié sur le site Basta le 23 octobre 2020

Maurice Rajsfus, Les flics et l’antisémitisme, publié sur le site Révolution Permanente le 28 juin 2020

Maurice Rajsfus, L’Étoile jaune et la rafle du Vél’ d’Hiv, paru dans lundimatin#341, le 30 mai 2022

Publié dans #Histoire des luttes

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F
La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde.
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L
il n'y avait pas que devant les casernes allemandes qu'étaient distribués des tracts, sous l'Occupation. Emeric Epstein, natif de Nagyvarad dans l'empire austro-hongrois mais surtout issu de la bonne-bourgeoisie (il parlait donc un très parfait allemand et sans accent, à la différence de camarades issus d'un milieu pauvre et dont en plus l'allemand était souvent altéré parce que le yiddisch avait été leur langue maternelle) m'a raconté qu'à Toulouse, lui et ses camarades allaient dans des cafés fréquentés par des soldats allemands. Ils commandaient un demi, le buvaient, et s'en allaient ; mais auparavant ils avaient pris soin de glisser dans le journal laissé sur le table des tracts rédigés en allemand et qui disaient : "vous êtes finis vous êtes foutus".<br /> Il m'a dit aussi qu'après la guerre il aurait aimé interviewer ces camarades afin de pouvoir écrire leur histoire mais que beaucoup étaient alors retournés dans leur pays natal, Hongrie ou autre, pour "construire le communisme"...
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