Young Lords, les Black Panthers latinos

Publié le 20 Janvier 2018

Young Lords, les Black Panthers latinos
Les Young Lords émergent dans le contexte de la contestation des années 1968. ces Black Panthers latinos s'implantent notamment dans un quartier populaire de New York.
 

 

De nombreux mouvements secouent le conformisme de la société américaine dans le bouillonnement des années 1968. Le groupe le plus connu reste celui des Black Panthers qui incarnent la révolte afro-américaine. Mais d’autres mouvements émergent.

 

Les Young Lords regroupent des latinos qui soutiennent les luttes des femmes mais aussi les mouvements homosexuels. Ce qui les distingue dans le contexte machiste et militariste de cette époque. Surtout, les Young Lords contribuent à renouveler les pratiques de lutte. Dans un contexte de renouveau de la contestation depuis le mouvement Occupy, il peut sembler intéressant de se pencher sur ce mouvement des Young Lords. La journaliste Claire Richard fait revivre cette aventure politique dans le livre Young Lords. Histoire des Black Panthers latinos (1969-1976).

 

La journaliste s’attache notamment à décrire leurs actions concrètes, loin du folklore gauchiste. « Si j’ai passé autant d’années à reconstruire l’histoire des Young Lords, c’est parce qu’il m’a semblé qu’elle offrait une entrée passionnante dans la réalité concrète de l’action militante, dans ce qui fait l’action politique au quotidien », précise Claire Richard. Mais les Young Lords de New York ont également contribué à créer un nouvel imaginaire social et un désir de révolution. Ils incarnent « le meilleur du radicalisme des sixties » selon l’historienne Johanna Fernandez.

 

 

                                         

 

Débuts des Young Lords

 

Les Young Lords émergent en 1969 dans le quartier pauvre de Spanish Harlem, que ses habitants appellent El Barrio. Les révolutionnaires veulent passer à l’action concrète. Pour cela, ils demandent aux gens quels sont leurs besoins. C’est le problème des poubelles qui ressort. L’entassement des ordures provoque des problèmes sanitaires mais reflète également le mépris de la mairie. Les jeunes révolutionnaires s’attendaient à des problèmes grandioses, comme les violences policières. Ils s’aperçoivent que leurs fantasmes de guérilla sont déconnectés des réalités du quotidien. « On se voyait comme les instituteurs des masses aliénées. On croyait tout savoir, qu’il suffisait de lire quelques livres sur la révolution pour devenir des chefs révolutionnaires. Ça montre à quel point on était inexpérimentés, combien on connaissait mal la réalité de la rue », se souvient Micky Melendez.

 

Les Young Lords descendent dans la rue avec bérets violets et treillis militaires. Mais ce n’est pas pour un affrontement héroïque avec la police. Ils ne tiennent pas des fusils mais des balais. Ils nettoient les rues avec un mégaphone pour expliquer leur action. La population, d’abord indifférente, les rejoint rapidement. Les Young Lords vont voir le service d’assainissement de la mairie pour demander de ramasser les poubelles. Mais la mairie refuse. Les Young Lords versent alors toutes les ordures sur Lexington avenue avant d’y mettre le feu. La police intervient et c’est une émeute qui se déclenche. Dans les années 1960, les quartiers pauvres se révoltent souvent. Ces émeutes révèlent la colère face à la misère et à la dégradation des conditions de vie. Les Young Lords organisent également des actions pour bloquer les axes routiers les plus cruciaux de New York.

 

Les Young Lords sont des enfants d’immigrés portoricains. Cette population subit le racisme et surtout la pauvreté. Le contexte des années 1960 favorise la politisation de la jeunesse. Révoltes sur les campus, manifestations contre la guerre du Vietnam, discours de Malcolm X, Black Panthers composent une ambiance contestataire. A Chicago, les Young Lords viennent des gangs. Cha Cha Jimenez découvre le mouvement noir en prison. Les Black Panthers deviennent alors un modèle. Cha Cha Jimenez lutte dans son quartier contre la rénovation urbaine et l’augmentation des loyers. Les Young Lords rejoignent la Rainbow Coalition, incarnée par Fred Hampton, qui regroupe différents mouvements pour lutter contre le maire Daley. Les Young Lords de New York se rencontrent à l’université. Ils se créent sur le modèle de Chicago dont ils apprécient l’approche non dogmatique.

 

 
 

 

 

Luttes dans les quartiers

 

Les Young Lords forment un Comité central avec des ministres, sur le modèle des Black Panthers. Les étudiants parviennent à s’ouvrir pour attirer une population plus pauvre et plus âgée.

 

« Le parti des Young Lords est un parti politique révolutionnaire qui lutte pour la libération de tous les peuples opprimés », affirme leur programme. Ce texte est influencé par le marxisme, le nationalisme portoricain et la nouvelle gauche. Il insiste sur la transformation des conditions d’existence immédiate par et pour le peuple. Les Young Lords refusent la rigidité idéologique et s’appuient surtout sur une démarche pragmatique. Leur mise en avant du peuple reste assez confuse. Le terme de peuple inclue les pauvres, les opprimés, mais aussi tous les portoricains quelle que soit leur classe sociale. Mais le peuple désigne surtout les plus pauvres. Les Young Lords conservent une conception sacrificielle du militantisme. Ils entendent « Servir le peuple, corps et âme » et doivent respecter des règles de conduite.

 

Les Young Lords mettent en place des community programs pour répondre aux besoins immédiats de la population. La solidarité et l’entraide doivent permettre de s’organiser sans l’Etat. « Nous voulons une société socialiste. Nous voulons la libération, les vêtements, la nourriture gratuite, l’éducation, la santé, les transports, l’eau, le gaz, l’électricité et l’emploi pour tout le monde », affirme le programme des Young Lords. Pour traduire ces principes de manière concrète, ils organisent des petits déjeuners et distribuent des vêtements gratuitement. Ils projettent également des films. L’occupation d’une église pour rendre visible leurs activités permet aux Young Lords de devenir très populaires.

 

 

Les Young Lords ne veulent pas se contenter d’actions spectaculaires. Ils veulent également construire une organisation sur la durée et s’implanter dans les quartiers populaires. Accompagner des familles et découvrir le mépris de l’administration fait basculer des travailleurs sociaux. « Franchement, je crois que c’est juste ça, ce qui m’a radicalisée : de voir les conditions atroces dans lesquelles ces gens vivaient, et de réfléchir à ce qui pourrait être fait, collectivement, pour changer les choses », témoigne Cleo Silvers. La santé reflète les inégalités sociales et devient un problème central du quotidien. Le système d’oppression et de discrimination s’incarne à travers la santé. Les Young Lords veulent s’attaquer à ce problème concret pour la population, mais aussi construire un rapport de force pour obliger la mairie à prendre des mesures.

 

Les Young Lords s’opposent à la médecine capitaliste liée à l’industrie pharmaceutique. Ils considèrent que la santé n’est pas l’apanage des institutions médicales mais doit être appropriée et contrôlée par la population. Ensuite, ils estiment que les problèmes de santé sont liés à l’environnement social et aux conditions de vie.

 

Les Young Lords organisent des dépistages gratuits de saturnisme. Ils obligent ainsi la mairie à lancer un programme public de dépistage et à interdire la peinture au plomb sur les logements. Cette pratique permet de lutter contre d’autres maladies. « Nous appliquions la même méthode : aller sur le terrain, identifier le problème, faire un scandale et forcer les autorités à réagir », décrit Juan Gonzales.

 

Les Young Lords occupent un hôpital vétuste qui ne permet pas de soigner correctement les malades. Ce qui oblige la maire à construire un nouvel hôpital. Les Young Lords créent également un centre de désintoxication qui s’appuie sur l’acuponcture.

 

 

 

  

Lutte contre toutes les oppressions

 

Les Young Lords luttent contre tous les préjugés racistes, machistes et homophobes. Le militantisme et la forme paramilitaire alimentent une posture virile au sein même de l’organisation. Une « révolution dans la révolution » devient nécessaire. La culture portoricaine traditionnelle repose sur la famille patriarcale. Les femmes doivent rester à la cuisine tandis que les hommes doivent affirmer leur virilité. Mais les mouvements sociaux des années 1960 cantonnent également les femmes à des rôles secondaires. Le nationalisme noir est même ouvertement patriarcal.

 

Les Young Lords ont grandit dans une culture machiste. Mais ils doivent évoluer, notamment sous l’influence de Denis Oliver. Les femmes doivent participer pleinement aux activités politiques. Des groupes de parole permettent aux jeunes femmes de se libérer de la passivité qui leur a été inculquée. Des crèches doivent également permettre aux femmes d’assister aux réunions. Les hommes participent à la préparation des déjeuners gratuits. Tandis que des femmes, comme Iris Morales, donnent des cours politiques ou écrivent dans le journal Palante.

 

Les Young Lords luttent contre toutes les oppressions. Ils critiquent le capitalisme, mais aussi le machisme et l’homophobie. C’est un mouvement émancipateur d’ensemble qui doit dépasser toutes ces formes d’oppression.

 

 

Les Young Lords sont ouverts au-delà des Portoricains. Des Noirs peuvent également en être membres. En revanche, ils se méfient des Blancs de gauche qui les admirent et refusent de les critiquer au nom de leur vision morale de l'antiracisme. « C’est ridicule. Les Young Lords font des erreurs, et si nous faisons des erreurs, nous voulons que nos compañeros et nos compañeras blancs nous critiquent », tranche Pablo Guzman. Les relations honnêtes et égalitaires doivent prédominer.

 

Le nationalisme portoricain conduit les Young Lords à abandonner leur implantation à New York pour rejoindre Porto Rico. Ils ne connaissent pas le pays et parlent mal l’espagnol. Ce qui conduit à une impasse et à un sabordage de l’organisation. C’est une minorité qui décide de la ligne des Young Lords et les autres doivent suivre. Ce fonctionnement hiérarchique débouche vers l’effondrement de l’organisation. Les Young Lords se transforment en une secte maoïste, violente et paranoïaque.

 

 
 

 

 

Nouvelles pratiques de lutte

 

Le livre de Claire Richard permet de faire revivre l’organisation originale des Young Lords. Claire Richard décrit leurs idées, leur démarche et leurs pratiques de lutte. Son livre permet d’observer les forces mais aussi les limites de ce mouvement.

 

Les Young Lords proposent une critique libertaire de la société. Ils critiquent les institutions, comme les hôpitaux ou la mairie. Ils veulent replacer « le peuple » au centre des processus de décision. Ce sont les habitants des quartiers qui doivent pouvoir déterminer quels sont leurs besoins. La critique de la médecine et l’ouverture de centre de santé reflète bien cette approche. C’est à travers une démarche d’action concrète que les Young Lords abandonnent leurs fantasmes sur les ghettos et tentent véritablement de s’implanter dans les quartiers populaires. Ensuite, les Young Lords s’inscrivent dans une lutte globale contre le capitalisme et toutes les formes d’oppression.

 

En revanche, la forme d’organisation des Young Lords reste très marquée par le marxisme-léninisme. C’est un comité central qui dirige une organisation très hiérarchisée. Ensuite, un militantisme sacrificiel se développe. Une discipline et des règles de conduite sont imposées. Ce ne sont pas les individus qui décident collectivement de se fixer des règles de fonctionnement. C’est un comité central qui impose des codes de conduite. Cette forme autoritaire et hiérarchisée débouche d’ailleurs sur l’effondrement des Young Lords.

 

 

Ce militantisme sacrificiel débouche vers un rapport particulier aux habitants des quartiers populaires. Le mot d’ordre « Servir le peuple » reste très confus. Les Young Lords ne se considèrent pas comme des membres des classes populaires qui cherchent à tisser des solidarités de classe. Ils se considèrent comme extérieurs aux quartiers populaires, dont ils sont pourtant originaires. Ils adoptent la posture d’étudiants gauchistes en quête d’un sujet révolutionnaire.

 

Les Young Lords sont d’ailleurs une organisation cloisonnée. Les membres se distinguent des non membres. Ce type d’organisation gauchiste reproduit toutes les formes de séparations. Si l’aide sociale concrète permet de créer des contacts, elle glisse vers une posture de travail social. La personne qui aide se distingue de celle qui reçoit. Ce n’est donc pas une solidarité de classe égalitaire, mais davantage une logique caritative. Le livre n’évoque aucune assemblée ou lutte organisée avec les habitants du quartier. Les Young Lords luttent pour le peuple, mais pas avec.

 

Malgré ces limites, cette organisation permet de montrer l’importance de l’action concrète et de l’implantation locale. La démarche des Young Lords permet de diffuser une critique du système capitaliste et raciste à partir des problèmes de la vie quotidienne. Les Young Lords ne restent pas enfermés dans l’idéologie mais se frottent à la réalité pour impulser des luttes concrètes. Ce type de militantisme peut permettre de diffuser une contestation sociale. C’est par les luttes sociales que les personnes se politisent et désirent reprendre le contrôle de leur vie.

 

 

Source : Claire Richard, Young Lords. Histoire des Black Panthers latinos (1969-1976), L’échappée, 2017
 
Extraits publiés sur le site Slate  
 
Pour aller plus loin :
 
 
Fiche de lecture publiée dans lundimatin#127, le 23 décembre 2017
 
Jean-marc B, Young Lords. Histoire des Blacks Panthers latinos (1969-1976), publié sur le site Mediapart le 24 décembre 2017
 
Jean Rouzaud, Dans les 70’s, des Black Panthers latinos, publié sur le site Nova le 14 novembre 2017
 
 
Radio : émissions avec Claire Richard diffusées sur France Culture
 
Radio : sons de Claire Richard diffusés sur Arte Radio
 
Articles de Claire Richard publiés dans la revue en ligne La Vie des idées
 
Articles de Claire Richard publiés sur le site de L'Obs

Publié dans #Histoire des luttes

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