Une histoire du mouvement punk rock
Publié le 10 Février 2014
Le mouvement punk exprime la révolte de toute une jeunesse qui découvre la crise économique. Incarnée par des groupes populaires, cette contre-culture attaque l'ordre social.
La culture punk semble désormais muséifiée. Selon les journalistes et autres experts en tout genre, le punk a disparu. C’est juste la bande sonore de la jeunesse révoltée des seventies. Pire, la contre culture punk s’est tellement intégrée au capitalisme que son état d’esprit jeune et rebelle devient le moteur des nouvelles formes de management. Jusqu’à Mathieu Pigasse, le "banquier punk" proche du PS. Au contraire, Bruno Blum s’attache à faire revivre la révolte punk et souligne son originalité dans un livre récent. Sa présentation synthétique des groupes punks permet de comprendre leur originalité.
Les racines de la musique punk
La créativité permet d’exprimer des idées contestataires, en rupture avec l’ordre social. « La musique a toujours été l’un des moyens d’expression privilégiés des innovateurs, des iconoclastes, des révolutionnaires, des anarchistes, des purs, des empêcheurs de s’embourgeoiser en rond. Elle révèle et reflète les avancées culturelles, les changements de mœurs, les mutations de la société. Elle exprime les idées d’un tas de contestataires », souligne Bruno Blum. Les grands musiciens sont ceux qui ont su innover et créer en bousculant les codes et les traditions des sociétés aristocratiques et bourgeoises. De Mozart à Richard Wagner, les grands compositeurs se sont heurtés au conformisme social. « En ces temps de tabous bourgeois et de traditions religieuses indéboulonnables, la moindre innovation signifiait braver l’autorité en place », rappelle Bruno Blum.
Les noirs expriment également leur révolte contre l’oppression à travers la musique. Blues, jazz, rock ou culture hip hop proviennent de cette musique noire. Patti Smith incarne cette filiation entre le punk et la lutte contre la domination raciale. Mais le punk rock devient progressivement la musique de tous les exclus et les marginaux de la société bourgeoise. Le blues exprime des émotions profondes, directes et efficaces. Cette musique refuse la religion, les conventions sociales et l’autorité. « Le blues reflète à la fois la misère qu’il décrit, la souffrance qu’il chante mais aussi l’espoir et la fête qu’il magnifie », observe Bruno Blum. La musique demeure le seul moyen de se révolter pour des noirs dans les années 1920 au Texas. Le jazz favorise l’improvisation et la danse libre. Le jazz moderne, le be bop, explose en 1947. Cette musique devient la bande son de la beat génération et des écrivains marginaux des années 1960.
Elvis Presley devient le premier blanc à valoriser la musique spontanée et la danse suggestive des noirs. Il invente le rock’n’roll et choque l’Amérique puritaine avec un genre ouvertement sexuel. Mais Elvis se contente de reprendre la musique noire pour faire grossir son compte en banque. En réalité, il n’invente rien. Little Richards peut apparaître comme le premier punk avec sa folie musique radicale et violente. Il cogne sur le clavier avec le poing. Mais le rock subit scandales, censure et racisme dans la société réactionnaire et pudibonde de la fin des années 1950. En Angleterre, les Teddy boys expriment leur révolte à travers le rock et la musique noire. Ils s’habillent avec des blousons de cuir et sont considérés comme des voyous. C’est de ce mouvement qu’émerge le groupe des Beatles.
Au début des années 1960, le rock semble s’enliser dans la variété mollassonne et aseptisée. La révolte ne provient pas de l’industrie culturelle mais des musiciens amateurs qui répètent dans leur garage. « Le principe du groupe de rock amateur, branleur, qui joue approximativement mais avec une énergie sans faille, est essentiel au processus qui mène au mouvement punk », souligne Bruno Blum.
Mais la mode reste la musique baba cool avec les niaiseries de flower power. Le mouvement hippie imprime la musique de sa déliquescence. A New York, Lou Reed dénonce ce nouveau conformisme musical. Ce passionné de rock’n’roll et de jazz d’avant-garde veut mettre en musique la littérature et la poésie beat. Avec d’autres artistes, il crée le Velvet Underground. La musique accompagne la projection de films sur la vie quotidienne.
Le MC5 se rattache au mouvement hippie, mais surtout à sa dimension contestataire. Ce groupe se rapproche de John Sinclair qui baigne dans la culture hippie comme dans le mouvement révolutionnaire. Il est également proche des Blacks Panthers, un groupe afro-américain d’auto-défense et de libération. Après un concert des MC5, une émeute éclate contre la police. « On voulait être différents, on voulait se marrer et pas aller bosser. Notre conscience politique s’arrêtait là. Notre programme, c’était la défonce, le rock’n’roll, et baiser dans les rues », témoigne Wayne Kramer un membre du White Panther Party, proche du MC5.
Au début des années 1970, les New York Dolls expriment un rock provocateur mais qui ne se prend pas au sérieux. Loin des solos interminables et ennuyeux, les New York Dolls permettent de s’amuser à nouveau dans les concerts. Ils assument même une forme d’amateurisme et privilégient le plaisir de la musique. « Je pense que notre influence sur le rock punk, c’est qu’on a montré que n’importe qui pouvait le faire », souligne David Johansen.
De nombreux petits groupes de rock commencent à jouer dans les pubs depuis les années 1960. Ils ne cherchent pas la démonstration technique, mais tentent simplement d’accélérer le tempo pour faire danser la salle. « Fini les solos de guitare interminables, les bœufs approximatifs et les babacooleries qu’on écoute assis en dodelinant du chef. Cette fois on se lève, on lampe une gorgée de bière et on bouge son cul ! », décrit Bruno Blum.
La presse contribue à promouvoir ses concerts dans les pubs et à diffuser cette culture punk. Le New Musical Express, plutôt de gauche, évoque les artistes les plus dérangeants et innovants. Mais la plupart des rédacteurs en chef se méfient de cette musique en conflit avec la société, mais aussi avec la culture des sixties.
Malcolm McLaren, le manager des Sex Pistols, s’inscrit dans la tradition britannique des excentriques et des dandys. Il s’enthousiasme pour le souffle libertaire de Mai 68 et se passionne pour les idées situationnistes. Malcolm participe à King Mob, un groupe anarchiste proche des idées situationnistes. Il rejette le conformisme des hippies mais semble séduit par les slogans et graffitis de Mai 68. A la sortie de son école d’Art, il découvre le mouvement Fluxus et le pop art.
John Lydon, qui deviendra Johnny Rotten, grandit dans un milieu ouvrier. Issu d’une famille d’Irlandais, il subit le mépris et le racisme dès le plus jeune âge. Il déteste l’éducation dans l’école catholique. Il rencontre Sid Vicious. Tous les deux vivent dans un squat, affirment leur anticonformisme vestimentaire et rejettent la musique commerciale. Ils commencent à jouer dans le métro. Ils privilégient la franchise et l’énergie sur la prestation technique.
Steve Jones et Paul Cook sont également issus de la classe ouvrière. Ils jouent de la musique avec du matériel volé. Ils fréquentent la boutique de vêtements de Malcolm McLaren et lancent un groupe. Le manager crée les Sex Pistols avec ses quatre individus qui ne semblent pas s’apprécier.
Joe Strummer, le chanteur du Clash, est issu d’une famille petite bourgeoise et conservatrice. Il est fasciné très jeune par les artistes afro-américains. Il s’enthousiasme également pour la révolte de Mai 68. Il semble proche du mouvement anarchiste qui conteste le monde bourgeois et s’attache à une libération sexuelle.
Mick Jones, également issu d’un milieu bourgeois, demeure avant tout un marginal passionné par la culture rock. Paul Simonon vit à Brixton, le quartier jamaïcain de Londres. Il écoute surtout du ska et du reggae.
En 1976, les Sex Pistols jouent mal mais s’appuient sur la provocation permanente. Les musiciens déclarent même qu’ils « n’aiment pas la musique, mais le chaos », pour choquer le public. Malcolm McLaren enrobe cette attitude de références artistiques et d’un discours situationniste radical. « Pour lui, la pureté rebelle du groupe correspond à ce que la jeunesse demande, face à la décadence insipide et autosatisfaite des célébrités, à l’ennui, de plus en plus palpable, lors des concerts ou sur disques : le rock est devenu emmerdant (un comble) et il lui faut un grand coup de pied au derche », résume Bruno Blum.
Sid Vicious incarne le mouvement punk. Il rejette toutes les valeurs et ne cesse de combattre l’ennui. Les Sex Pistols aspirent à une liberté absolue. La jeunesse britannique se reconnaît dans ce désir de dynamiter l’hypocrisie de la société bourgeoise.
En 1976, c’est le début de la crise économique, de la montée du chômage et des réformes libérales. Les Sex Pistols incarnent un punk humoristique et simplement provocateur. Mais le Clash s’appuie sur une conscience politique qui incite à l’action et au soulèvement populaire. Leur chanson White Riot appelle l’ensemble de la population à suivre l’exemple de la révolte des noirs.
Les Sex Pistols multiplient les scandales. La chanson Anarchy in the UK attaque l’ordre social et moral. Ensuite, ils insultent le présentateur au cours d’une émission télévisée de grande écoute. La presse se déchaîne et tente de salir leur réputation. Mais, au contraire, les Sex Pistols deviennent un point de ralliement pour la jeunesse révoltée. Le punk sort de la marginalité pour devenir un phénomène culturel d’ampleur.
En 1977, le punk rock irrigue la culture populaire en Angleterre. Cette musique devient incontournable, y compris dans les médias mainstream. « La presse musicale anglaise est devenue folle du punk, qui véhicule des images de libération sexuelle (Patti Smith), de libération sociale (Clash) et de libération de tous les tabous (Sex Pistols) », décrit Bruno Blum.
Les Sex Pistols perturbent même le jubilé de la reine. Leur chanson God Save the Queen attaque la figure mythique de la nation anglaise. Le Royaume-Uni est considéré comme un pays fasciste, notamment en raison de son soutien au régime raciste d’Afrique du Sud. Dans cet unanimisme médiatique autour du jubilé de la reine, le groupe punk incarne la voix de la résistance. « C’est-ce que ressent fortement le jeune public qui considère les Pistols pour ce qu’ils sont : de jeunes esprits libres victimes de l’oppression féroce d’un système qu’ils osent dénoncer et insulter. Les peuplades punks hérissées se dressent à contre-courant de toute la machine monarchique consumériste et conservatrice qui bourre le crâne de tout le pays », observe Bruno Blum. Mais les Teddy boys et l’extrême droite n’hésitent pas à agresser les Sex Pistols et de jeunes punks.
Des groupes de punks désirent jouer en dehors des maisons de disques et de l’industrie musicale pour privilégier la liberté artistique. Mêmes des femmes peuvent ainsi monter sur scène.
Aux Etats-Unis, le mouvement punk reste marginalisé malgré l’émergence de groupes contestataires. The Dead Kennedys, incarnés par Jello Biafra, s’inspirent des Pistols et insultent le gouverneur de Californie dans une chanson. Seuls des petits fanzines soutiennent le mouvement punk. Même la presse musicale dénigre le punk, en dehors du journaliste Lester Bangs.
En 1979, après la déliquescence des Sex Pistols, le mouvement punk semble s’effondrer. Margareth Thatcher s’apprête à prendre le pouvoir pour imposer un retour à l’ordre, avec la fermeture des pubs notamment. Mais le Clash perdure avec son album « London Calling » un manifeste social qui décrit une Angleterre sur le point de basculer dans la barbarie néolibérale. Mais le groupe qui incarne le punk social disparaît également. « Le Clash aura touché les limites du rock engagé, et se sera replié après de belles victoires. Il aura gagné plusieurs batailles, mais pas la guerre », estime Bruno Blum.
Le livre de Bruno Blum permet de présenter les origines du mouvement punk, avec de très belles photos d’illustration. Mais le journaliste évoque surtout les groupes phares. En ce sens, il est possible d’affirmer que le mouvement punk semble avoir disparu. Pourtant, le punk c’est aussi ses anonymes qui montent un groupe entre amis, écrivent et diffusent un fanzine, organisent des concerts. Cette contre-culture semble toujours bercer de nombreux passionnés. La musique ce n’est pas une profession, mais surtout un plaisir. Le punk semble accessible à n’importe qui et tout le monde peut participer à ce mouvement. C’est avant tout un état d’esprit qui associe la rage et le plaisir.
Source : Bruno Blum, Sex Pistols, Clash… et la révolution punk, Hors Collection, 2014
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Radio : Aux origines d’un mouvement, documentaire diffusée sur France Culture le 15 avril 2019
Radio : "Sid Vicious : punk’s not dead", reportage diffusé sur France Culture le 22 août 2012
Radio : émissions sur le punk sur France Culture
Radio : émission Une vie une oeuvre sur Malcolm McLaren diffusée sur France Culture le 10 janvier 2015
Nicolas Béniès, "Le présent du passé pour creuser l’avenir", publié sur le site du Snes FSU le 2 décembre 2013
Interview, "The Clash - Ils ont combattu la loi", publié sur le site Brain Magazine le 23 octobre 2013
Christian Girard, "Mouvement punk : Le désenchantement et la fureur", publié sur le site de la Revue Les libraires
Goubi, Que reste-t-il du mouvement punk ?, publié sur le site Ma cervelle a brûlé le 23 octobre 2014
Cissé Aminata, Farès Arige et Lysa Le Maire, Mouvement Punk : Un mouvement de contre-culture
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