Musiques et cultures jamaïcaines

Publié le 19 Août 2017

Musiques et cultures jamaïcaines
Toute une variété de cultures musicales proviennent de la Jamaïque, de la soumission aux valeurs traditionnelles jusqu'à la contestation sociale.

 

La Jamaïque, petite île au milieu des Caraïbes, est devenue incontournable dans l’histoire de la musique. Les cultures populaires puisent dans ce berceau de créativité artistique. La figure de Bob Marley masque une importante diversité musicale. Les souffrances de l’esclavage et de la colonisation alimentent le jazz et le blues. Les musiques urbaines contemporaines s’inventent dans les ghettos de Kingston dans les années 1950.

Le deejay, le soundsystem, le remix, le dub émergent en Jamaïque. Musique sacrée et profane, rurale ou urbaine, militante ou légère, sages rastafari ou rude boys du ghetto nourrissent une diversité musicale. La musique jamaïcaine est devenue le haut-parleur des musiques du monde. Le livre collectif de l’exposition Jamaïca Jamaïca ! permet de retracer cette histoire culturelle et politique. Il décrit les différents styles musicaux, comme le mento, le ska, le rocksteady, le reggae, le dub, le dancehall.

 

 

 

 

Diversité musicale

 

La musique jamaïcaine puise sa source dans l’esclavage et la colonisation. Cet héritage nourrit également des innovations musicales, avec un univers sonore et culturel propre qui dépasse désormais les frontières de l’île.

Kenneth Billy décrit l’esprit de la musique jamaïcaine. C’est uniquement à partir des années 1950 que se développe une originalité musicale en Jamaïque. Son rayonnement peut s’expliquer par l’alliance entre une énergie culturelle locale et l’importation de divers éléments sonores.

Le reggae, qui émerge aux alentours de 1968, mélange la musique traditionnelle et les rythmes nouveaux. Des influences étrangères permettent d’inventer de nouvelles sonorités. Le « reggae roots » renouvelle l’histoire locale de l’île et réaffirme ses origines africaines. L’héritage folklorique se mêle la culture musicale populaire de Kingston.

 

Heather Augustyn revient sur les débuts de la musique jamaïcaine. Le jazz et le rythm and blues se développent progressivement. Le ska émerge à partir de 1962, lorsque la Jamaïque devient indépendante du Royaume-Uni. L’île devient une terre des possibles et de l’inventivité musicale. « Ses habitants cherchent des manières de consolider leur identité, et l’établissement d’un genre musical qui leur est propre en est une », observe Heather Augustyn.

Le ska apparaît comme une musique instrumentale. Mais les paroles reprennent les thèmes classiques du rythm and blues américain avec érotisme et allusions sexuelles. Mais le tempo enlevé et les mélodies galvanisantes accompagnent également les luttes sociales.

La musique rastafari influence l’identité jamaïcaine avec les rythmes plus souples du rocksteady, avec moins de cuivres. La soul, qui devient influente aux Etats-Unis, joue également un rôle dans l’avènement du rocksteady. Cette musique, avec son approche plus apaisée que le ska, apparaît comme un appel au calme.

 

Musiques et cultures jamaïcaines
Reggae et dancehall

 

Thibault Ehrengardt évoque le contexte historique de l’avènement du reggae. Derrière la figure de Bob Marley, c’est toute une scène musicale qui se développe. A partir de 1968, ce bouillonnement créatif attaque le pouvoir colonial à l’époque de Malcolm X et des Blacks Panthers. Le message rasta se développe à travers la musique. Le retour du Christ noir, Rastafari, déclenche l’apocalypse tandis que s’effondre Babylone. L’Homme noir doit donc s’unir.

Malgré un discours de joie et de fête, le reggae éclot dans une Jamaïque ravagée par des guerres politiques. Le règne de Manley, leader socialiste, débouche vers de violents affrontements. La musique se replie sur elle-même, avec des préoccupations plus prosaïques et des paroles légères. Les années 1980 ouvrent la période de la coke et du fric sur fond de misère sociale et de corruption.

 

Carolyn Cooper décrit l’ère du dancehall. A la fin des années 1970, de nouveaux sons électroniques transforment le paysage musical. Boîtes à rythmes et synthétiseurs proposent des sonorités nouvelles. A partir de 1984, King Yellowman incarne un dancehall entre « débauche » et « culture ». La sexualité débridée s’articule avec une conscience sociale et politique. La vulgarité permet de jeter un regard satirique sur la police et les institutions. Dans les années 1980, les femmes deejays apportent des perspectives féministes. Elles s’emparent du thème de la sexualité pour affirmer leur mainmise dans ce domaine. Même si la culture dancehall apparaît souvent comme misogyne, homophobe et violente.

Mais une dimension politique forte s’affirme dans l’écriture des paroles. Les textes expriment les luttes des danseurs qui cherchent à reconquérir leur humanité dans un contexte de difficultés économiques. La libération des corps doit permettre de transcender les privations matérielles. Le style vestimentaire est interprété comme le modèle de la femme objet dans une dévalorisation pornographique. Mais, au contraire, les femmes affirment le droit au plaisir sexuel. Elles interprètent des rôles érotiques qui s’opposent aux conventions sociales du quotidien. « Dans l’univers merveilleux du dancehall, on peut renverser les rôles établis, s’approprier de nouvelles identités », analyse Carolyn Cooper.

 

Kingston 2015

 

Musiques contestataires

 

Joshua Chamberlain évoque le sound system. Cette disco mobile permet de diffuser différents morceaux, avec les vocalises des deejays. Des soirées permettent de réunir la communauté noire. Le sound system devient « la voix du peuple » avec la danse de rue et l’appropriation revendicative de l’espace public. Cette culture passe par l’affrontement créatif. Jeux de rôles et joutes oratoires se combinent à la musique.

DJ Herc importe la culture sound system aux Etats-Unis, à l’origine de l’histoire du hip hop. Originaire de Jamaïque, Herc s’installe à New York au début des années 1970. Il propose une vocalisation par-dessus une version instrumentale. Deux platines permettent de mixer le pont entre deux enregistrements d’une même chanson.

 

Giulia Bonacci évoque la conscience noire de la musique jamaïcaine. La résistance et la contestation rythment cette société. La musique devient le moyen d’expression de ceux qui n’ont pas la parole ailleurs. Elle incarne une conscience noire qui tente de dépasser les rapports de domination de classe et de « race » qui fondent les sociétés caribéennes.

La conscience noire ne renvoie pas à une dimension biologique ou ethno-culturelle mais aux conditions historiques et politiques issues de l’esclavage et de la colonisation. « Si les Jamaïcains sont passés maîtres dans l’art de résister, de contester, de renverser les hiérarchies symboliques et politiques, ce processus est particulièrement sensible et visible dans la musique », observe Giulia Bonacci. 

Les Rastafaris se réfèrent à l’Ethiopie comme terre de tous les noirs et des Africains. Ils développent une culture religieuse et un nationalisme noir. Mais le discours devient plus politique avec l’influence du Black Power et de Malcolm X. L’analyse critique du capitalisme se développe. Les Rastafaris se saisissent du reggae qui devient indissociable de leur propre culture.

 

Musiques et politique

 

Ce livre collectif permet de présenter la musique jamaïcaine dans toute sa diversité. Les contributions replacent cette culture populaire dans son contexte historique, social et politique. Elles s’attachent à prendre au sérieux les musiques et les cultures populaires. Le livre s’achève d’ailleurs par les textes de Stuart Hall. Cet universitaire issu de Jamaïque relie la culture populaire à l’identité politique.

Les rythmes des musiques jamaïcaines accompagnent les luttes sociales. Les sonorités entraînantes cadencent des textes qui dénoncent l’héritage colonial, la misère et la corruption des politiciens. Ces musiques permettent également de construire un imaginaire et une identité politique. Les populations noires ne sont plus réduites au statut de victimes de l’esclavage mais incarnent la révolte contre le colonialisme. La musique jamaïcaine peut permettre l’émergence d’une conscience politique.

 

Mais les politiciens jamaïcains ont rapidement compris ce phénomène. Ils n’hésitent pas à instrumentaliser les musiques populaires, notamment le reggae, au service de leurs propres intérêts. La musique s’intègre à une culture d’Etat, voire à une identité nationale, qui dépasse les clivages entre les classes sociales. Le reggae alimente également des idées réactionnaires. Le mouvement rastafari se réfère au roi d’Ethiopie et à son régime autoritaire. La soumission à la religion est également favorisée. Le nationalisme noir favorise également l’effacement des clivages sociaux et politiques.

Le reggae et le dancehall peuvent également cultiver une dimension misogyne et patriarcale. Les textes renvoient l’image de femmes objets dont le rôle doit se limiter à satisfaire la sexualité des hommes. Cette dimension est renforcée par la version commerciale du dancehall, avec sa pornographie publicitaire. Néanmoins, ces musiques permettent aussi aux femmes d’affirmer une sexualité libérée. Les danseuses ne jouent plus le rôle de femmes passives et soumises. Elles affirment leurs désirs sexuels et libèrent leurs corps.

Les musiques jamaïcaines alimentent toujours un imaginaire de révoltes. Malgré ses contradictions et sa récupération marchande, cette musique s’inscrit dans la tradition des cultures noires et populaires. Une petite île du tiers-monde peut alors bénéficier d’un important rayonnement culturel et politique. Elle incarne une révolte aux sonorités de la fête et du plaisir.

 

Source : Sébastien Carayol, Jamaïca Jamaïca !, La Découverte – Cité de la musique-Philharmonie de Paris, 2017

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Exposition Jamaïca Jamaïca - Faune Interdite #1, mise en ligne sur le site Party Time le 10 juillet 2017

Vidéo : "Jamaican Revue" à la Philharmonie de Paris, mise en ligne sur le site d'Arte le 21 avril 2017

Vidéo : Une Jamaïque pour tellement de musiques, rappelle l’exposition « Jamaica Jamaica! » à Paris, publié sur le site Musical Echoes le 26 mai 2017

Vidéo : L'exposition « Jamaica Jamaica! » avec le chanteur de Danakil, mise en ligne sur le site du journal Le Parisien le 16 avril 2017

Vidéo : L'expo Jamaica Jamaica !, émission Alcaline diffusée sur France 2 le 1er juillet 2017 

Vidéo : Episode 25 : Exposition Jamaïca Jamaïca, mise en ligne par Brussels Vinyl Moment le 18 mai 2017

Vidéo : "Jamaica Jamaica" : le mythe Bob Marley à la Philharmonie de Paris, mise en ligne sur France 24 le 6 avril 2017

Vidéo : exposition Jamaica ! à la Philharmonie de Paris, mise en ligne par Expo in the city le 23 avril 2017

Radio : émissions avec Sébastien Carayol diffusées sur France Culture

Radio : émissions avec Thomas Vendryes diffusées sur France Culture

Radio : émissions avec Giulia Bonacci diffusées sur France Culture

Radio : émission La valise avec Thibault Ehrengardt diffusée sur Radio Nova le 19 mars 2013

 

Micha Barban Dangerfield, Pourquoi la jamaïque est à l’origine de toute la musique qu’on aime aujourd’hui, publié sur le webzine Vice le 3 avril 2017

Naomi Clément, Du reggae au dancehall : l'expo "Jamaica Jamaica !" retrace l'évolution de la musique jamaïcaine, publié sur le site Konbini 

Christophe Jacquet, “Jamaica Jamaica !” : une exposition tout sauf “fumeuse”, publié sur le site du magazine Télérama le 15 avril 2017

Justine Oury, Jamaica Jamaica : à Paris, une exposition vous plonge au cœur de la musique jamaïcaine, mise en ligne sur le site du journal Le Courrier du Soir le 14 mai 2017

Benjamin Chapon, Au secours! Le reggae est devenu une musique respectable et respectée, publié sur le site du journal 20 Minutes le 12 avril 2017

Abdoulaye Gaye, « Thibault Ehrengardt, Reggae et politique dans les années 70 », Volume ! n°13, mis en ligne le 21 avril 2017

Publié dans #Contre culture

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M
J'adore les musiques jamaïquaines, je trouve qu'elles mettent une ambiance sans pareille.
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