Raoul Hausmann, artiste dadaïste
Publié le 13 Août 2014
Raoul Hausmann, surnommé le dadasophe, multiplie les textes et les manifestes. Il incarne le mouvement Dada à Berlin, avec sa force politique dans le contexte de la révolte spartakiste de 1918. Raoul Hausmann découvre la pensée de Nietzsche. Ce philosophe dénonce la société « apollinienne », intellectuelle et rationnelle, pour valoriser une retour au dionysiaque avec le vital, l’irrationnel, le primitif et l’émotionnel. Cette recherche de la création par la destruction inspire l’art expressionniste allemand. Pour Raoul Hausmann, l’expérience esthétique doit permettre un oubli de soi pour s’immerger dans un état dionysiaque. Le mouvement dada rejette l’art pour l’art qui renforce la séparation entre la créativité et la vie. Loin du seul propos nihiliste, les dadaïstes désirent construirent une vie nouvelle fondée sur un érotisme libéré et sur le sentiment de fraternité humaine dans l’harmonie universelle.
A partir de 1915, Raoul Hausmann se plonge dans une intense réflexion théorique. Il découvre la pensée de Salomo Friedländer. Inspiré par l’individualisme libertaire de Max Stirner, ce penseur développe le concept de l’indifférence créatrice. L’activité artistique doit refuser de se conformer aux contraintes sociales.
Hans Arp influence la réflexion artistique de Raoul Hausmann. La technique du collage s’oppose aux quadrillages contrôlés. Arp refuse les compositions hiérarchisées et la présence égotiste dans l’objet d’art. Le hasard et la créativité doivent prédominer. « Le dadaïste fait plus confiance à la franchise des évènements qu’à l’esprit des individus. Il ne fait pas grand cas des personnes, y compris de la sienne », résume Hugo Ball.
Le psychanalyste Otto Gross influence de manière décisive Raoul Hausmann, dans la conception d'une « nouvelle technique de vie et de bonheur ». Otto Gross radicalise la théorie freudienne. Pour lui, les troubles psychiques et sexuels sont liés à la plus ou moins bonne adaptation de l’individu à la société. La rigidité des mœurs réprime les individus et le « problème sexuel » apparaît surtout comme un problème social. La guérison de l’individu passe par une transformation radicale des mœurs et de l’ordre social. L’épanouissement humain s'appuie sur l’immoralisme sexuel, contre l’enfermement monogame. La psychanalyse suppose de libérer l’individu des conditionnements sociaux et des effets de l’éducation imposée par l’école et la famille. La pensée d’Otto Gross se rapproche de l’anarchie.
En 1913, il s’installe à Berlin et collabore à la revue Die Aktion. Il propose une révolution libertaire fondée sur la psychanalyse. « La psychologie de l’inconscient est la philosophie de la révolution, c’est-à-dire qu’elle est appelée à la devenir, en tant que ferment de révolte au sein du psychisme et libération de l’individualité entravée par son propre inconscient. Elle est appelée à rendre intérieurement apte à la liberté, à servir de préliminaire à la révolution », propose Otto Gross. Cette réflexion inspire le freudo-marxisme de Wilhelm Reich, prolongé par la philosophie de Marcuse. L’individu doit se libérer du conformisme imposé par l’ordre social, pour rechercher le bonheur. Les empiètements de la société sur l’individu semblent particulièrement importants sur le terrain de la sexualité, surtout au détriment des femmes. La famille patriarcale maintien l’ordre social. La destruction du système de pouvoir et de l’autorité de la société de classe doivent permettre de construire de nouvelles relations humaines pour permettre l’épanouissement de chacun. « L’objectif sera de libérer l’amour de sa destruction par les formes d’autorité latentes, que le comportement correspondant soit passif ou actif, disposition de se soumettre ou volonté de pouvoir », précise Otto Gross.
Le mouvement de Dada-Berlin semble particulièrement insister sur la psychologie et l’auto-éducation, davantage que sur l’esthétisme. L’influence d’Otto Gross semble déterminante. L’écrivain Franz Jung apparaît comme une autre grande figure de référence. Le fondateur de la revue Die Freie Strasse (La route libre) est également à l’initiative de la création du KAPD qui dénonce la bureaucratisation des organisations du mouvement ouvrier. Dès 1920, le KPD léniniste est attaqué comme « une clique de chefs irresponsables, plaçant ses intérêts personnels au-dessus des intérêts de la révolution prolétarienne », rappelle Marc Dachy. Franz Jung, pourtant fondateur du Club Dada, demeure distant par rapport au dadaïsme dont il doute de la dimension révolutionnaire. Il préfère privilégier l’action directement politique.
Le groupe de Berlin dispose d’une activité propre avant l’arrivée de Richard Huelsenbeck qui lui permet de s’inscrire dans le mouvement dada. L’art et la politique nourrissent son action. La dimension artistique est attribuée à Raoul Hausmann, tandis que le domaine politique est associé à Franz Jung. La psychologie influence fortement la réflexion du groupe. Franz Jung souligne que la « bohême artistique avait déjà été aspirée par les remous de la crise générale de la société qui caractérisera tout le siècle, et c’est la psychanalyse freudienne qui a joué le rôle le plus important dans la critique sociale et la désagrégation du "bon vieux temps" ». Raoul Hausmann et Franz Jung se démarquent du dada originel de Zurich. La provocation devient la forme privilégiée des actions de Raoul Hausmann. La provocation permet de « réveiller » chez l’individu ce qu’il enferme en lui de pulsions antagoniques.
Le groupe de Berlin participe à la rédaction de Freie Strasse. Cette revue insiste la complète liberté de l’individu, sur la transformation des relations humaines, et sur une nouvelle éthique fondée sur la psychanalyse. Dans le premier numéro de 1915, Franz Jung évoque la recrache de l’énergie vitale et de l’épanouissement humain. Les réflexions sur la relation aux autres et à soi, sur le conflit intérieur et l’individu, semblent inspirées par la psychanalyse d’Otto Gross. La recherche de la transformation de l’individu et de ses formes de vie influence les nouvelles pratiques artistiques. La provocation de Raoul Hausmann vise à se libérer des inhibitions individuelles, selon les recommandations d’Otto Gross. La contradiction et l’antagonisme deviennent une stratégie et un jeu pour sortir des rapports humains de soumission.
Richard Huelsenbeck transmet le terme Dada au groupe de Berlin. Ce dadaïsme se distingue de celui de Zurich par sa lutte acharnée contre les structures bourgeoises de l’individu, incarnées par le mouvement expressionniste. L’art n’est plus une fin en soi mais doit devenir un moyen pour changer l’individu. L’expressionnisme se replie sur l’exploration de la vie intérieure. Au contraire, le dadaïsme insiste sur la transformation de l’individu dans son rapport à soi et aux autres. « Être dadaïste veut dire se faire bousculer par les évènements, être contre toute sédimentation », précise Richard Huelsenbeck. La négation et la conflictualité deviennent le moteur de ce mouvement. « Être contre ce manifeste veut dire « être dadaïste » ! », indique même Richard Huelsenbeck. Il affirme une position anti-pacifiste et recherche le contact, le heurt, le choc.
Le dadaïsme débouche vers le refus de l’ordre existant. « Qu’est-ce que la démocratie ? La vie gagnée par le travail pour le donne-nous-notre-pain-
L’utilisation de nouveaux matériaux doit libérer la créativité. Des formes, des procédures et des objets nouveaux sont inventés. Raoul Hausmann relie la poésie sonore, le photomontage et l’action scénique, contre toute forme de spécialisation et de séparation des différents domaines artistiques. De nouveaux matériaux doivent permettre de renouveler la peinture, mais aussi la sculpture et l’architecture.
Le collage et le photomontage permettent de rompre avec la tradition de la banale peinture à l’huile. Surtout, la typographie et la forme des lettres inventent une nouvelle esthétique. Raoul Hausmann initie également la poésie sonore. Le bruit, les onomatopées et la prononciation de lettres doivent réinventer le langage. La poésie devient une machine sonore qui met en action le corps. « Le poème optophonétique entraîne mécaniquement le lecteur à moduler la voix automatiquement, en fonction de la gradation typographique et de la nature de la lettre (consone ou voyelle) », décrit Patrick Lhot. La bouche doit être reliée à tous les autres organes du corps. Le poème affiche apparaît comme une forme nouvelle pour « libérer le parler de l’esclavage grammatical, et en même temps donner libre cours à d’autres sonorités que le langage « logique »avait comme base d’expression phonétique et audible », précise Raoul Hausmann.
Le photomontage permet d’associer la photographie aux collages. Ce procédé doit rompre la linéarité et la continuité de l’image. Le cinéma qui renouvelle constamment l’image exerce cette même fascination. La sensation du contact entre les choses devient essentielle. Le discontinu, le superposable et l’interchangeable règnent alors dans ces collages. Un entrelacement d’énergie et l’expression de contrastes se donnent à voir. Le photomontage doit introduire de nouvelles perceptions, en dehors des conventions visuelles, pour diffuser un sens nouveau.
Les actions scéniques et autres manifestations doivent provoquer le public et le sortir de sa passivité. Poésies sonores, mise en scène et lectures de textes politiques doivent susciter une réaction des individus et les sortir de leur conditionnement lié à l’éducation. Raoul Hausmann ne recherche pas le succès et l’adhésion du public. « Pour lui le spectacle en présence du public recèle une potentialité d’inattendu, d’insolite, qui peut se révéler aussi bien en un comportement joyeux et festif que par des réactions violentes ou agressives », précise Patrick Lhot.
Dada Berlin repose sur une critique ironique de l’art académique et sur la remise en cause des valeurs sociales. Mais ce mouvement s’effondre à partir de 1920. Raoul Hausmann poursuit sa réflexion à travers les notions de « présentisme » et de « sensorialité excentrique ». La créativité doit permettre d’intensifier la sensualité. « Nous réclamons l’élargissement et la conquête de tous nos sens ! Nous voulons ouvrir toutes les frontières !!! », écrit Raoul Hausmann en 1921 dans son Manifeste du présentisme. L’art doit s’appuyer sur les formes, les couleurs, mais aussi sur une dimension tactile, pour ouvrir de nouvelles perceptions.
Source : Patrick Lhot, L’indifférence créatrice de Raoul Hausmann. Aux sources du dadaïsme, Presses Universitaires de Provence, 2013
La psychanalyse contre l'ordre moral
Le surréalisme, une révolution poétique
Le manifeste, entre révolte et sensibilité
Pour aller plus loin :
Vidéo : Raoul Hausman, le roi des dadaïstes au musée d'art contemporain, publié sur le site Cuturebox le 16 février 2011
Vidéo : Viva Dada, documentaire diffusé sur Arte le 14 février 2016
Sons : Raoul Hausmann sur le site UbuWeb
Son : Phonèmes
Dada-Berlin : Raoul Hausmann, publié sur le site Les avant-gardes au XXe siècle le 02 juin 2006
Raoul Hausmann sur le site du Centre Pompidou
Fonds Raoul Hausmann, publié sur le site du Musée d'art contemporain de Rochechouart
Raoul Hausmann sur le site Derive.tv
Raoul Hausmann sur le site des éditions Allia