Mike Davis et les nouvelles luttes sociales

Publié le 20 Septembre 2012

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Le sociologue Mike Davis livre ses analyses sur la situation actuelle, entre crise du capitalisme et contestation sociale.

 

Mike Davis propose un regard singulier sur les mouvements de contestation actuels. Il observe notamment l’originalité des mouvements Occupy. Mike Davis semble surtout connu pour ses réflexions sur l’urbanisme et sur les mutations du capitalisme. Mais, avec la crise et les soulèvements populaires, il écrit également plusieurs textes d’intervention pour analyser l’actualité immédiate. Ses écrits de circonstance sont publiés par Les Prairies ordinaires dans un livre récent. Ce sociologue se distingue par un parcours atypique. Issu d’un milieu ouvrier, il devient syndicaliste et proche des milieux trotskystes. Ses analyses et ses prises de position radicales lui permettent d’appréhender les évolutions du capitalisme urbain.  

 

 

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La crise s’aggrave

 

Mike Davis observe la fissuration des piliers du Mc World, expression qui désigne le capitalisme actuel. La Chine semble soutenir l’économie mondiale. Mais ce pays semble désormais privilégier sa consommation intérieure sur les exportations. La Chine connaît une importante spéculation immobilière. Mais l’accès à la propriété par les familles urbaines creuse leur endettement. Ce phénomène est celui qui explique la crise économique actuelle aux États-Unis. Comme dans les romans de Felsen qui décrivent des courses de voitures, la bourgeoisie appuie sur l’accélérateur avant d’entamer les virages. Le capitalisme peut bientôt s’apparenter à un débris métallique, comme une voiture après plusieurs tonneaux.

 

Mike Davis analyse la situation économique et politique aux États-Unis. La crise du capitalisme alimente un retour des idées conservatrices et ravive « le spectre d’un fascisme sous bannière étoilée ».

Pendant la campagne électorale, Obama se contente d’une rhétorique superficielle. Il ne prend pas en compte les conséquences sociales de la crise. Au mieux, il peut s’apparenter à un nouveau Roosevelt. Ce président des États-Unis pendant la crise des années 1930 a créé le New Deal malgré le flou de son programme politique. Pourtant, l’interventionnisme de l’État pour réguler l’économie ne semble pas à la hauteur de la situation actuelle.

Contrairement à la crise des années 1930, l’économie des États-Unis est devenue un capitalisme de casino. La finance impose son rythme. Ensuite, Obama ne dispose pas des outils d’intervention étatique nécessaire pour un nouveau New Deal.

 

 

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Les nouveaux mouvements de contestation

 

Dans « A court de chewing gum », Mike Davis s’enthousiasme pour le soulèvement populaire d’Occupy Wall Street. Mais il souligne la modération et l’absence de perspectives politiques de ce mouvement. Pourtant cette lutte tente de se réapproprier l’espace urbain. « Pour le moment, le génie d’Occupy Wall Street est d’avoir libéré un morceau de terrain là où le foncier est le plus cher du monde, et d’avoir fait d’un espace privatisé une agora et un catalyseur de la contestation » souligne Mike Davis. Ce mouvement permet de créer un espace de rencontre, de discussion et de réflexion pour favoriser l’auto-organisation. Salariés, étudiants, ouvriers, travailleurs précaires peuvent se rencontrer dans cet espace pour s’organiser.

Mais ce mouvement peut s’institutionnaliser pour faire du lobbying auprès du Parti démocrate d’Obama. Il peut, au contraire, préserver son autonomie pour se radicaliser. « Personnellement, je penche plutôt pour la position anarchiste et les exigences qu’elle nous impose » tranche Mike Davis. Selon lui, ce mouvement doit imposer une véritable démocratie économique, au-delà des quelques aménagements du capitalisme. Mais le véritable enjeu d’Occupy consiste à se perpétuer. Cette révolte peut attiser un incendie social et construire un réel rapport de force sur la durée.

 

Mike Davis présente le mouvement « Toma el valle ». La ville d’El Centro se situe dans le comté de la Vallée impériale, en Californie, à proximité de la frontière mexicaine. Cette ville semble acquise au Parti démocrate mais le mouvement syndical a été laminé par la répression. Pourtant, cette ville abrite une population d’origine mexicaine qui subit la pauvreté. Le taux de chômage s’élève à 32 %. L’économie locale subit les conséquences environnementales du capitalisme. L’eau polluée détruit l’activité de la pêche. Tandis que l’agriculture subit également la pollution des eaux et de l’air.

Face à cette situation, la contestation s’organise. Le mouvement d’Occupy El Centro s’inscrit dans une histoire. Certains de ses militants ont participé à la lutte contre la guerre en Irak en 2003. Des relations peuvent se nouer avec des groupes de contestation de l’autre côté de la frontière, au Mexique, pour créer « Occupy the border » (Occuper la frontière).

 

 

 

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Les perspectives de lutte

 

Mike Davis traite ensuite plus concrètement de perspectives de lutte dans son dernier texte intitulé « Les dix commandements du parfait militant ». Favoriser l’auto-organisation collective demeure la priorité. La personnalisation médiatique et les risques de prise de pouvoir doivent être évités par une rotation des mandats. « Les porte-parole doivent être remplacés régulièrement et, si nécessaire, démis de leurs fonctions » explique Mike Davis. Les groupes révolutionnaires qui participent à la lutte doivent clairement afficher leurs idées et leurs intentions aux autres militants. La prise de décision doit se faire au consensus à l’échelle locale. Mais, sur une dimension plus vaste, des mandatés peuvent être désignés et contrôlés collectivement.

Mike Davis évoque ensuite la question de la stratégie révolutionnaire. Un mouvement de lutte doit regrouper le plus de monde possible. Mais il doit surtout relier les différentes catégories de dominés et d’exploités. Il souligne l’importance de la jonction entre le mouvement des Noirs et le mouvement ouvrier dans les années 1960. La logistique peut se révéler importante pour permettre la participation des pauvres et des chômeurs à la lutte. Il semble décisif de s’organiser pour la nourriture et le logement. Des collectifs de juristes peuvent permettre d’affronter la répression. Le mouvement Occupy doit également se diversifier. Les lieux de contestation ne doivent pas se cantonner à Wall Street mais doivent au contraire se propager dans toutes les villes. La diversification des manifestants, avec les gens de couleur et les syndicalistes, semble décisive. L’information peut permettre de renforcer le soutien actif aux différentes luttes qui existent. Le mouvement doit s’inscrire dans le cadre de la lutte des classes. Les syndicats bureaucratisés semblent liés au Parti démocrate. Pourtant, il semble important de créer des liens avec les syndicalistes de base qui luttent sur leurs lieux de travail.

 

Ses réflexions permettent de préparer un mouvement insurrectionnel. En revanche, le dernier paragraphe révèle le visage hideux d’un trotskysme moribond. Mike Davis propose de se référer au programme social-démocrate du New Deal dans une démarche qui n’est pas sans rappeler le programme de transition de Trotsky, la crapule bolchevique. Mike Davis propose de se référer à des revendications qui supposent une forte intervention de l’État. Le sociologue occulte la dimension de classe de l’État qui demeure au service des intérêts de la bourgeoisie, proche de ses propres intérêts. Il semble indispensable de se référer aux revendications immédiates des luttes, qui renvoient à des situations concrètes. Mais ses luttes doivent s’articuler avec un autre projet de société, non pas étatiste et trotskisant, mais communiste et libertaire.

 

 

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Penser la rupture

 

Les livres de Mike Davis contiennent toujours des analyses brillantes sur l’urbanisation du monde et sur les désastres du capitalisme. Comme David Harvey, autre universitaire qui observe les mutations du capitalisme urbain, il s’inscrit dans un cadre d’analyse marxiste toujours pertinent. Mike Davis développe une perspective globale qui refuse le cloisonnement disciplinaire, le ton et les références académiques.

Il décrit également la faillite du capitalisme qui risque d’entraîner les Etats dans sa chute. Les gouvernements, à l’image d’Obama, ne semblent pas pouvoir enrayer la crise économique. Si le néolibéralisme accélère l’agonie du capitalisme, les vieilles recettes social-démocrates ne sont plus à la hauteur de la situation actuelle.

Mike Davis fournit également des réflexions intéressantes sur le mouvement Occupy et son influence. Son observation sociologique de la composition des nouveaux mouvements de contestation dresse des perspectives pour les luttes actuelles. La révolte doit s’étendre dans l’espace, dans le temps et à l’ensemble de la population.

 

Pourtant, Mike Davis n’évoque pas directement la perspective d’un renversement de l’ordre marchand. Dans un entretien accordé à la revue Vacarme, Mike Davis constate les limites de son travail universitaire. « L’un des inconvénients de la vie de coq en pâte d’un professeur de fac est de se retrouver coupé de la vie des quartiers. L’université entretient un rapport complètement décalé avec des villes que les modes de vie des immigrés récents ont profondément transformées » reconnait le sociologue.

Jean-Pierre Garnier , pourtant chercheur au CNRS, souligne l'impasse de la séparation entre la théorie et la pratique. Les sociologues refusent de s’interroger sur la perspective d’une rupture avec le monde marchand à partir d’un soulèvement révolutionnaire. Les intellectuels de la gauche radicale réclament davantage un aménagement de l’existant plutôt qu’une destruction de l’État et du capitalisme. La référence ambigüe à Roosevelt révèle cette tendance. « Pourquoi critiquer l’urbanisation capitaliste si cela ne débouche pas sur une remise en cause effective, c’est-à-dire dans les faits et non seulement en paroles, du système social dont cette urbanisation est le produit ? » souligne Jean-Pierre Garnier.

Dans un contexte de crise économique et sociale, il semble important de créer des espaces de réflexion et de lutte pour penser les conditions d’une insurrection. Comme l'indique Marx, il semble indispensable d’articuler les armes de la critique avec la critique par les armes. Dans les années 1960, le sociologue Henri Lefebvre associe une analyse du capitalisme urbain avec la perspective de révolution sociale. Il s’attache à une insurrection festive pour bouleverser tous les aspects de la vie.

 

Source: Mike Davis, Soyez réalistes, demandez l’impossible (traduit par Anne Meyer), Les Prairies ordinaires, 2012

 

 

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Rubrique "Actualité des luttes"

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Pour aller plus loin:

 

Mike Davis, "Peurs sur la ville", entretien réalisé par Joseph Confavreux, Mathieu Potte-Bonneville et Rémy Toulouse, revue Vacarme n°46, hiver 2009

Jean-Pierre Garnier, "Voies et moyens pour le retour d'une pensée critique "radicale" de l'urbain", publié sur le site Article 11 le 21 mars 2011

Jean-Pierre Garnier, "L'espace urbain, l'Etat et la petite bourgeoisie intellectuelle: la radicalité critique en question", publié sur la revue en ligne Divergences le 7 octobre 2012

Textes de Mike Davis sur le site "Nouveau millénaire, Défis libertaires"

A.G.Schwartz, "Les assemblées anarchistes ouvertes", publié sur le site Infokiosques le 14 octobre 2012

Rédigé par zones-subversives

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