La presse underground des années soixante-dix
Publié le 10 Octobre 2011
Loin de la presse conformiste et docile d'aujourd'hui, les années soixante-dix alimentent une presse contestataire qui remet en cause toutes les autorités.
« La contre-culture souhaite renverser les rapports humains, balayer les hiérarchies, les domination et les exploitations jusqu’en matière de sexualité » résume Steven Jezo-Vannier. Son livre, Presse parallèle, dresse le portrait de toute une époque à travers l’évocation de plusieurs titres qui incarnent cette contestation globale.
Après les années hippies, le mouvement de Mai 68 amorce des années de lutte. La jeunesse aspire à renverser l’ordre établi pour promouvoir la créativité. Les luttes sociales combattent la norme et la soumission au système capitaliste. L’entreprise, la famille, l’école imposent un ordre social autoritaire pour faire régner la frustration. La libération de la parole doit précéder la libération des comportements. La presse parallèle incarne et impulse ce mouvement d’émancipation. Cette presse contestataire fédère les luttes et structure la contre-culture.
La presse de Mai 68
La révolution doit aussi se vivre. Dans cette perspective de transformation totale de la vie quotidienne, la presse parallèle exprime ses idées nouvelles et doit permettre de les mettre en pratique progressivement. Ses journaux tentent d’insuffler l’esprit de contestation dans le système. La contre-culture s’oppose aux règles et aux conventions de la société mais invente aussi une nouvelle manière de vivre et de créer.
Cette contre-culture émane de Mai 68 mais prend sa source aux Etats-Unis avec les mouvements de contestation contre la guerre du Viêt-Nam, le racisme et l’american way of life. En France, la lutte pour la libération des peuples colonisés dessine un paysage de contestation qui éclôt avec Mai 68. En France, la contre-culture puise également dans les mouvements surréaliste et situationniste pour dénoncer la logique marchande qui colonise la vie quotidienne. L’Internationale situationniste publie 12 numéros jusqu’en 1969. Cette revue incite à la passion, à la création et à la vie avant d’influencer le mouvement de Mai 68.
L’Union des étudiants communistes, et son journal Clarté, apparaît davantage comme une pépinière d’apprentis bureaucrates et d’arrivistes de tout acabit qui font carrière dans les médias après un passage dans la presse alternative. En revanche, le mouvement du 22 mars appelle à la libération de la parole. « Exprimons-nous par des tracts, des journaux, des prises de parole dans la rue, des affiches sur les murs, des films etc., pour que la voix des travailleurs domine enfin le mensonge de la bourgeoisie » invitent les comités d’action révolutionnaires. Le journal Action est publié pendant les évènements de Mai 68. Bien que regroupant toutes les chapelles du gauchisme étudiant, Action informe sur les luttes et traite de nouveaux thèmes comme la musique pop ou la sexualité. L’Enragé, fondé par Siné et Jean-Jacques Pauvert, regroupe de nombreux dessinateurs de presse.
La presse maoïste
Steven Jezo-Vannier évoque la presse créée dans le sillage du maoïsme français. La Cause du peuple devient l'organe de la gauche prolétarienne, un groupuscule dirigé par des normaliens autoritaires qui se prennent pour "les nouveaux résistants". L'Agence de presse Libération se crée en 1971 pour relayer la vérité contre les mensonges du pouvoir. Le journal Libération est ensuite créé pour donner la parole au peuple. Les nouvelles formes de luttes, l'autogestion et les usines Lip sont rendus visibles. Mais ce journal brise son amateurisme sympathique et son bouillonnement libertaire pour restaurer la hiérarchie et se conformer au modèle de la presse professionnelle asservie aux pouvoirs.
En décembre 1969, Jean Edern-Hallier fonde L'Idiot international. Cet écrivain fantasque en mal de reconnaissance mondaine surfe alors sur la mode maoïste. Jean Edern-Hallier conserve une conception littéraire de la politique, avec des engagements fluctuants. Il préfère les débats, les joutes oratoires et les polémiques de salon à la lutte sociale. Mais L'Idiot semble moins dogmatique que La Cause du peuple et privilégie une liberté de ton qui tente de rompre avec la propagande monotone du gauchisme. Le mensuel L'Idiot liberté évoque les nouvelles préoccupations de la jeunesse comme la liberté sexuelle, la drogue et la musique pop. L'Idiot, malgré son patron et ses ambiguïtés, incarne une presse alternative qui tente de s'extraire de la langue de bois chère aux gauchistes.
Le journal Tout ! apparaît comme le journal le plus original de cette mouvance maoïste. L'organisation Vive la révolution est une scission de la Gauche prolétarienne et regroupe des "maos spontex" qui sont des révolutionnaires attachés à la spontanéité et à l'esprit libertaire de Mai 68. Ils privilégient la critique de la vie quotidienne et la libération sexuelle. Le journal Tout ! devient le précurseur d'une presse qui place le désir au centre de la révolte et de la vie.
La presse alternative
Dans les lycées ébranlés par Mai 68, de nombreux journaux émergent pour disparaître aussitôt. Littérature, contestation sociale et artistique y sont traités sans séparation ou cloisonnement.
Actuel s'inspire de la contestation aux Etats-Unis pour construire une contre-culture en France avec un journal "free, pop et politique". Ce journal connaît un succès important en traitant des sujets qui intéressent de nombreux lecteurs: féminisme, écologie, drogues, communautés. Des dessins aux couleurs vives et aux formes originales créent une esthétique psychédélique. Cinéma, musique, littérature et art contemporain: Actuel diffuse une culture alternative qui englobe tous les domaines artistiques. La culture alternative entend remplacer le "Grand Soir" et tente de répandre un nouveau mode de vie. Au début des années 1970, Actuel devient le relais de la culture underground et délivre des conseils pour s'immerger dans cette société alternative.
Le Parapluie privilégie une rhétorique libertaire: contre l'autoritarisme et l'Etat, contre la répression policière, contre le star system et la récupération de la contre-culture. Le Parapluie défend la marginalité, les nouveaux comportements, et le droit à la singularité contre la norme imposée. Le parapluie apparaît comme un journal généraliste qui s'intéresse à toutes les formes artistiques, de la musique à la littérature. Mais Le Parapluie œuvre également pour la globalisation des luttes. Une rubrique, intitulée "Petite histoire des corps" évoque la libération des mœurs avec la publication de plusieurs textes issus de l'œuvre de Wilhelm Reich. Une autre rubrique, consacrée aux drogues, est animée par Jean-Louis Brau l'ancien lettriste.
L'échec du mouvement de Mai 68 et le reflux des luttes sociales alimente le mouvement des communautés. Les jeunes désertent le combat politique pour s'aménager un petit espace de bonheur rachitique dans les marges de la société. Mais de nouvelles pratiques, éducatives ou amoureuses, s'expérimentent avec des journaux qui se font le relais de la vie communautaire.
La presse de la contre culture
Les mouvements dada et surréaliste aspirent à transformer le monde et à changer la vie. Cette contestation artistique rejaillit en mai 68, un mouvement qui place la créativité, l'imagination, l'inventivité et le plaisir au centre de la lutte. Le théâtre de rue et le Living Theatre libèrent le jeu et les textes. Le free jazz incarne la radicalité, la combativité et la liberté des corps.
En 1966, l'éditorial de Rock and folks dénonce la musique conformiste et vieillotte. Ce journal entend introduire le rythme dans la vie quotidienne. Alain Dister se rend aux Etats-Unis pour découvrir les hippies et les diggers de San Francisco. La contre culture s'inscrit dans un vaste univers de contestation. L'Angleterre déferle également sur la France avec sa musique, incarnée par les Beatles, et ses modes vestimentaires.
Les radios pirates se répandent pour diffuser les nouvelles musiques et informer sur les luttes sociales. Les textes du tryptique Brel-Brassens-Férré font souffler un vent libertaire sur la chanson française. Leur interview croisée souligne leur rupture avec le modèle d'intégration qui passe par l'armée, la famille, la carrière professionnelle.
La Force de libération et d'intervention pop (FLIP), liée à VLR, critique la mode marchande. « Le fiasco qu’ont connu les festivals spectaculaires et marchands façon bourgeoise ne signe pas la fin de la pop en France. Ce qu’il montre, c’est ce que les jeunes ne veulent plus: pour eux la pop, c’est autre chose qu’un marché, c’est une nouvelle façon de vivre qui passe par la contestation radicale de la société bourgeoise, de ses lois, de l’aliénation qu’elle sécrète et qui, hydre à mille têtes, nous étouffe tous », dénonce un tract de la FLIP.
Le Pop et Zinc sont des journaux davantage tournés vers l'humour et la dérision. Mais ses titres, très peu militants, évoquent les sujets propres à la free press. L'écologie, le féminisme et le racisme alimentent Le Pop. En revanche, Zinc privilégie davantage les dessins et l'humour en faveur de la jouissance et de la libération des corps. Contre le féminisme étroit, il milite pour un "clitoris libre et gratuit". Le Pop organise un "14 juillet alternatif pour réinventer la fête".
« La rue appartient au peuple. C’est une fête. Les flics dehors ! […] Dites-le à tous ceux qui en ont marre des fêtes bourgeoises à la con: à ceux pour qui le théâtre aujourd’hui c’est jouer dans la rue, la musique. C’est jouer dans la rue hors des lois, des cloisons que créent le fric, mort le temps de la fête. Une fête sans cloison, sans flic », prévient le texte d'appel.
« La rue appartient au peuple. C’est une fête. Les flics dehors ! […] Dites-le à tous ceux qui en ont marre des fêtes bourgeoises à la con: à ceux pour qui le théâtre aujourd’hui c’est jouer dans la rue, la musique. C’est jouer dans la rue hors des lois, des cloisons que créent le fric, mort le temps de la fête. Une fête sans cloison, sans flic », prévient le texte d'appel.
La presse underground se fait le reflet d'une période de contestation et de bouillonnement créatif. Les voyages et la drogues s'inscrivent dans un besoin d'évasion pour s'extraire de la société. La contre culture tente d'attirer des individualités qui souhaitent vivre comme si la révolution avait déjà eu lieu. En revanche, la critique de la domination marchande et de la répression sexuelle suppose une rupture avec l'ordre social. La libération individuelle immédiate s'articule avec une perspective d'émancipation révolutionnaire.
L'ordre et la norme sont particulièrement valorisés par le pouvoir actuel. Chacun cherche à se conformer à la place qui lui est réservé et , face à l'ennui de la vie quotidienne, la résignation l'emporte.
Aujourd'hui, la presse en ligne offre la possibilité de passionner la vie à nouveau selon Steven Jezo-Vannier. Mais l'esprit libertaire et la critique radicale de la vie quotidienne doivent désormais revivre dans les journaux contestataires.
Source : Steven Jezo-Vannier, Presse parallèle. La contre-culture en France dans les années soixante-dix, Le mot et le reste, 2011
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