L'émeute se propage
Publié le 10 Août 2011

Angleterre, Tunisie, Egypte, Grèce, Chine... Les révoltes sociales se répandent dans cette période de crise. Depuis le 6 août, une vague d'émeutes déferle dans les quartiers populaires anglais. L'assassinat d'une personne par la police a déclenché cette révolte. Plutôt que d’évoquer cette actualité sur laquelle trop peu d’informations fiables existent en français, je préfère discuter d’un film récent sur le phénomène de l’émeute. Ce documentaire se révèle instructif tant sur les évènements présentés que sur ceux qui les décrivent. Les raisons de la colère, documentaire écrit par Samuel Luret et Alain Bertho, évoque les récentes émeutes qui ont secoué les sociétés capitalistes. Ses formes de lutte existent sur tous les points de la planète, au delà des frontières et spécificités nationales. L'incendie et les cagoules deviennent le signe de ralliement de tous les enragés de la planète. Le documentaire évoque plusieurs exemples de colère sociale.
A Copenhague, en 2006, plusieurs jours d'émeutes opposent les occupants d'un squat menacé d'expulsion avec des forces de l'ordre. En 2008, les jeunes Grecs affrontent la police qui a assassiné un adolescent dans un quartier populaire. Début 2010, une vague de grèves sauvages déferle en Chine.
A Copenhague, le pouvoir s'attaque à la Maison des jeunes: un lieu de contre-culture, une zone de réappropriation de l'espace public et de solidarité sociale. En août 2006, les pouvoirs publics menacent d'expulser ce squat qui abrite les artistes de la scène underground depuis 1982 après un accord avec la mairie. En juin 2000, l'équipe municipale décide de revendre la maison et ceux qui l'occupe sont désormais expulsables. La mairie est décidée à expulser le squat par tous les moyens. Des milices anti-terroristes sont mobilisées et l'expulsion de la Maison des jeunes provoque six jours d'émeutes.
Pour évoquer cet évènement, Les raisons de la colère reprend les images d’un autre film consacré au squat danois et intitulé 69. Mais il ne s’agit pas d’une simple reprise car les auteurs ajoutent leur propre lecture des évènements. Un habitué du squat estime que sans cette "Maison des jeunes" il aurait la haine. Ce lieu apparaît donc comme un sas de décompression qui permet d'occuper une jeunesse désœuvrée. Il ne s'agit plus d'un espace de lutte dans lequel se tisse des solidarités pour affronter et détruire l'ordre marchand. "Les artistes de la Maison des jeunes ne dérangeaient personne jusqu'ici", affirme l'auteur du documentaire.
Le documentaire insiste sur les problèmes de gestion municipale spécifique à la ville de Copenhague. L'émeute apparaît effectivement comme une nécessité, y compris pour être simplement toléré par les capitalistes qui refusent la moindre négociation.
A partir de décembre 2008, la Grèce connait un embrasement social et politique violent. Le 6 décembre 2008 un adolescent est tué par un policier dans un quartier populaire d'Athènes. Les Grecs interrogés expriment avant tout une colère contre la police. Une jeune grecque estime que l'Etat et la société ne font rien pour elle, donc elle se révolte. L'illusion selon laquelle l'Etat doit aider la jeunesse s'efface. Le terme d'indignation, qui connaît depuis un certain succès, est utilisé dans le documentaire. "Quand l'Etat refuse de condamner les abus de pouvoir et qu'il opte pour une politique de répression et non de protection c'est là le problème" estime une autre jeune grecque. La nature répressive de l'Etat est également occulté dans ce discours. La police et l'Etat existent pour maintenir l'ordre et pour écraser les révoltes, et non pour apporter des solutions humaines. Même la protection sociale a été obtenue par des luttes, et non gentiment octroyée par le pouvoir. Mais cette même jeune grecque rajoute ensuite que cette illusion disparaît. "Soudain on réalisait que cette société était en contradiction avec nos désirs et que nos attentes étaient loin des valeurs de ce monde. On voulait pas survivre mais vivre" précise pertinemment la jeune femme. Mais le documentaire insiste sur l'opposition à "une certaine forme de gouvernance perçu comme éloignée des attentes de la population". Pourtant les anarchistes grecs ne remettent pas en cause "une certaine forme de gouvernance" mais toutes les formes de gouvernement et de domination.
Les émeutes ouvrières sont également évoquées. Mais selon le documentaire, ses affrontement ne découlent pas du conflit logique qui oppose les salariés à leur patron. L'histoire du mouvement ouvrier est alors gommée puisque les salariés imiteraient les gestes émeutiers de leurs enfants. Or, historiquement l'émeute sociale s'inscrit davantage dans la tradition ouvrière et populaire que dans une pratique de la jeunesse.
Début 2010, des émeutes ouvrières secouent la dictature chinoise. Les jeunes prolétaires issus du centre de la Chine, qui travaillent désormais dans la région industrielle de la côte Est, se révèlent particulièrement révoltée. Une grève dure et suivie, ce qui est interdit en Chine, éclate dans une usine après la suppression de la prime annuelle. Le gouvernement finit par reculer en accordant la prime et des augmentations de salaires. Même si le gouvernement tente de masquer cette victoire ouvrière, la contestation sociale se répand dans tout le pays. Les travailleurs migrants du sud de la Chine se révoltent. Dans l'entreprise Honda, les ouvriers exigent une meilleure répartition des profits. Les ouvriers tentent d'abord de négocier mais se heurtent à un logique refus de la direction. Ils décident donc de déclencher une grève sauvage mais subissent des intimidations. Certains sont menacés de licenciement, d'emprisonnement et d'enfermement en camp de rééducation par le travail. Mais des émeutes ouvrières ont éclaté dans une dictature particulièrement féroce.

Le documentaire affiche une lecture des évènement clairement citoyenne et gestionnaire. Cette analyse occulte la dimension historique et sociale du phénomène des émeutes au profit d’une interprétation, curieuse mais à la mode, en terme de gouvernance. De plus, toute la sociologie de la contestation n’est pas évoquée. "Un espace de représentation s'est effondré" selon Alain Bertho, anthropologue et co-auteur du documentaire. Le dispositif politique qui émerge au XIXème siècle, avec la notion d'espace public, serait en train de disparaître. "Une série de souffrances, de colères, ne peuvent plus s'exprimer par des mots dans cet espace de langage commun" selon Bertho qui semble penser que les gouvernements écoutaient davantage les aspirations populaires dans le passé. De plus, l'émeute est loin d'être la seule forme de révolte et exprime l'expression d'une certaine partie de la population, celle qui subit fortement les conséquences du capitalisme. Tandis que les bonzes syndicaux et les sages négociateurs non pas vraiment disparu. L’analyse sociologique en terme de structure d’opportunité n’est pas entièrement fausse. Les groupes sociaux les plus marginalisés du système sont rarement conviés à la table des puissants pour discuter et n’ont pas d’autre choix que la révolte pour se faire entendre. L’émeute apparaît donc comme un phénomène de classe.

L'universitaire poursuit avec la rhétorique de l'exclusion. Le problème de ceux qui se révoltent n'est pas celui de l'exploitation et de l'oppression mais le fait "qu'ils ne sont pas pris en compte". En conseiller du prince, Bertho préconise donc de "prendre en compte" et d'inclure dans le système capitaliste les émeutiers. Il s'agit du bon vieux discours citoyenniste qui nie les antagonismes sociaux et lesintérêts divergents entre les oppresseurs et les opprimés. Les exploités n'ont qu'à être acceptés et tolérés par les gouvernements pour se tenir tranquille. Les jeunes se révolteraient donc car ils ne sont pas "pris en compte" par le pouvoir. Les pouvoirs publics auraient une gestion trop rigide et juridique de la société. Une oppression plus souple permettrait d'éviter les conflits sociaux selon l'anthropologue. En bon conseiller du prince, Bertho estime que la répression n'est pas une solution et que les dirigeants doivent "écouter sérieusement ce qui se passe et ce qui leur est dit de cette façon là".
Les émeutes seraient liées à la jeunesse qui n'est pas acceptée par ses aînés. Bertho évoque le déclenchement d'émeutes à l'issu d'assassinats policiers. Il insiste sur le "soupçon" qui pèse sur la police. La fonction de maintien de l'ordre et de répression de la police ne serait pas mise en cause. Les jeunes expriment, selon l'anthropologue, une colère non pas contre l'ordre social mais contre ses dérives. "Là ça va plus, là vous allez trop loin" disent les jeunes aux gouvernants selon Bertho. Ils exigent ainsi d'avoir leur place dans la société. "Les Etats ne sont plus en mesure de prendre en charge la population" regrette Bertho. "Les Etats ont des difficultés à représenter les intérêts de la nation" rajoute l'anthropologue. Mais les Etats ne servent que les intérêts de leurs dirigeants et n'ont jamais aidé la population, ce n'est tout simplement pas leur rôle.
Ce documentaire révèle une certaine conception de la lutte sociale. Les mouvements contestataires ne peuvent pas porter leur propre projet de société qui repose sur la suppression de toutes les formes de domination et sur la réalisation des désirs de chacun. Les révoltes sociales doivent se contenter d'alerter les gouvernements et de souligner leurs dérives, mais jamais pour les remettre en cause. Ce problème semble important dans les pays arabes dont les peuples aspirent à être gouvernés autrement, alors qu'il faudrait ne subir aucun gouvernement. La rue peut balayer les pouvoirs mais peut également tenter de construire une autre société à partir de structures de lutte comme des comités de quartiers.
Retour sur la révolte tunisienne
En Grèce, la lutte sociale s'amplifie
Réflexions sur le "Printemps arabe"
Alain Bertho, co-auteur du documentaire, est également l'auteur d'un livre intitulé Le temps des émeutes qui a fait l'objet de différents compte-rendus dans la presse. Tout est disponible sur son site personnel qui répertorie aussi les différentes émeutes dans le monde.
"Note de lecture de l’ouvrage d'Alain Bertho", publié sur le site du Groupe d'Action pour la Recomposition de l'Autonomie Prolétarienne (GARAP)
Des informations sur l'Angleterre qui semblent également fiables existent sur le Jura Libertaire et sur Indymedia London. Les émeutiers s'expriment dans des textes disponibles sur le site de Non Fides
Un entretien avec un poète et un autre article insistent sur les causes sociales des émeutes en Angleterre.
Mais un regard historique peut être intéressant même si la sitation a probablement évolué. Un texte décrit les émeutes qui se déroulent en 1986 dans un quartier populaire de Bristol, en Angleterre.