Vive l'évasion : édito n°9
Publié le 4 Mai 2013
Au risque de sombrer dans la caricature insurrectionaliste, je me réjouis de l’évasion du braqueur Redouane Faïd depuis plusieurs semaines. Même si l’aura romantique de ce criminel doit être relativisée. Il reste plus préoccupé par une débrouille individuelle que par une libération collective. Pourtant, je partage ses goûts cinématographiques et sa critique explosive de la prison et de l’enfermement. Il est bien plus efficace que Christiane Taubira, ministre de la Justice, pour donner de l’air aux prisonniers. Surtout, ce braqueur renouvelle la question de l’écrivain et auteur de théâtre Bertolt Brecht : "Qu’est-ce qui est le plus moral, créer une banque ou l’attaquer ? "
En dehors de ce fait divers, l’actualité se caractérise par le règne de la médiocrité militante, des slogans remâchés, des mots d’ordre en lambeaux, des manifs sinistres. Les organisations politiques et syndicales s’attachent à morceler les luttes. Les bureaucrates veulent pouvoir contrôler "leur" petite contestation insignifiante. Des mouvements émergent, mais restent séparés et limités.
L’ANI (Accord national interprofessionel) apparaît comme une nouvelle offensive du capital. Cet accord signé par le Medef et des syndicats comme la CFDT vise à renforcer encore plus le pouvoir du patron dans l’entreprise. Les salariés vont devoir travailler dans la peur permanente du licenciement, encore plus facilité. Mais les manifestations isolées contre l’ANI, loin de construire un véritable rapport de force avec le pouvoir socialiste, apparaissent comme un simulacre de contestation. Tout comme la mascarade du Front de gauche qui manifeste pour une VIème République pour mieux préserver la pouvoir socialiste et ses mesures d’austérité.
Un mouvement de jeunes espagnols exilés émerge en France et à Montpellier. Mais "No nos vamos nos echan" reste cantonné dans le discours de l’extrême gauche qui pleurniche pour avoir un CDI et pour aménager les conditions de l’exploitation capitaliste. Pourtant, ses jeunes s’organisent et construisent un mouvement collectif plutôt que de rester dans l’isolement et la résignation. Surtout, ils n’attendent rien des partis et des syndicats.
A Montpellier, les universités connaissent également un frémissement. Mais les syndicalistes se contentent de dénoncer la Loi Fioraso qui n’est qu’une nouvelle mouture du processus de libéralisation des facs et de la société. Les étudiants se lassent rapidement des Assemblées générales (AG) verrouillées par les bureaucraties syndicales. Les militants ne proposent que des interventions techniques sur la loi pour mieux prendre les décisions entre eux. Les personnes réunies en AG ne peuvent alors pas de élaborer une réflexion collective et décider de leur propres moyens d’action. Ensuite, lorsqu’une manifestation sauvage permet une première action, les syndicalistes s’empressent de la guider vers le Rectorat pour pouvoir utiliser les manifestants dans leurs manœuvres politiciennes et leur négociation dans les coulisses des institutions. De quoi dégoûter de lutter.
Surtout, ses différents mouvements refusent de converger pour construire une lutte globale contre l’austérité. Les différentes mesures du gouvernement dessinent un projet cohérent d’offensive capitaliste.
Ce numéro revient sur l’histoire du mouvement ouvrier. Des courants révolutionnaires peuvent alimenter la pensée critique d’aujourd’hui. Loin de se contenter de quelques réformes, le mouvement ouvrier porte également une perspective de rupture avec l’Etat et le capitalisme. L’anarchisme peut permettre de renouveler les pratiques de lutte et contribuer à un projet de société alternatif. Le marxisme critique, proche du communisme de conseils, s’attache à l’auto-émancipation du prolétariat contre toutes les avant-gardes. L’opéraïsme, dans l’Italie des années 1960, actualise cette perspective. Mais aujourd’hui, la classe ouvrière traditionnelle perd sa conscience de classe et sa centralité tandis qu’émergent des mouvements de chômeurs et précaires. Le refus du travail peut également être actualisé dans le contexte actuel d’une extrême gauche nostalgique du plein emploi.
Certains despotes n'ont pas passé l'hiver. Tout comme Thatcher avant lui, Hugo Chavez a muselé les luttes sociales. La critique de ce caudillo semble indispensable alors que la majorité des organisations du mouvement social en France lui ont rendu hommage après son décès. Mais l’actualité se caractérise surtout par une politique d’austérité partout en Europe, même si la contestation perdure.
Le projet Marseille 2013 révèle l’imposture de la culture. L’art devient un rouleau compresseur pour virer les classes populaires des centres urbains au profit de bobos électeurs du PS. La culture rap porte davantage la révolte des quartiers populaires, mais subit également une récupération marchande. Walter Benjamin observe bien l’ambigüité de la culture. Sa critique d’une industrialisation de l’art, alors standardisé et aseptisé, reste pertinente. Tout comme son attachement au plaisir émancipateur de la créativité. Les manifestes littéraires et artistiques expriment un souffle libertaire qui valorise également la créativité. Leur élan poétique s’inscrit surtout dans une rupture avec l’ordre existant.
Les débats médiocres autour du « mariage pour tous » ont célébré l’acceptation des normes sociales. Mais, aucun groupe politique n’entame une véritable réflexion sur l’amour. Cette question, pourtant centrale dans la vie quotidienne, reste considérée comme futile et peu sérieuse par les milieux anarcho-gauchistes. Pourtant, la logique marchande, avec sa froide rationalité, colonise tous les aspects de la vie jusqu’à l’amour moderne. Face au modèle du petit couple conformiste, des réflexions existent. L’amour libertin attaque la morale sexuelle pour remettre en cause l’ordre social et le pouvoir autoritaire de l’Ancien régime. Aujourd’hui, la libération amoureuse reste toujours une utopie à expérimenter. Pour changer l'amour, enfermé dans le carcan bourgeois, il faut transformer le monde. Mais réinventer l'amour permet également de renverser la civilisation marchande.
Sommaire de Zones subversives n° 9 :
Actualité des luttes :
Chavez et le spectacle bolivarien
Combattre l'austérité en Grèce et en Europe
Mouvement ouvrier révolutionnaire :
L'anarchisme, une pensée critique dans les luttes
Le marxisme critique de Karl Korsch
L'opéraïsme dans l'Italie des années 1960
Refus du travail, paresse et oisiveté
Critique de la culture et dépassement de l'art :
Le rap en France, entre plaisir et récupération
Walter Benjamin, l'art et l'émancipation
Le manifeste, entre révolte et sensibilité poétique
Libération érotique et amoureuse :
Les Liaisons dangereuses et l'amour libertin