Les affaires, la République et l'Etat

Publié le 8 Octobre 2011

Le journalisme d'investigation s'attache à dénoncer les scandales et les dérives du pouvoir. En revanche, la fonction sociale de l'Etat n'est jamais remise en cause. Ce type de journalisme nourrit des illusions à l'égard d'un Etat neutre fondé sur les valeurs de la république qui seraient simplement dévoyées par quelques individus malhonnêtes.

 

 

 Le Président de la République française, Nicolas Sarkozy, et ses proches semblent emportés par le tourbillon des affaires. Depuis le « scandale » Woert-Bettencourt, les journalistes qui se veulent indépendants du pouvoir ne cessent de s’indigner, selon l’expression à la mode, de la présidence actuelle. Aujourd’hui, plusieurs faits d’actualité ravivent le discrédit de tout un régime. L’affaire des mallettes de la Françafrique s’inscrit dans une longue liste de scandales financiers. Les partis politiques sont financés par le patronat et différents chefs d’État, notamment des dictateurs africains. Le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Sarko m’a tuer, dénonce également l’arbitraire du pouvoir actuel. Mais ce parfum de fin de règne ne doit pas occulter la réalité sociale de l'Etat.

 

Au-delà de la présentation des faits, les journalistes qui traitent ses sujets sont loin d’être objectifs. Le journal en ligne Mediapart s’inscrit clairement dans une certaine idéologie malgré sa prétention à l’objectivité. Le journalisme d’investigation demeure une démarche entièrement subjective qui traduit une idéologie ouvertement républicaine. Les journalistes dénoncent les « scandales » car ils espèrent contribuer à dénoncer les dérives de la République. Le journalisme d’investigation participe à une posture clairement moralisatrice qui consiste à faire la leçon aux puissants, mais pour leur rappeler leurs devoirs. Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, revêt l’armure du chevalier blanc de l’intégrité républicaine. François Rufin, fondateur du journal Fakir dans la région d’Amiens, s’inscrit dans une même tradition républicaine et revendique l’héritage du programme du Conseil national de la résistance (CNR). Cette démarche subjective peut être gênante lorsque les journalistes prétendent transmettre des faits et une information objective. Mais, surtout, ils véhiculent des analyses erronées sur la situation politique.

 

Ce discours du journalisme d’investigation s’attache à dénicher des affaires, perçues comme autant de « scoops » et de scandales à dénoncer de manière virulente. Ses « affaires » sont alors perçues comme d’autant plus scandaleuses qu’elles seraient exceptionnelles. Il s’agit alors de défendre la République et ses valeurs contre les dérives de l’exercice du pouvoir. En revanche, ce traitement de l’information dénonce peu l’État, les institutions, l’administration et l’ensemble des rouages du pouvoir. Pourtant, l’État demeure une forme de domination politique qui permet à quelques uns d’opprimer le reste de la population. L’État dépossède les individus de leur pouvoir en prétendant les représenter. Une analyse anti-autoritaire et anti-étatiste attaque non pas les dérives dans l’exercice du pouvoir mais le fait qu’une minorité exerce le pouvoir sur la majorité. Les « scandales » ne sont pas perçues comme des dérives mais comme des conséquences logiques de cette forme d’organisation du pouvoir que constitue la démocratie représentative. Les détenteurs du pouvoir l’exercent uniquement dans le but de le conserver. L’arbitraire politique est une conséquence logique du pouvoir. L’Etat ne défend pas l’intérêt général et le service public mais sert un certain public et défend l’intérêt privé de ses dirigeants. Le sarkozysme avec ses multiples « affaires », n’est pas une exception, mais bien la règle.

 

En revanche, les journalistes d’investigation ne dénoncent jamais cette oppression politique mais seulement ses conséquences les plus visibles et les plus spectaculaires. Mais probablement aussi les plus dérisoires. Dans ce contexte de crise l’action de l’État ne se limite pas à quelques scandales et des détournements de fonds qui s’apparentent à des sommes dérisoires par rapport aux richesses produites par les travailleurs détournées au profit des patrons et des actionnaires. De plus, dans ce contexte de crise du capitalisme, l’État et les différents gouvernements soutiennent activement les classes dominantes. Le sauvetage des banques, les réformes d’austérité et les différentes mesures qui attaquent les salariés sont bien prises par les États et les dirigeants politiques pour renforcer le capitalisme au service des classes dominantes. Les détenteurs des moyens de production et les actionnaires bénéficient logiquement du soutien de l’État. Les classes dirigeantes et les classes possédantes sont liées par des intérêts communs qui se traduisent par le maintien de l’ordre social, avec tous les dispositifs sécuritaires nécessaires pour cela. L’État de Droit, censé garantir les libertés de chacun, n’est qu’une fiction politique construite a posteriori. Les libertés existantes n’ont pas généreusement octroyées par un quelconque État, aussi républicain soit-il. Les libertés et les droits sociaux découlent d’un rapport de force entre l’État et la population. Comme le montre bien le processus des révolutions arabes, les libertés ne se demandent pas mais se prennent, par la force et non par la négociation avec le pouvoir.

 

 

A Montpellier:

Un improbable "Forum national des médias indépendants" se déroule à Montpellier. Fakir, Mediapart, mais aussi CQFD seront présents. Ses rencontres sont organisées à l'Hôtel de région de Montpellier. Ce qui en dit long sur la conception de l'indépendance partagée par ses médias. La critique des médias du type Acrimed n'est pas opposée aux subventions et organise tout un lobbying en direction des dirigeants politiques. Citoyennisme, compromission avec les partis de gauche, appel à l'Etat: l'indépendance de cette nébuleuse des "médias indépendants" se révèle plus que douteuse.

Surtout, les journaux libertaires (Monde Libertaire, Alternative Libertaire, Courant alternatif, Offensive) ou les titres un peu critiques (Article 11, revue Z, Rebellyon) ne sont jamais conviés à la plupart des forums sur les médias indépendants qui se restreignent à l'altermondialisme et aux groupies de Jean-Luc Mélanchon et des bureaucrates d'ATTAC. 

 

 

Articles liés:

La presse underground des années soixante-dix

Un blog dans la révolution tunisienne

 

Pour aller plus loin:

"There is (no) an alternative", hautcourant.com

"Les médias indépendants étaient réunis à Montpellier", hautcourant.com

"Pierre Carles: une menthe à l'eau avec un réalisateur indépendant", hautcourant.com

"Il est temps de réveiller le journalisme d'enquête", vidéo de Médiapart

"Arrêt sur images, Mediapart et les nouveaux lecteurs", vidéo de Mediapart

Rédigé par zones-subversives

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