Le freudo-marxisme de Wilhelm Reich

Publié le 14 Janvier 2013

                    

 

Wilhelm Reich élabore une pensée originale : le freudo-marxisme. Il relie le matérialisme dialectique avec la prise en compte du désir et du plaisir sexuel.

 

Les textes politiques de Wilhelm Reich, psychanalyste et théoricien de la révolution sexuelle, restent encore peu connus. Aujourd’hui, le mariage entre homosexuels conformistes passe pour le summum de la contestation. Le pouvoir écolo-socialiste, avec la collaboration du lobby homosexuel, enferme le désir sexuel dans le cadre glacial de la loi, du contrat, de la norme du couple, du mariage et de la famille. Dans ce contexte étouffant la pensée de Reich semble tout à fait vivifiante. Si la réflexion sur la sexualité semble avoir disparu, le freudo-marxisme propose une démarche de lutte pour la révolution sexuelle. Thierry Simonelli décrit l’apport du freudo-marxisme pour comprendre la société moderne. Ce courant de pensée articule psychanalyse et théorie sociale. Il souligne la nécessité de redécouvrir le texte Matérialisme dialectique et psychanalyse, qui présente la pensée freudo-marxiste avec toute sa charge subversive.

 

                         

 

Matérialisme et psychanalyse

 

Herbert Marcuse critique les néo-freudiens qui tentent de concilier psychanalyse et sociologie. Ils considèrent que l’individu et sa névrose sont déterminés par leur environnement social. Mais ses néo-freudiens occultent la charge critique de la psychanalyse que constitue la théorie des pulsions et de la libido. Ils ne font qu’adapter l’individu à l’ordre social. Reich, comme Marcuse, refuse de confondre la théorie de la libido et de la nature pulsionnelle de l’individu avec une psychologie sociale. Sa réflexion sur des faits sociaux, culturels et historiques dépasse le cadre de la thérapie et de la pratique psychanalytique. Ensuite, contrairement à la psychanalyse classique, le freudo-marxisme devient surtout une pratique politique révolutionnaire.

Mais le marxisme propose également une réflexion critique qui peut s’articuler avec la psychanalyse. « Si le marxisme, en tant que méthode d’investigation, s’intéresse aux phénomènes sociaux, de son côté, la psychanalyse, en tant que méthode d’investigation, s’intéresse aux phénomènes psychiques qui se produisent au sein d’une société », souligne Thierry Simonelli. Le marxisme dans sa tentative de comprendre l’ensemble des phénomènes sociaux doit donc intégrer la dimension psychologique, à côté des aspects politiques et économiques. Les militants communistes s’interrogent sur l’influence du fascisme qui ne s’explique pas uniquement par des analyses historiques ou sociologiques. Reich insiste sur la sexualité refoulée et sur l’expression perverse du fascisme.

 

Pour les marxistes orthodoxes, la psychanalyse relève de l’idéalisme et s’oppose au matérialisme. Pourtant Marx évoque l’importance de l’éducation et de l’activité intellectuelle. « A cela, Reich ajoute l’idée que sans psychologie le marxisme ne saurait concevoir ni la souffrance humaine, ni la conscience de classe », résume Thierry Simonelli.

Freud observe un principe de réalité qui s’impose chez les individus. Ce constat peut faire l’objet d’une réflexion sociale. « Concrètement : le principe de réalité du capitalisme requiert de la part du prolétaire une restriction maximale des besoins, en appelant pour cela à des sommations religieuses de soumission et d’humanité. Il requiert aussi un rapport sexuel monogame et d’autres restrictions de ce type », analyse Reich. Le principe de réalité impose l’adaptation de l’individu à l’ordre social à travers la répression de ses désirs. Ce refoulement des pulsions est lui-même un produit de la société et de l’éducation. « C’est au sein de la famille, au sein de l’école et dans les différents groupes sociaux auxquels participent l’enfant, que l’interdit des pulsions trouve son origine », rappelle Thierry Simonelli. La famille et la socialisation de l’enfant imposent une aliénation idéologique. Loin d’une pensée idéaliste, le freudo-marxisme estime que les pulsions sont construites et orientées par la société. Un conflit s’observe entre la pulsion et le plaisir de l’enfant avec la revendication des parents comme représentants de la société concrète, avec son mode de production spécifique.

 

Reich attaque la « peste émotionnelle », la cuirasse caractérielle et les différentes formes de répression sexuelle pour, au contraire, favoriser une libre circulation de l’énergie libidinale. Le freudo-marxisme s’oppose au fondement coercitif de l’ordre social auquel l’individu doit s’adapter. Pourtant, la psychanalyse n’a, en soi, rien de révolutionnaire. Seule la focalisation sur la sexualité a troublé la société victorienne. Mais Freud se conforme à la morale sexuelle. Le capitalisme récupère rapidement la psychanalyse à son profit. Edward Bernays s’appuie sur les travaux de Freud pour développer la publicité et le marketing. La psychanalyse peut alors permettre de manipuler les masses. Même la libération sexuelle est récupérée par le capitalisme. Désormais « la sexualité n’est plus ce qui heurte les normes et les valeurs, la sexualité épanouie s’impose elle-même comme une norme sociale coercitive », estime Thierry Simonelli. Le culte de l’orgasme se confond désormais avec le culte de la performance.

Une culture thérapeutique se développe avec des exercices corporels. Mais ses thérapies inspirées de Reich ne remettent pas en cause l’ordre social. « Si bien que l’épanouissement de soi s’y conçoit comme l’adaptation joyeuse et assumée au monde du travail aliéné et de la consommation. Car ses derniers ne sont définitivement plus en cause », souligne Thierry Simonelli. La supposée libération sexuelle, loin de permettre un abandon au plaisir, devient une angoisse de la performance. Dans ce contexte, la pensée de Reich avec Matérialisme dialectique et psychanalyse permet de renouer avec la perspective d’une véritable révolution sexuelle.

 

 

                    

 

Psychanalyse et libération sexuelle

 

Wilhelm Reich s’attache à articuler psychanalyse et marxisme révolutionnaire. D’autres tentatives dans se sens existent. Mais « toutes ces tentatives passent à côté de la question centrale, qui concerne la misère sexuelle de très larges parties de la population mondiale, et ne réussissent pas à se rattacher à ma réflexion théorique et pratique », souligne Wilhelm Reich en 1934.

Lorsque marxisme et psychanalyse sont reliés, ses deux approches sont largement édulcorées. Le marxisme occulte alors la lutte des classes et la psychologie n’évoque pas le refoulement sexuel. Pire la psychanalyse est utilisée pour « améliorer l’existence sociale par une réglementation rationnelle des rapports humains et une éducation tendue vers la maîtrise consciente de la vie pulsionnelle », souligne Wilhelm Reich. La psychanalyse permet alors de contrôler les comportements vers davantage de répression sexuelle. Le marxisme semble axé sur l’étude de l’ensemble de la société. La psychanalyse se penche davantage sur l'individu. « Le véritable objet de la psychanalyse est la vie psychique de l’homme devenu être social », précise Wilhelm Reich. Mais cette méthode d’investigation doit apporter à son domaine propre, l’étude du psychisme de l’individu, la méthode marxiste du matérialisme dialectique.

 

La psychologie doit prendre en compte les bases matérielles qui structurent les mentalités, comme l’éducation. Inversement le marxisme doit s’appuyer sur la psychanalyse pour étudier les aspects de la vie sociale qui renvoient aux mentalités collectives. Sinon, « on ne parviendra pas à une meilleure intelligence du plaisir, de la souffrance ou de la conscience de classe » souligne Wilhelm Reich.

La psychanalyse demeure surtout une théorie des pulsions, et notamment celle de la pulsion sexuelle : la libido. « Dans la conscience la libido se reflète comme une poussée psychique et physique vers la satisfaction sexuelle, c’est-à-dire vers une détente agréable », décrit Wilhelm Reich. Mais Freud distingue deux pulsions majeures, la pulsion sexuelle se distingue de celle de la conservation. Les autres pulsions proviennent de ses deux premières. La violence et la destruction provient d’une répression de la libido, « l‘insatisfaction sexuelle augmentant l’agressivité, la satisfaction la diminuant », précise Wilhelm Reich. Seul le plaisir permet de satisfaire la pulsion. « Tout ce qui engendre le plaisir attire, tout ce qui engendre le déplaisir repousse : aussi le principe du plaisir détermine-t-il le mouvement, la transformation de l’état de choses existant », précise Wilhelm Reich.

Freud oppose le principe de réalité au principe de plaisir. Ce principe de réalité interdit certaines satisfactions. L’individu doit réprimer ses désirs sexuels pour se conformer à l’ordre social. Actuellement ce principe de réalité repose sur le principe de la société capitaliste, fondée sur l’économie privée. « Concrètement : le principe de réalité à l’époque capitaliste impose au prolétaire une limitation extrême de ses besoins, non sans évoquer à cette fin les obligations religieuses d’humilité et de modestie. Il impose également la forme sexuelle monogamique et bien d’autres choses encore », précise Wilhelm Reich. Le principe de réalité permet à la classe dominante de conserver son pouvoir. Le prolétaire peut ainsi accepter son exploitation et admettre la société capitaliste.

L’inconscient révèle l’importance du refoulement sexuel. La morale et la culpabilité imposent le refoulement dès l’enfance.

 

Le marxisme et le matérialisme dialectique peuvent également être appliqués à la psychanalyse. Selon le raisonnement dialectique, le nouveau contient l’ancien tout en se transformant. L’énergie sexuelle, une fois refoulée, peut se transformer en angoisse. Cette méthode permet également de comprendre les conflits qui traversent les individus. Chaque personne semble tiraillée entre ses désirs et l’ordre moral qui provoque l’inhibition. « La contradiction entre le moi-pulsion et le monde extérieur finit par devenir une contradiction interne : sous l’influence justement du monde extérieur commence à se développer dans l’appareil psychique un organe d’inhibition, le surmoi », explique Wilhelm Reich. L’individu est donc traversé par un conflit qui oppose sa pulsion (le moi) au monde extérieur (le surmoi). Le psychisme de l’individu dépend donc de son environnement matériel. « La psychanalyse peut donc entièrement confirmer la thèse de Marx d’après laquelle c’est bien l’existence sociale qui détermine la « conscience », c’est-à-dire les représentations, buts et pulsions, idéologies morales, etc., et non le contraire », résume Wilhelm Reich.

 

                       

 

 

Révolution sexuelle contre ordre capitaliste

 

La psychanalyse s’inscrit dans un contexte social. Cette réflexion apparaît comme « une réaction aux conditions culturelles et morales dans lesquelles vit l’homme social. Il s’agit avant tout ici des conditions sexuelles telles qu’elles résultent des idéologies religieuses », décrit Wilhelm Reich. La bourgeoisie s’oppose ensuite à la religion mais récupère sa morale pour l’adapter au capitalisme. « La condamnation de la sensualité, la monogamie, la chasteté de la jeune fille et, par suite, l’éclatement de la sexualité masculine eurent dès lors un nouveau sens économique, capitaliste cette fois », explique Wilhelm Reich.

La morale sexuelle permet le maintien de l’ordre social mais alimente des frustrations. Freud estime que la restriction sexuelle excessive explique l’apparition des névroses. La psychanalyse s’attaque à la racine du refoulement sexuel, un des piliers des idéologies conservatrices. Un mouvement révolutionnaire se développe en parallèle pour abolir l’exploitation capitaliste, autre fondement de l’ordre social. « Sociologiquement, le marxisme était l’expression d’une prise de conscience des lois économiques, de l’exploitation d’une majorité par une minorité ; de même la psychanalyse était l’expression d’une prise de conscience de la répression sexuelle sociale », résume Wilhelm Reich.

 

Mais la psychanalyse devient une profession. Ses réflexions radicales sur la sexualité sont alors édulcorées ou éludées par les disciples de Freud. La charge subversive des découvertes de la psychanalyse est alors désamorcée. Le freudo-marxisme, qui vise à détruire toutes les institutions qui fondent l’ordre social, est rapidement enterré. « La situation sociale du psychanalyste lui interdit d’expliquer publiquement que la morale sexuelle d’aujourd’hui, que le mariage, la famille bourgeoise, l’éducation bourgeoise ne peuvent se concilier avec la cure psychanalytique radicale des névroses », résume Wilhelm Reich. La soumission totale aux exigences sociales n’explique alors plus les pathologies. Le marxisme est contrôlé par les réformistes et la psychanalyse par des thérapeutes qui nient la théorie de la libido. Au contraire la psychanalyse, avec le libre épanouissement de l’individu et de la sexualité, ne peut se développer que dans une société socialiste.

Les réflexions freudo-marxistes semblent toujours aussi pertinentes pour attaquer la civilisation moderne. L’aliénation liée à la sexualité, bien que moins directement répressive, impose ses nouvelles normes. Le contrôle des corps, à travers le marché de la séduction, renforce la misère sexuelle. Face à ce constat, la pensée de Wilhelm Reich permet d’attaquer les contraintes et les normes sociales. Le psychanalyste propose d’abattre la logique du capital pour créer une société fondée sur l’expression des désirs et l’abandon à la jouissance.

 

Source : Wilhelm Reich, Sexualité, marxisme et psychanalyse, Avant-propos de Thierry Simonelli, M éditeur, 2012

Wilhelm Reich, Matérialisme dialectique et psychanalyse dans la crise sexuelle, 1929

 

 

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Sartre et Marcuse contre l’aliénation

Herbert Marcuse, philosophe radical

 

 

Sur la révolution homosexuelle:

 

Article publiés dans le journal Marge, qui exprime "l'autonomie désirante"

Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR), Rapport contre la normalité, 1971

Journal Tout ! n°12, "Libre disposition de notre corps", 1971

Patrick Schindler, "Que reste-t-il du FHAR, quarante ans après ?", Le Monde Libertaire n°1639, 9-15 juin 2011

Benoît Breveille, "Homosexuels et subversifs", Le Monde diplomatique, août 2011

Le Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire (FHAR), publié sur le blog shigepekin le 10 septembre 2010

Giafranco Rebucini, " "Mariage pour tous" et émancipation sexuelle. Pour une autre stratégie politique ", publié sur le site de la revue Contretemps le 03 décembre 2012

Vanina, "Le mariage pour tous et toutes... mais plus encore pour personne !", publié sur le site de l'Organisation communiste libertaire (OCL) le 12 janvier 2013

Rédigé par zones-subversives

Publié dans #Révolution sexuelle, #Marxisme anti-bureaucratique

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H
""Le psychanalyste propose d’abattre la logique du K pour créer une société fondée sur l’expression des désirs et l’abandon à la jouissance."<br /> Désirs de qui ? Jouissance de qui ?<br /> C'est bien beau la jouissance mais ça ne nourrit pas. Si on n'a pas d'autre objectif de société, comment est-ce qu'on mange ? Il faut qu'il y ait un travail quelque part. Pas un travail salarié ni pour un patron mais à un moment donné, il faut qu'il y ait une forme de travail pour pouvoir survivre. Et s'il y a un "abandon total à la jouissance" d'une part de la société, alors il y a une autre part qui trime et qui en chie. Et qui donc ne jouit pas. <br /> Il est primordial d'articuler marxisme et psychanalyse pour comprendre totalement la lutte des classes mais l'analyse dépeinte dans cet article est incomplète et bancale. C'est dommage.
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