Hypercapitalisme et vide existentiel

Publié le 2 Janvier 2013

       Charlie Chaplin dans "Les Temps modernes".

 

Jean-Paul Galibert propose une réflexion philosophique sur la société moderne de l’hypercapitalisme.

 

Jean-Paul Galibert se penche sur le problème du suicide pour proposer une réflexion sur la société moderne. Cette cause de mortalité importante ne fait l’objet d’aucune préoccupation politique. En plus des personnes décédées à la suite d’un suicide, des tentatives et des pensées suicidaires traversent de nombreux individus. Dans ce meurtre sans coupable, c’est la société qui semble être en cause. Cette réflexion permet de penser la société actuelle avec ses nouvelles formes d’aliénation. La logique marchande colonise tous les aspects de la vie quotidienne.

 

                       couverture de SUICIDE ET SACRIFICE

 

Une économie hypercapitaliste

 

La logique de rentabilité dicte la marche du nouveau capitalisme. « C’est désormais l’hyperrentabilité qui impose sa domination au monde entier: elle exige de tout être qu’il soit absolument rentable, c’est-à-dire qu’il rapporte tout et ne coûte rien » précise Jean-Paul Galibert. La réalité et l’humanité disparaissent alors avec cette nouvelle forme de domination marchande.

L’hypertravail permet au consommateur de travailler sans être payé. L’imagination du consommateur face à la publicité n’est pas rémunéré, tout comme sa relation avec le vendeur. « La télévision, l’ordinateur, le téléphone portable deviennent des instruments de capture du temps de travail du consommateur, l’hypertravail, le plus rentable de tous les temps de travail » souligne Jean-Paul Galibert. Comme les situationnistes, il estime que la domination marchande ne se limite pas au salariat mais s’étend à toutes les activités humaines.

 

L’économie évolue. Le secteurs qui produisent des biens nécessaires, comme l’agriculture et l’industrie, disparaissent progressivement. Une virtualisation de l’économie émerge avec le développement du secteur des services. « On assiste donc à une course générale à la fermeture des usines productives, au bénéfice d’activités commerciales ou publicitaires, touristiques ou spectaculaires, mais toutes à fort coefficient d’hypertravail. Tout ce qui produit ferme et licencie. Tout ce qui repose sur l’imagination prospère et se développe » résume Jean-Paul Galibert. Les pauvres et les chômeurs sont exclus de cette civilisation de la consommation. Le capitalisme leur propose une solution: le suicide. Le capitalisme n’est même plus un mode de production, mais un mode de destruction.

« Dans une telle économie, votre existence toute entière devient à la fois source de valeur et l’objet de toutes les luttes » poursuit Jean-Paul Galibert. Le capitalisme construit une conception factice et imaginaire du bonheur, attachée à la consommation. Mais désormais, toutes les existences doivent êtres rentables, ou doivent disparaître. « Le capitalisme était un mode de production qui se contentait d’une rentabilité relative, en exploitant le travail et en assurant un minimum d’existence. L’hypercapitalisme est un mode de destruction qui atteint une rentabilité absolue, en exploitant tout ce qui est capable d’hypertravail, et détruisant tout ce qui en est incapable » explique Jean-Paul Galibert.

 

 

                    le travail tue 

 

Une vie régie par la domination marchande

 

Le philosophe Gilles Deleuze évoque le passage des sociétés disciplinaires, avec ses institutions répressives, aux sociétés de contrôle avec une surveillance plus diffuse. Les désirs ne sont plus simplement réprimés mais contrôlés et orientés. La consommation devient un mode de régulation des désirs au service de la rentabilité capitaliste. « Au lieu de s’épuiser à fabriquer, distribuer, vendre à chacun de quoi satisfaire son rêve personnel, on s’est avisé de réguler les désirs et de les canaliser vers un petit nombre d’objets désirables, et d‘ailleurs déjà disponibles » décrit Jean-Paul Galibert. L’uniformisation des désirs et la société de contrôle doivent augmenter la rentabilité. Guy Debord évoque le vide existentiel la routine et l’ennui qui caractérisent la vie quotidienne dans la modernité marchande. L’individu est réduit à l’état de spectateur passif et dépossédé de son existence. « L’hypercapitalisme ne se contente pas de vous extorquer quelques heures par jours de travail non payé. Il réclame et obtient la totalité de votre existence: il veut que vous lui sacrifiez toute votre vie » estime Jean-Paul Galibert. Après les sociétés de contrôle et de discipline apparaît la société de sacrifice. Ce sacrifice passe par l’hypertravail ou par le sacrifice.

Avec le suicide, les existences supprimées ne supposent aucun bourreau, aucun camp, aucune administration de terreur puisque la victime assure elle-même sa propre destruction. Le suicide permet de laisser vivre les riches et de tuer les pauvres dont l’existence est impossible. Le suicide laisse le choix entre l’hypertravail ou la mort. « Le suicide est le mode de sélection idéal pour obtenir la première obéissance absolue depuis l’esclavage: obéir à tout, ou mourir » tranche Jean-Paul Galibert.

Le suicidaire ne cesse de consommer des drogues, des médicaments, des loisirs. Il subit la dépression et répand la destruction. Le suicide révèle surtout le délitement des relations humaines. « Il y a quatre commandement à suivre pour devenir suicidaire: la rentabilité, la terreur, l’enfermement et, finalement, l’inexistence » résume Jean-Paul Galibert. Mais, au-delà de l’individu, c’est le monde qui semble mortifère et suicidaire.

 

Ce livre permet de cartographier les nouvelles formes d’aliénation. Certaines analyses rejoignent la réflexion des situationnistes ou du philosophe Herbert Marcuse. Le freudo-marxisme propose également une analyse de la répression sexuelle qui semble toujours pertinente. Mais la société actuelle développe également de nouvelles formes de destruction, bien observées dans ce texte. Pourtant, Jean-Paul Galibert semble tut aussi aliéné. Son texte participe à un certain air du temps, celui de la résignation et de l’acceptation grincheuse de la modernité marchande. Le philosophe ne dresse aucune perspective émancipatrice. Pire, l’hypercapitalisme semble triompher pour éradiquer toute forme de contestation.

Mais la domination de la logique marchande et bureaucratique sur tous les aspects de l’existence n’est pas inéluctable. Le capitalisme semble traverser par des contradictions et n’apparaît pas comme un horizon infaillible. Les avant-gardes artistiques proposent des pistes émancipatrices, à travers l’expression de la créativité pour libérer l’imagination et le désir. Face à l’hypercapitalisme et à la société de contrôle, une insurrection poétique et orgastique peut permettre de détruire les normes et les contraintes sociales.  

 

 

Source: Jean-Paul Galibert, Suicide et sacrifice. Le mode de destruction hypercapitaliste, Nouvelles Éditions Lignes, 2012

 

 

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Pour aller plus loin :

Blog de Jean-Paul Gallibert

Christian Ruby, "Des meutres sans coupables", publié sur le site nonfiction.fr le 22 janvier 2013

Entretien avec Jean-Paul Galibert publié dans le journal marocain Libération le 7 décembre 2012 

Bernard Gensanne, "Suicide et sacrifice de Jean-Paul Galibert", publié sur le site Le Grand Soir le 29 janvier 2013

Rédigé par zones-subversives

Publié dans #Pensée critique

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