François Saillant, un révolutionnaire au Québec

Publié le 28 Novembre 2012

François Saillant, un révolutionnaire au Québec

François Saillant, militant québécois retrace son parcours politique dans un témoignage sur le Québec de la fin du XXème siècle.

 

La contestation au Québec n’est pas nouvelle. Le mouvement de lutte récent s’inscrit dans une histoire. François Saillant, militant révolutionnaire, illustre la vivacité de la contestation sociale au Québec. Il retrace son parcours et insiste sur le bonheur dans la lutte.

« J’exècre la pauvreté. Je n’en peux plus d’un système capitaliste qui, pour l’enrichissement d’une minorité, exploite, saccage, viole les droits. Je suis convaincu que l’avenir de l’humanité passe par une transformation profonde de la société, par des changements radicaux, qui vont à la racine même des injustices » précise François Saillant. Il s’attache à articuler actions radicales et mobilisations de masse. Surtout, dans son récit, il refuse de dissocier la révolte de la vie.

Il participe notamment à la lutte pour le logement, à travers le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). Le logement, qui relève de la sphère privée et de l’intimité, doit devenir un enjeu public et politique.

 

François Saillant grandit dans un quartier populaire et ouvrier. Malgré la grisaille du décor, la joie de vivre anime ce quartier. « Ce quartier pourrait être tristounet. Il respire pourtant la vie, l’animation, les petits bonheurs ordinaires et les malheurs vécus tantôt dans la solitude tantôt dans l’entraide et la solidarité » évoque François Saillant. Son milieu familial, catholique et populaire, semble peu politisé. Mais, durant les années 1960, les manifestations, les grèves et les occupations se multiplient. La contestation étudiante devient globale. Les organisations sclérosées sont attaquées pour promouvoir la spontanéité de la révolte.

En 1971, il s’inscrit à l’Université de Laval pour devenir journaliste. « Je me sens toutefois terriblement mal à l’aise dans un milieu qui me semble terriblement conformiste et hiérarchisé, avec ses étudiantes et ses étudiants bien dociles qui s’accrochent littéralement aux paroles de la personne qui monologue en avant de la classe, surtout si elle jouit d’une certaine notoriété » ironise François Saillant. Il participe à une grève étudiante. Malgré son échec, le mouvement permet de nouer des amitiés et des complicités.

Après ses études, il délaisse le journalisme traditionnel et préfère filmer les luttes. Il s’intéresse au mouvement contre le réaménagement urbain à Québec. Il filme les luttes syndicales et populaires et se rapproche d’une organisation marxiste qui se crée.

 

 

                                   http://www.compop.net/files/Saillant.jpg

 

Les luttes sociales

 

L’aménagement urbain oblige les habitants à quitter leur logement et parfois leur quartier. La réhabilitation des bâtiments permet une augmentation des loyers. Mais un mouvement de contestation émerge pour combattre ce phénomène: le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). François Saillant quitte Québec pour rejoindre la ville de Montréal.

Au cours des années 1980, le FRAPRU se développe. La lutte pour le logement social devient un axe stratégique. Surtout, le FRAPRU affirme que « le droit au logement doit primer sur celui de propriété ». Mais en 1985, le gouvernement conservateur réduit l’accès au logement social.

La lutte contre la gentrification émerge. Les vieux quartiers populaires réhabilités accueillent progressivement une population petite bourgeoise. Mais les locataires organisent la résistance et refusent de quitter leur logement. Seule l’intervention de l’escouade antiémeute permet de déloger les habitants. Mais, quelques jours après, des protestations empêchent la démolition des immeubles. Pourtant les bâtiments sont rasés et des logements laissés vides doivent permettre de réaliser un juteux projet immobilier.

Dans le creux de la vague, le FRAPRU se contente de faire du lobbying auprès des politiciens. Malgré les promesses électorales, cette démarche se révèle inutile et ridicule. Le FRAPRU oscille entre la construction d’un rapport de force et l’interpellation complaisante des politiciens. Mais cette démarche ne fait pas l’unanimité. Un squat et ouvert pour construire un mouvement plus radical. Pourtant François Saillant participe activement à la lutte initiée par ce squat. « J’y retourne par la suite tous les jours, même si je ne me sens pas toujours bienvenu parmi des militantes et des militants qui pensent que de revendiquer du logement social, comme je le fais depuis deux décennies, c’est quémander des faveurs à l’État » explique François Saillant.

Mais le FRAPRU semble toujours privilégier le démarchage auprès des institutions plutôt que la construction d’un rapport de force. Les désillusions, les promesses non tenues et les mêmes politiques du logement malgré les alternances gouvernementales ne sortent pas le FRAPRU de son endiguement citoyenniste.

Des actions politiques sont organisées. Le Camp des 4 Sans permet de rendre visible le problème du logement. La campagne Sur la route pour le logement social permet de sillonner le territoire, avec deux caravanes, pour sensibiliser la population.

 

François Saillant participe également aux luttes en faveur de l’aide sociale. Les plus pauvres doivent faire des démarches en faveur de leur « employabilité » pour bénéficier des aides de l’État. Cette démarche renforce le contrôle social et la restriction des allocations. En 1988, la lutte qui émerge puise sa force de sa diversité. « Toutes sortes de stratégies sont déployées, du lobby à l’occupation de bureaux et, dans l’ensemble, elles se complètent plutôt que de se concurrencer » estime François Saillant.

Pourtant ce militantisme révèle ses limites. Arpenter les salons ministériels, négocier l’aménagement d’une loi, interpeller les partis politiques n’ont jamais rien changé. Ce militantisme semble idéologique et se focalise sur les lois et les décisions gouvernementales. La négociation semble primer sur la conflictualité sociale. Cette stratégie s’oppose à une lutte à la base qui s’appuie sur des situations concrètes pour construire un rapport de force au niveau global.

En 1997, un bureaucrate propose même d’élaborer un projet de loi sur l‘élimination de la pauvreté. Cette démarche de collusion avec l’État ne fait pas l’unanimité. « Des personnes arguent aussi que ce n’est pas le rôle des mouvements sociaux de proposer des projets de loi, que l’élimination de la pauvreté est une illusion en régime capitaliste, que, sous ses dehors ambitieux, la proposition ne vise qu’à encore plus de partenariat, de concertation et même d’intégration à l’État » reconnaît François Saillant.

Au Québec, la contestation sociale semble fluctuante. Mais des mouvements étudiants et l’opposition à l’exploitation du gaz de schiste ravivent la conflictualité sociale. « Des combats s’épuisent, d’autres surgissent ; des mouvements sont en panne, d’autres reprennent le pôle de la résistance. C’est probablement ce qui fait qu’en dépit des échecs, je ne me suis jamais réellement senti désillusionné ou blasé » témoigne François Saillant. Il s’attache également à une perspective de convergence et de multiplication des luttes. « Je ne peux cependant m’empêcher de rêver à la force extraordinaire que nous aurions si toutes les résistances aux injustices parvenaient à être au même rendez-vous plutôt que de se disperser ou de se succéder … » affirme François Saillant.

 

Le militant participe à d’autres luttes. Au Québec, les autochtones ont été colonisés et pillés. Les indiens ont perdu leurs coutumes, leur langue leur culture. Cette oppression n’est jamais évoquée par les nationalistes québécois qui se posent en seules victimes de l’impérialisme anglo-saxon. En 1990, un terrain de golf doit être construit sur les terres des autochtones. Un mouvement de contestation se développe. Les Mohawks occupent la pinède pour bloquer les travaux.

 

 

      

 

Entre réformisme et révolution

 

François Saillant insiste sur la dimension politique des luttes sociales. Pourtant, il adopte en parallèle un engagement politique plus classique. Dès 1968, il adhère au Parti québécois (PQ). Il prétend que ce parti a permis de faire avancer le Québec à travers son passage au pouvoir. Il cite par exemple la création de l’assurance automobile. Ce qui en dit long sur la vacuité et le ridicule d’un tel engagement politique. Surtout, il occulte le plus important : ce parti justifie l’oppression de la population par un gouvernement.

En 1977, François Saillant participe à une organisation plus radicale. Il fréquente le groupe marxiste-léniniste En Lutte. Pourtant la revue Chroniques semble plus attirante avec son marxisme hétérodoxe. Patrick Straram, proche de Guy Debord, incarne un renouveau de la pensée critique. « Je dévore tous les livres et articles de cet écrivain et chroniqueur inclassable, qui refuse de se laisser enfermer dans quelque genre littéraire que ce soit et qui intègre marxisme et contre-culture, vie privée et politique, dérives, errances urbaines, cinéma, musique et lecture » témoigne François Saillant. Entre le pouvoir PQ et la radicalité situationniste, l’itinéraire de ce militant semble particulièrement original. Le marxisme léninisme devient un bon équilibre en la compromission politicienne et l’exigence de radicalité. Il adhère au groupe En lutte qui délaisse progressivement l’analyse de la situation concrète au Québec. Ce mouvement s’embourbe dans le dogmatisme idéologique et va jusqu’à citer Staline. François Saillant explique son itinéraire politique par « la faiblesse de nos assises théoriques et de nos connaissances historiques ». Mais l’urgence de l’action explique davantage ce type d’engagement, avec « la volonté généreuse, désintéressée, de changer le monde en profondeur et de le faire le plus rapidement possible ».

 

A partir des années 1980, une nouvelle offensive capitaliste détruit la combativité sociale. Avec l’effondrement du mouvement révolutionnaire, l’altermondialisme et le citoyennisme peuvent prospérer. La destruction du capitalisme n’est plus à l’ordre du jour. « On préfère se réfugier derrière le concept moins compromettant de néolibéralisme (ou néoconservatisme), comme s’il ne s’agissait justement pas d’une variante du capitalisme à une étape précise de son développement » souligne François Saillant. L’analyse de la société en termes de classes sociales disparaît également.

En 1984, François Saillant participe à la création de la revue Révoltes. Toutes les luttes doivent être soutenues, y compris celles qui dépassent le cadre du combat ouvrier. « Des révoltes… à la révolution » devient le titre de l’éditorial du numéro 1. Ce journal s’éloigne de l’orthodoxie marxiste léniniste pour regrouper les courants les plus radiaux des luttes sociales, y compris le mouvement libertaire.

Mais, à partir des années 2000, François Saillant collabore à la recomposition de la gauche avec ses ramassis gauchistes, altermondialistes et citoyennistes mollassons. Il participe à l’organisation politique Option citoyenne, avec son gauchisme politicien.

Il participe au groupuscule électoraliste Québec solidaire qui se veut crédible, respectable et porteur de propositions. Malgré ses dérives politiciennes, François Saillant insiste sur la nécessité de se réapproprier la notion de liberté confisquée par la droite néolibérale.

 

Cette autobiographie permet d’insister sur l’importance de la subjectivité individuelle. Mais François Saillant se méfie de la tendance à la personnalisation des luttes. Il évoque la continuité historique du mouvement social. Surtout, François Saillant insiste sur le plaisir de la lutte, contre l’image de l’ennui militant. « Pour certaines personnes, militer, c’est se sacrifier, être un peu missionnaire, ne penser qu’aux autres. Ce n’est pas ce que j’ai vécu et ce que je continue de vivre » précise François Saillant. Loin de la logique moraliste et sacrificielle, la lutte permet de se réapproprier son existence. « Je l’ai fais parce que je ne voulais pas vivre dans une société dans laquelle je ne me reconnaissais pas, parce qu’il me fallait sortir de l’impuissance, parce que je désirais contribuer à améliorer un temps soit peu les choses » poursuit François Saillant.

Comme le souligne Guy Debord, la passion révolutionnaire est la passion qui comprend toutes les autres. Lutter pour un monde de jouissance permet d’intensifier sa vie, ici et maintenant. « Le militantisme ne m’a pas rendu malheureux. Il est un des éléments qui a permis d’avoir une vie que je trouve plus que satisfaisante. Cette vie n’aurais bien sûr pas été aussi belle sans l’amour, les amitiés, les plaisirs, passagers ou plus durables, les joies, petites ou grandes. Il m’aurait toutefois manqué quelque chose si je n’avais pas eu cet appétit insatiable de changer le monde, de changer la vie, qui me pousse encore aujourd’hui à continuer » conclue joliment François Saillant.

  

 

Source: François Saillant, Le radical de velours. Parcours militant, M éditeur, 2012

 

Articles liés :

Québec : mouvement étudiant et révolte sociale

Contre l’ennui militant

Critiquer l’art pour passionner la vie

Ernest Mandel et le marxisme révolutionnaire

Histoire du syndicalisme d’action directe

 

Pour aller plus loin :

Annabelle Moreau, "Etre militant ou ne pas l'être: François Saillant publie Le radical de velours", publié sur le site Ruemasson.com le 26 avril 2012 

Recension par Darwin publiée sur le site de Jeanne Emard le 10 mai 2012  

Pierre Dubuc, "François Saillant, militant des causes sociales", L'aut'journal n°309, mai 2012

Recension par Nicolas Lefebvre Legault publiée sur le site du Comité populaire Saint-Jean-Baptiste en juillet 2012

Annabelle Blais, "François Saillant: une vie à "chialer" contre l'injustice", Metro, 2 avril 2012 

Camille Carpentier, "François Saillant: militant d'hier à aujourd'hui", publié sur le magazine L'itinéraire le 15 juillet 2012 

Rédigé par zones-subversives

Publié dans #Histoire des luttes

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article