Le syndicalisme de la CGTU

Publié le 9 Janvier 2025

Le syndicalisme de la CGTU
La révolution russe ouvre un cycle de grèves et de luttes sociales. En France, la CGTU regroupe les syndicalistes révolutionnaires qui refusent la cogestion de la CGT. Mais les grèves se heurtent à une répression féroce. Ensuite, la CGTU subit des clivages idéologiques entre communistes et anarchistes. 

 

 

La Confédération générale du travail unitaire (CGTU) participe à l’implantation ouvrière du jeune Parti communiste. Pourtant, ce syndicat demeure une organisation méconnue de l’histoire du mouvement ouvrier. La révolution russe déclenche un élan de révoltes qui se propage dans différents pays d’Europe. Les soviets, avec la spontanéité du prolétariat, deviennent des sources d’inspiration pour le syndicalisme révolutionnaire en France. Des vagues de grèves éclatent en 1919 et 1920.

Les désillusions des élections de 1919 révèlent l’impasse du parlementarisme. Mais la répression des grèves invite à emprunter des chemins nouveaux. Le congrès de Tours de 1920 débouche vers la scission entre socialistes et communistes. Ce clivage se répercute dans le mouvement syndical. Lénine tente de prendre le contrôle de la CGTU. Au sein de cette nouvelle organisation, les anarcho-syndicalistes s’opposent aux communistes qui finissent par prendre le contrôle de la CGTU.

Jean Charles, historien et militant communiste, démarre une thèse sur la CGTU dans les années 1960 sous la direction de Jacques Droz. Ses recherches s’inscrivent dans le renouveau de l’historiographie du mouvement ouvrier dans les années 1970, après les grèves de Mai 68. Cette histoire se penche sur les organisations et les militants. Jean Maitron lance Le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Dans ce contexte émerge également la revue Le Mouvement social. Jean Charles échange avec Annie Kriegel, Jacques Droz, Ernest Labrousse, Madeleine Rebérioux et Michelle Perrot. Son projet de thèse se penche sur la Naissance et implantation de la Confédération générale du travail unitaire (1918-1927).

 

La CGT de Léon Jouhaux et le Parti socialiste ont rallié l’Union sacrée. Le syndicalisme qui effrayait la bourgeoisie des années 1900 est devenu un interlocuteur respectable du pouvoir. Les minoritaires, hostiles à la guerre et au patriotisme, sont éclatés. Mais la situation internationale favorise ce renouveau minoritaire. Des insurrections ouvrières éclatent en Finlande et en Allemagne. Des soulèvements sociaux émergent en Autriche-Hongrie, en Bulgarie et au Japon. Le nouveau pouvoir russe aspire à centraliser et à contrôler ces révoltes à travers la création de l’Internationale communiste au printemps 1919.

Cependant, cette organisation ne parvient à attirer aucun des grands mouvements ouvriers occidentaux. En France, des vagues de grèves éclatent dans plusieurs secteurs en 1918 et en 1919. Ce qui contribue à renforcer la puissance de la CGT. Ce contexte semble favorable à la résurgence du courant minoritaire. Pierre Monatte lance le journal La Vie ouvrière pour sauver une CGT « enlisée dans les sables gouvernementaux ». Il aspire à regrouper tous les syndicalistes révolutionnaires qu’ils soient socialistes ou anarchistes.

 

 

                    CGTU : naissance et implantation de la Confédération générale du travail unitaire (1918-1927) - Jean Charles

 

 

Influence de la révolution russe

 

Le congrès de 1919 permet à la direction de la CGT d’étouffer la montée des minoritaires en reprenant leurs thèmes. La motion votée à l’unanimité épouse le souffle révolutionnaire de la Russie des soviets. Ce qui permet d’effacer les clivages liés à la guerre et à l’Union sacrée. Néanmoins, malgré les grandes déclarations sur la lutte des classes, la direction de la CGT continue de collaborer avec l’État. L’espoir d’un compromis s’éloigne et la minorité s’organise.

L’échec de la grève des cheminots de 1920 creuse l’opposition entre la majorité et la minorité de la CGT. Selon la thèse controversée d’Annie Kriegel, c’est l’ensemble du syndicalisme révolutionnaire qui semble marqué par cette défaite. Face à la débâcle de la grève et de la lutte des classes, l’espérance provient désormais de la révolution bolchévique. La répression, avec des agents révoqués ou licenciés, affaiblit fortement la fédération des cheminots. Au contraire, Pierre Monatte considère que les syndicalistes révolutionnaires ne sont pas responsables de cette défaite. C’est bien la direction de la CGT qui a mis un terme à la grève après la signature d’un accord considéré comme une victoire. C’est donc la direction réformiste qui demeure responsable de cette impuissance face à la répression.

 

Les syndicalistes révolutionnaires considèrent que la direction de la CGT a pris le contrôle de la grève. Ce ne sont donc pas les méthodes de lutte du syndicalisme révolutionnaire qui doivent être mises en question. Néanmoins, la défaite des cheminots contribue à affaiblir l’ensemble de la classe ouvrière. Les possibilités d’action offensive, et les perspectives de révolution, semblent s’éloigner. De plus, les syndicalistes révolutionnaires sont particulièrement visés par la répression. La minorité se trouve privée de ses militants les plus expérimentés.

L’adhésion à la IIIe Internationale provoque des débats. Les syndicalistes révolutionnaires restent attachés à l’autonomie ouvrière. L’organisation de classe ne doit pas être subordonnée à un parti politique perçu comme un groupuscule idéologique. Cependant, le léninisme affirme le refus de la séparation entre le social et le politique pour ouvrir une perspective révolutionnaire. Cet argument semble séduire les syndicalistes révolutionnaires qui rallient l’Internationale. Marie Guillot lance les Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR). Cette organisation doit coordonner les militants de la CGT qui veulent diffuser des idées révolutionnaires au sein du syndicat.

 

 

            

 

 

Syndicalistes révolutionnaires

 

Les minoritaires restent divisés sur la démarche à adopter. Les anarcho-syndicalistes et les communistes veulent quitter la CGT pour construire une nouvelle organisation débarrassée de la bureaucratie syndicale. Au contraire, Pierre Monatte estime que le courant syndicaliste révolutionnaire peut devenir majoritaire au sein de la CGT. Beaucoup de syndicalistes de base restent éloignés des batailles de congrès et veulent rester dans l’organisation la plus implantée. Précipiter la scission risque alors de conduire vers la marginalité.

La nouvelle CGTU reste influencée par les courants libertaires et syndicalistes révolutionnaires. Cette organisation ouvrière n’est pas encore sous tutelle stalinienne. La CGTU refuse les consignes de Moscou qui préconise un front unique. Cette tactique échoue brutalement au moment de la grève des cheminots. Les syndicalistes révolutionnaires ne veulent pas subir les manœuvres des réformistes qui dirigent la CGT.

 

Ensuite, les anarchistes permettent à la CGTU de dénoncer la répression des luttes ouvrières en URSS. Surtout, la CGTU reste composée de « syndicalistes purs » qui se tiennent à distance des partis politiques. La CGTU se démarque d’un pouvoir d’État qui repose sur la violence et l’arbitraire. « Le prolétariat lutte pour la suppression du patronat matérialisé par le capital et exprimé par l’État quels que soient la forme et le caractère de ceux-ci », précise la CGTU.

Néanmoins, l’offensive du mouvement ouvrier connaît un reflux. La révolution russe s’enlise et se bureaucratise. L’Internationale syndicale rouge (ISR) se limite à Moscou et à quelques groupuscules. Le pouvoir russe considère alors la prise de la CGTU comme un enjeu majeur. Une campagne est menée pour s’opposer au syndicalisme révolutionnaire et à l’influence libertaire au sein de la CGTU. Les journaux de L’Humanité et de La Vie ouvrière passent sous contrôle stalinien pour mener cette campagne politique.

 

              

 

Anarchistes et communistes

 

Les clivages au sein de la CGTU finissent par éclater. Les méthodes anarchistes sont vivement critiquées. Le « Pacte » constitue un comité secret et centralisé qui regroupe les anarchistes de la CGTU. Cette structure semble s’opposer aux pratiques d’auto-organisation et d’autonomie ouvrière que prétendent incarner les anarchistes. Ensuite, le syndicalisme pur est également critiqué. Les libertaires insistent sur le rôle central de la lutte économique et ainsi du syndicat.

Les communistes répliquent que la lutte ouvrière ne doit pas se réduire au terrain économique car les problèmes politiques et sociaux restent imbriqués. Ensuite, la révolution russe dévoile la puissance de « forces extérieures » qui peuvent entraîner le prolétariat. La lutte contre le capitalisme et l’État bourgeois doit regrouper les syndicats mais aussi les partis et les sectes, même si chaque structure garde son autonomie.

Un groupe « centriste », incarné par Marie Guillot, rejette le communisme sans adhérer à l’anarcho-syndicalisme. Si des alliances peuvent se nouer dans l’immédiat et pour la période révolutionnaire, les buts finaux entre syndicalisme et communisme demeurent divergents. La suppression de l’État demeure l’objectif du syndicalisme. Il faut donc s’opposer à la prétention du parti à subordonner ou à orienter le mouvement.

 

Au contraire, les communistes insistent sur le rôle propre et irremplaçable de leur organisation. Mais les communistes français ne peuvent pas adopter la posture intransigeante dictée par l’Internationale. Ils arguent que le parti peut se tourner vers des catégories de la population en dehors de la classe ouvrière, comme les paysans ou les techniciens. Ces groupes sociaux apparaissent pourtant comme les couches les plus « arriérées » selon Lénine.

Les anarcho-syndicalistes considèrent la disparition de l’État comme un des objectifs fondamentaux du syndicalisme. Ils critiquent toute forme d’État qui comporte un pouvoir coercitif, même l’État prolétarien de la Russie soviétique. Les syndicats restent les seuls capables de riposter face aux contre-offensives de la bourgeoisie. La CGTU insiste sur « le pouvoir des organisations productrices, la suppression de l’État, le triomphe du prolétariat assuré par les prolétaires eux-mêmes ».

 

              

 

Tutelle stalinienne

 

En Russie, la révolution « anti-étatique et anti-politicienne » a dérivé. Les soviets sont remplacés par le Kremlin. La révolution finit par secréter un appareil gouvernemental. Elle est captée et détournée de ses fins par le Parti communiste. La dictature du prolétariat est remplacée par la dictature sur le prolétariat. Néanmoins, les anarcho-syndicalistes considèrent également que c’est la CGTU qui doit administrer la société. Pourtant, ce squelettique réseau syndical ne semble pas capable de gérer le pays. Le gouvernement d’État remplacé par l’administration des choses, grande idée commune des anarchistes et des communistes, apparaît comme une illusion après la débâcle de la révolution russe.

Les communistes rappellent le traumatisme de la Commune de Paris avec sa répression sanglante. Ce qui leur permet d’affirmer la nécessité d’un État coercitif pour riposter face à la bourgeoisie. Cependant, l’Internationale syndicale rouge (ISR) s’effondre. Deux puissantes organisations anarcho-syndicalistes, l’Union syndicale italienne et la CNT espagnole, quittent l’ISR et lancent une conférence à Berlin. Mais cette tentative de créer un internationale syndicale libertaire échoue.

 

Cet échec des anarchistes renforce les partisans de l’adhésion à l’ISR au sein de la CGTU. Le débat tourne en leur faveur. Le bloc libertaire se disloque. Seuls les anarchistes s’opposent à rejoindre l’ISR. En revanche, les syndicalistes purs veulent rejoindre cette Internationale. Néanmoins, ils restent attachés à l’autonomie de la CGTU à l’égard de Moscou. Marie Guillot préconise également d’entrer dans l’ISR. Mais elle refuse les liens entre Parti et syndicat.

Les communistes finissent par remporter le débat. Les anarcho-syndicalistes se noient dans des théories abstraites sur la révolution syndicaliste à venir. Au contraire, les communistes peuvent s’appuyer sur un exemple concret. La révolution russe conserve encore son prestige malgré ses imperfections et sa dérive. Elle apparaît comme un bloc et comme une victoire du prolétariat. Les communistes parviennent ainsi à prendre le contrôle de la CGTU. Ce syndicat devient un appareil centralisé et contrôlé par des permanents disciplinés.

 

 

 

 

Syndicalisme et révolution

 

Les recherches de Jean Charles permettent de découvrir l’histoire méconnue de la CGTU. Ce syndicat reste traversé par de nombreux débats. Si Jean Charles reconstitue le contexte historique marqué par la révolution, ces débats sur le syndicalisme restent actuels. Face à la faillite des partis et au naufrage parlementariste de la gauche, le syndicalisme demeure la principale force de mobilisation sociale. Les débats qui traversent les organisations de salariés présentent donc des enjeux décisifs.

Jean Charles demeure un militant communiste, mais ses recherches restent honnêtes et éclairantes. Son livre permet de décrire les débats complexes et les jeux de tendance multiples qui secouent la CGTU. Jean Charles tente de comprendre et de justifier l’adhésion à l’ISR et le ralliement à Moscou. La révolution russe ouvre un espoir mais s’enlise dans la centralisation et la répression. Cependant, l’ISR demeure le seul regroupement international de forces syndicales après la faillite de la réunion des anarcho-syndicalistes à Berlin.

Néanmoins, le ralliement de la CGTU au stalinisme amorce son déclin. Le syndicat se réduit à une simple courroie de transmission du Parti communiste. La stratégie de la CGTU est imposée depuis Moscou et non pas débattue par les syndicalistes eux-mêmes. Le stalinisme français repose également sur les purges et le contrôle des luttes pour limiter les débordements et les potentialités révolutionnaires.

 

Jean Charles souligne les limites de l’anarcho-syndicalisme. Certes, ce courant pointe la dérive sanguinaire du régime russe. Les libertaires et les « purs » restent également attachés à l’autonomie ouvrière. Ce sont les travailleurs qui doivent décider pour eux-mêmes, contrôler depuis la base les syndicats et les luttes. Néanmoins, les anarcho-syndicalistes et les communistes se rejoignent quand ils prétendent que leur secte idéologique doit prendre le contrôle de la production et de l'ensemble de la société. Les anarchistes fétichisent leur syndicat comme les communistes font allégeance à leur parti. Leur stratégie ne tient pas compte des dynamiques de lutte mais veulent simplement prendre le pouvoir avec leur parti ou leur syndicat.

Si les débats idéologiques peuvent permettre d’éclairer une situation, il semble plus pertinent de s’appuyer sur les pratiques de lutte. Ce sont les grèves et les insurrections qui ouvrent des perspectives révolutionnaires, et non les partis et les syndicats. C’est donc uniquement à partir des luttes, à travers des discussions dans des assemblées ouvertes, que doivent se prendre les décisions sur les actions à organiser et les stratégies à élaborer.

 

Source : Jean Charles, Naissance et implantation de la Confédération générale du travail unitaire (1918-1927), Presses universitaires de Franche-Comté, 2023

Extraits publiés sur OpenEdition

 

Articles liés :

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Les révolutionnaires des années 1930

Syndicalisme et bureaucratisation des luttes

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : Syndicalisme révolutionnaire et CGTU: autour de la thèse de Jean Charles, diffusée le site de la Fondation Gabriel Péri le 26 janvier 2024

Vidéo : Séminaire "Histoire de la CGTU", diffusé par l'Institut CGT d'histoire sociale le 8 juin 2021

Vidéo : Loic Le Bars, Histoire de la CGTU. La question des oppositions au sein de la CGTU (1921-1936), diffusée sur le site de l'Institut CGT d'histoire sociale le 8 juin 2021

Sylvain Boulouque, Communisme syndical, publié sur le site de L'Ours le 21 décembre 2023

Paul Boulland, Notes de lecture de la revue Le Mouvement social publiées le 2 mars 2024

Christophe Patillon, Naissance de la CGTU, publiée dans Le Club de Mediapart le 22 février 2024

Guillaume Davranche (AL Montreuil), 1922 : Les « anarcho-syndicalistes » perdent la CGTU, publié dans le journal Alternative libertaire N°219 (été 2012)

Jacky Toublet, Le cheminement vers la scission de la CGT, publié sur le site "Nouveau millénaire, Défis libertaires"

La Confédération Générale du Travail sur le site Matérialisme Dialectique

Morgan Poggioli, L’expérience CGTU (1922-1936), publié sur le site de la Fondation Gabriel Péri

Romain Ducoulombier, La CGTU, cette inconnue, publié sur le site Fragments sur les Temps Présents le 8 novembre 2013

Publié dans #Histoire des luttes

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