Le mythe de Robin des Bois
Publié le 1 Janvier 2025
La légende de Robin des Bois, hors-la-loi au grand cœur, traverse les époques. Ce mythe n’est pas figé dans le passé mais prend des directions différentes selon le contexte historique. Textes littéraires, archives et récits audiovisuels façonnent cette figure emblématique. Les interprétations que les classes populaires ont faites de Robin des Bois semblent également décisives. Il incarne un idéal de justice et de résistance qui irrigue les représentations collectives et les luttes sociales.
La popularité de Robin des Bois, comme celle du mythe arthurien, découle de l’influence de la culture de masse américaine avec le succès de longs-métrages comme Les aventures de Robin des Bois sorti en 1938. Éric Hobsbawm évoque cette figure du banditisme social à travers les sources historiques. Mais il semble également important de se pencher sur les représentations et leurs évolutions. Les aventures du hors-la-loi peuvent évoquer les luttes des opprimés mais aussi la nostalgie réactionnaire pour le passé. William Blanc, Justine Breton et Jonathan Fruoco explorent cette figure légendaire dans le livre Robin des Bois. De Sherwood à Hollywood.
Origines historiques
Robin apparaît dans une tradition orale et populaire, probablement dans le nord de l’Angleterre. En 1377, Robin semble déjà ancré dans le patrimoine culturel anglais. Le récit devient rédigé avec Une geste de Robin des Bois. Le personnage de Petit Jean semble inspiré du prédicateur John Ball, figure emblématique d’une révolte de paysans contre les injustices féodales et fiscales en 1381. « John Ball, un prédicateur radical, y joue un rôle central en prêchant la justice sociale et en prônant la vision d’une société où les hommes seraient égaux », précisent William Blanc, Justine Breton et Jonathan Fruoco. Les récits de valeureux hors-la-loi en lutte contre le pouvoir féodal se multiplient sur ce terreau social.
Robin des Bois vole aux riches pour donner aux pauvres. Il incarne une opposition entre les possédants détenteurs de richesses et les pauvres spoliés. Il semble s’inscrire dans la définition marxiste de la lutte des classes avec un programme politique de redistribution des richesses. Néanmoins, Robin ne semble pas issu du peuple ou de la paysannerie. Il incarne la classe intermédiaire des yeomen. Ce groupe social regroupe des paysans qui cultivent leurs propres terres. Les yeomen deviennent même une classe militaire au cours du XIVe siècle. Ils utilisent l’arc, moins onéreux que les armes des chevaliers, mais jouent un rôle décisif au cours de victoires contre la France durant la guerre de Cent ans. Ce groupe social intermédiaire n’hésite pas à prendre les armes pour se faire respecter au cours de diverses révoltes.
Robin des Bois et les Joyeux Compagnons vivent en dehors des normes sociales et rejettent la société féodale. La forêt devient leur royaume dans lequel ils instaurent une société égalitaire qui tranche avec les hiérarchies imposées dans le monde féodal. Cependant, la dimension sociale et politique de Robin des Bois s’atténue dans d’autres récits. Ce personnage est ensuite décrit comme un aristocrate endetté qui doit se réfugier dans la forêt. Il ne s’attaque plus à l’ordre féodal, mais uniquement au Prince Jean et au shérif de Nottingham qui taxe les paysans de manière excessive. Ce Robin hors-la-loi devient politiquement acceptable car il reste issu des hautes sphères de la hiérarchie sociale anglaise. Cette lecture perdure encore jusqu’à nos jours.
Robin en Amérique
La légende de Robin des Bois traverse l'Atlantique et se diffuse largement à travers la culture populaire américaine. Un discours romantique valorise Robin et la vie dans la forêt. L’Amérique des grands espaces semble préférable à une Angleterre industrialisée. Le Moyen-Âge idéalisé du médiévalisme exprime un dégoût de l’industrialisme de la bonne société anglaise du XIXe siècle. Ce thème est repris par les auteurs de fantasy comme William Morris ou J.R.R. Tolkien. L’existence libre et chevaleresque devient idéalisée. Henry David Thoreau évoque Robin et les balades dans la forêt verdoyante. La nature s’oppose à la laideur de l’urbanisme capitaliste.
La légende de Jesse James est comparée à celle de Robin des Bois. Néanmoins, cette bande de l’Ouest américain regroupe des ex-confédérés qui attaquent les banques des bourgeois nordistes. La bande de Jesse James s’apparente aux milices racistes et réactionnaires comme le Klu Klux Klan. Le capitalisme est alors réduit au Parti républicain qui milite pour l’abolition de l’esclavage. Une tradition politique très vivace en Amérique associe également Robin des Bois à l’opposition au trop-plein d’État et de taxes.
Joaquin Murrieta, bandit mexicain de Californie, est également comparé à Robin des Bois. La figure de Pancho Villa, un bandit qui participe à la révolution mexicaine, évoque également le hors-la-loi de Sherwood. Entre 1890 et 1920, des Mexicains s’installent en Californie et travaillent comme ouvriers agricoles. Ils subissent le racisme, mais aussi le chômage et la précarité. Dans ce contexte, invoquer Joaquin Murrieta permet aux latinos pauvres de réclamer plus de justice sociale.
Le personnage de Zorro apparaît comme une dérive droitière de Joaquin Murietta. C’est un noble, et non un travailleur pauvre, comme si seuls les aristocrates pouvaient protéger les défavorisés. Ensuite, Zorro ne combat pas le racisme mais l’autoritarisme du Mexique qui s’oppose à la démocratie américaine. La tyrannie vient de l’extérieur, du monde latin et espagnol coincé dans le Moyen-Age et l’Ancien Régime.
Robin au cinéma
C’est surtout le cinéma qui popularise la figure de Robin des Bois. Dans le film de Douglas Fairbanks de 1922, Robin symbolise l’homme américain moderne. Après la Grande Guerre, la technoscience apparaît comme une industrie de mort capable de faire des millions de victimes. Le public exige un dépaysement et un retour à une enfance joyeuse et insouciante. Le Moyen-Age est idéalisé comme la période avant la catastrophe moderne. Douglas Fairbanks incarne un Robin jeune et athlétique. Ensuite, les châteaux médiévalistes du cinéma font davantage rêver que les ruines historiques de la Vieille Europe. Robin abandonne la lourde armure des chevaliers des chevaliers européens pour incarner une Amérique légère et virevoltante qui donne le tempo culturel du globe.
Néanmoins, cette version de 1922 est rapidement ringardisée par Les Aventures de Robin des Bois de 1938 avec Errol Flynn. Ce Robin est à nouveau virevoltant mais en version parlante et colorisée. Surtout, il ajoute un fort contenu politique dans un contexte de crise économique et de montée du fascisme. Le film est produit par Jack Warner qui, bien que républicain, reste un partisan du New Deal de Roosevelt. Les bandits ne sont pas présentés comme des brutes, mais comme des individus poussés au crime par la pauvreté. Ensuite, l’opposition entre Normands et Saxons apparaît comme un conflit entre le peuple opprimé et son aristocratie.
Face à la menace du racisme de l’autoritarisme, le film met en scène le triomphe de la démocratie parlementaire libérale dans plusieurs scènes emblématiques. La défaite du Prince Jean est provoquée par la prise de sa forteresse par le peuple en armes. Cette scène évoque la chute de l’Ancien Régime, voire la prise de la Bastille. Ensuite, le roi Richard Cœur de Lion s’apparente à un souverain juste et généreux à l’image du président Roosevelt. « De plus, je bannis de mon Royaume toutes les injustices et les oppressions dont a souffert mon peuple et je veux que sous mon règne Normands et Saxons aient des droits égaux », lance le roi Richard. Ce programme s’apparente à celui du New Deal.
Cette vision progressiste diffusée par le film de 1938 se propage largement, y compris dans les comics de super-héros avec Robin le compagnon de Batman ou le personnage de Green Arrow. Cependant, durant la guerre froide, l’anticommunisme se propage et la figure de Robin des Bois devient négative et semble disparaître. En 1952, dans le film de Disney, Robin des Bois se contente de lutter contre de nouvelles taxes. Ce qui reprend l’idéologie libérale contre les impôts et l’État-providence.
Représentations collectives
Ce livre collectif permet d’explorer la diversité des lectures du mythe de Robin des Bois. Les historiens proposent un éclairage singulier sur cette figure ancrée dans l’imaginaire dès le plus jeune âge. Jonathan Fruoco s’appuie sur ses solides recherches historiques à partir des textes qui retracent la légende de Robin des Bois. William Blanc creuse le sillon d’une analyse des imaginaires de la culture populaire au prisme du médiévalisme. Justine Breton propose des réflexions originales autour de la littérature jeunesse ou de la question du genre à travers l’évolution du personnage de Marianne.
Les historiens reviennent sur l’ambivalence du personnage. Le débat entre Ted Cruz et Bernie Sanders en 2015 illustre ce clivage. Pour le sénateur de gauche, Robin des Bois incarne la lutte contre les inégalités car il vole aux riches pour donner aux pauvres. En revanche, le politicien conservateur réduit Robin à son opposition aux taxes. Les interprétations dominantes du personnage varient selon le contexte historique. Depuis la crise de 2008, le Robin justicier qui lutte avec les pauvres contre les riches semble prédominer.
Le rapport à la légalité et au régime féodal semble également évoluer. Robin est avant tout un un yeomen qui rejoint une bande de hors-la-loi. Il combat les injustices sociales et l’oppression du régime féodal. Mais Robin devient ensuite un noble déclassé qui se contente de protester contre un souverain usurpateur et cruel pour rendre le pouvoir au bon roi Richard. Les hors-la-loi doivent alors faire allégeance au nouveau dirigeant. Le bandit rejoint alors la légalité politique et se contente de défendre un tyran contre un autre.
Mais il est possible de ressourcer Robin dans ses origines du banditisme social. Les prolétaires n’ont rien à attendre des dirigeants politiques ni du respect de leurs lois. Ils doivent s’organiser comme la bande de Sherwood pour redistribuer les richesses par l’action directe et l’expropriation. Cette représentation libertaire reste marginale et effacée de la pop culture.
Même si des banderoles du cortège de tête rappellent ses origines du banditisme social. Néanmoins, cette lecture historique reste affadie par la littérature pour enfants puis par la démocratie libérale qui font rentrer Robin dans le rang de la social-démocratie voire de la rébellion réactionnaire et antifiscale. Cependant, les mouvements sociaux peuvent s’emparer de cette figure devenue consensuelle pour lui redonner le tranchant de l’illégalisme et de la révolte sociale.
Source : William Blanc, Justine Breton, Jonathan Fruoco, Robin des Bois. De Sherwood à Hollywood, Libertalia, 2024
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