La lutte du Comité des mal-logés

Publié le 14 Novembre 2024

La lutte du Comité des mal-logés
La crise du logement n'est pas un phénomène nouveau. Dès la fin des années 1990, une lutte des mal-logés se développement. Mais ce mouvement subit la récupération de la gauche morale et paternaliste alors dans l'opposition municipale. Cependant, ce sont bien des pratiques d'auto-organisation et d'action directe qui permettent la victoire des mal-logés. 

 

 

La crise économique et l’embourgeoisement des centres-villes débouchent sur de nombreux problèmes de logement. Les prix des loyers ne cessent d’augmenter et il devient toujours plus difficile de se loger dignement. Mais ce problème n’est pas nouveau. Un Comité des mal-logés (CML) émerge à Paris à la fin des années 1980.

Pendant l’hiver 1986-1987, plusieurs incendies éclatent dans le 20e arrondissement à Paris. Ces zones en rénovation connaissent une forte augmentation du prix du terrain. L’incendie permet de faire fuir les habitants qui ne peuvent pas accéder à un autre logement. Les spéculateurs peuvent ensuite revendre l’emplacement du terrain occupé par les anciens habitants à d’autres promoteurs. En novembre 1987 un bâtiment vide est ouvert au 67 rue des Vignolles face à une situation d’urgence. Le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme, issu du courant autonome et de sa tendance maoïste, retrace cette lutte dans la brochure L’expérience du C.M.L.  

 

 

 

               

 

 

 

Lutte pour le logement

 

L’incendie provoque l’indignation des militants de la gauche associative. Pourtant, ces organisations ne soutiennent pas une occupation illégale considérée comme une aventure dangereuse. La gauche se contente de dénoncer un incendie criminel qui serait l’œuvre de la droite raciste. Mais la situation du mal-logement et de la spéculation immobilière n’est pas évoquée. Par ailleurs, l’antiracisme des réseaux du Parti socialiste (PS) n’empêche pas un mépris paternaliste à l’égard des mal-logés. Les réformistes se refusent à remettre en cause l’exploitation capitaliste. « Le P.S., mais aussi toutes les forces de "Gauche" n’ont aucune proposition de réforme susceptible de ménager à la fois le maintien du niveau de vie des travailleurs et une économie capitaliste, qui n’a d’autre choix pour se maintenir que d’exploiter toujours davantage », analyse le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme.

La gauche n’a aucune réforme à proposer pour améliorer la situation des prolétaires tout en restant dans le cadre du capitalisme. Engager la lutte sur le logement permet d’attaquer le système capitaliste dans son ensemble. Revendiquer des logements HLM suffit à faire passer le Comité des mal-logés pour de dangereux jusqu'au boutistes qui veulent déstabiliser l’État. Les organisations réformistes s’appuient sur la forte mobilisation locale pour l’orienter vers des impasses inter-classistes et électoralistes. Le Comité de soutien aux sinistrés monopolise la parole face aux médias et dépossèdent de leur lutte les premiers concernés. Surtout, il refuse de relier la situation des sinistrés à celle des autres mal-logés.

Les familles s’installent au 67 et organisent leur vie quotidienne au cœur de l’hiver. L’association « Un logement d’abord » regroupe des composantes citoyennistes qui se focalisent sur une approche juridique. « Dans cette association c’est un point de vue défendant les intérêts de la petite bourgeoisie et des classes moyennes contre la spéculation qui l’a emporté, en se servant des prolétaires comme masse de manœuvre, développant l’assistanat et le clientélisme pour bloquer des perspectives d’élargissement », observe le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme. Le 67 attire également le milieu squat. Pourtant, cette mouvance n’exprime aucune combativité. Les squatteurs veulent juste gérer la vie des familles et délèguent la lutte aux partis réformistes. De plus, ils méprisent les prolétaires qui doivent travailler pour survivre. Mais l’association et le milieu squat vont progressivement quitter le 67.

 

 

                      

 

 

Comités des mal-logés

 

Dans ce contexte, un groupe de militants décide de lutter contre le racisme et le problème du logement comme conséquence de l’exploitation capitaliste. Le Comité des mal-logés réquisitionne deux logements HLM  en avril 1987. Des actions communes avec des immeubles menacés d’expulsion s’organisent. La permanence du CML au 67 rue des Vignoles s’implante dans le quartier. En juin 1987, la plupart des familles sont relogées. « Parce que laisser davantage traîner la situation, c’était aussi bien pour la "Gauche" que pour la Droite prendre le risque de voir le comité de soutien débordé par une lutte qui s’élargissait », souligne le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme. Les mal-logés et les immigrés peuvent se regrouper autour de leurs intérêts communs et sortir de l’isolement qui les expose à la répression. C’est une force collective qui se construit.

Les mal-logés sont des immigrés mais aussi des ouvriers particulièrement touchés par la crise. « C’est la conscience d’avoir un rôle actif dans la société qui a amené des travailleurs à se révolter contre les conditions de logement qu’ils subissent », observe le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme. En l’absence d’une dynamique de lutte, la misère débouche au contraire vers le fatalisme et la résignation. La révolte découle de la conscience de l’exploitation. « En opposant les intérêts de ceux qui produisent, à ceux de la bourgeoisie qui tirent profit du travail des premiers, un groupe de militants a défini les bases de l’unité et de l’élargissement », précise le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme. Le sort des travailleurs mais aussi des retraités et des chômeurs sont liés, et sont fixés par la bourgeoisie. Cette unité permet de créer un rapport de force pour remettre en cause la légitimité du fonctionnement capitaliste.

C’est le rapport de force qui permet d’éviter une intervention policière pour expulser les immeubles du  C.M.L. En mai 1990, place de la Réunion, une solidarité se crée pour soutenir les mal-logés. Des actifs et des chômeurs, des français et des immigrés, s’opposent aux expulsions. « Montrant ainsi que les divisions peuvent se dépasser, et donc que les moyens pour les prolétaires de lutter et d’obtenir des victoires existent », souligne le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme. L’occupation du square de la Réunion reste soudée dans la lutte. Néanmoins, des divergences ressurgissent. Le relogement des familles est porté par différents courants, de la gauche humanitaire aux squatters.

                                            

 

                                    

                              

 

 

Lutte offensive

 

Le discours sur le logement doit éviter certains travers. L’opposition entre propriétaires et locataires est favorisée par la bourgeoisie. Pourtant, il faut subir l’exploitation et faire des économies pour devenir propriétaire. Surtout, le titre de propriété reste fragile lorsque le logement n’est pas entièrement remboursé. La petite bourgeoisie dénonce surtout la spéculation immobilière. C’est ce groupe social qui est principalement chassé des centres-villes et qui veut entraîner les prolétaires dans son combat spécifique. La critique de l’exploitation et du prix du loyer ne doit donc pas se rabattre sur la dénonciation de la spéculation.

Le Comité des mal-logés décide de réquisitionner et d’occuper des HLM.vides. Cette pratique permet de satisfaire un besoin immédiat. « C’est donc l’occasion également de re-situer la lutte comme un affrontement direct et concret. De plus, en s’attaquant aux H.L.M., le C.M.L. met le doigt sur la responsabilité de l’Etat quant aux conditions de logement », souligne le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme. Cette pratique permet de prendre l’initiative en occupant des logements vivables, et non des taudis à aménager. Des bas loyers sont envoyés aux offices HLM, puisque le rapport de force ne permet pas de remettre en cause la propriété.

Le gouvernement de gauche ne peut pas se permettre une répression policière brutale contre une lutte particulièrement soutenue par la population. Le pouvoir va donc tenter d’accentuer les contradictions du mouvement. La médiatisation du CML insiste sur la dénonciation de la mairie de droite et de la spéculation, avec une approche humanitaire. Une minorité de membres du CML organisent des campements et des grèves de la faim. Le gouvernement propose des réponses individuelles et clientélistes qui renforcent cette démarche. Les coups d’éclat médiatiques priment sur la construction d’une structure de lutte stable et organisée. Après cette division du mouvement, le gouvernement peut facilement réprimer cette lutte.

 

 

   

 

 

Contradictions du mouvement

 

Le gouvernement décide d’expulser tous les logements occupés par le CML. Mais les mal-logés se regroupent place de la Réunion avec des squatters et des habitants solidaires. « Individuellement, ces gens militants ou adhérents se sentirent concernés par la situation globale du logement des travailleurs en Région Parisienne illustrée très concrètement sur cette place occupée », décrit le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme. Pendant deux semaines se construit une solidarité dans la lutte. Néanmoins, la pratique de la réquisition et surtout l’autonomie du mouvement dérange les partis et associations de gauche. « Le plus important à détruire pour la bourgeoisie, c’est l’idée que les travailleurs puissent s’unir, s’organiser eux-mêmes, défendant leurs propres intérêts », précise le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme.

Le PCF, Emmaüs, la LDH, la LCR, la CFDT lancent un campement devant la mairie du 19e arrondissement pour prendre la direction de la lutte. Ils veulent destructurer le Comité des mal-logés. Surtout, ils se font complices du gouvernement et de sa politique sur le logement. Ils refusent de remettre en cause la logique capitaliste. La manifestation du 16 juin 1990 comprend même le Parti socialiste, le parti des expulseurs. Le discours ne parle plus de travailleurs en  lutte mais uniquement de pauvres familles à la rue. « Cette structure se situe bien en dehors de celle mise en place par les membres du C.M.L., où les principes de l’autonomie de la lutte étaient défendus par beaucoup », souligne le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme.

Cette récupération politicienne vise à désamorcer la lutte pour le logement et contre le capitalisme. Durant l’hiver 1953-1954, l’Abbé Pierre récupère la lutte des mal-logés pour lui donner un discours misérabiliste. La révolte se transforme en compassion et en « insurrection de la bonté » sans remise en cause de la logique capitaliste. « L’hiver était rude, l’Abbé veillait, et le problème du nécessaire logement des travailleurs ne se posait plus en termes de structures économiques à bouleverser. La petite bourgeoisie et les petits bourgeois n'avaient plus à craindre qu’une révolte des gueux ne leur hôte leurs privilèges », ironise le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme. En 1990, l’Abbé Pierre débarque sur le square de la Réunion pour prendre la direction politique et médiatique de la lutte des mal-logés. L’Abbé propose de squatter des bâtiments non habitables dans une logique banalement médiatique. Le CML préfère réquisitionner des logements décents qui sont dûs aux mal-logés.

 

 

     

 

 

Face à la gauche

 

Le PCF défend des revendications interclassistes comme « le droit de vivre à Paris ». Mais il se méfie de l’autonomie de la lutte des mal-logés. Les mairies communistes de la région parisienne sont particulièrement hostiles à ce type de lutte. Par exemple, le PCF dénonce l’occupation d’un HLM à Bagnolet car le CML serait uniquement un comité parisien. « Nous prétendons, nous, fidèles à une longue tradition de pensée et d’action du mouvement communiste que le combat des prolétaires contre leur exploitation ne connaît ni patrie, ni frontières, et encore moins de limites communales », raille le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme.

La CFDT attaque surtout la mairie de droite, mais se garde bien de mobiliser contre le gouvernement de gauche. La LDH se situe également dans l’orbite du PS, avec des pleurnicheries interclassistes. La LCR privilégie l’unité de la gauche plutôt que la lutte des mal-logés contre les expulseurs du PS. Ensuite, ces militants trotskistes conservent une vision avant-gardiste, avec une révolution qui doit être guidée par un Parti-État. Ils rejettent donc l’autonomie de la lutte et ne supportent pas de voir des ouvriers défendre eux-mêmes leurs propres intérêts.

 

Le DAL (Droit au logement) se forme après la lutte du CML. Cette association se présente comme un bureau d’aide sociale. Ce qui montre bien sa démarche paternaliste et infantilisante. Cette association dépossède les travailleurs de leurs possibilités d’organisation autonome. Le DAL préfère négocier avec des gestionnaires plutôt que de construire un rapport de force. Le DAL entretient la confusion en se faisant passer pour le CML et baigne dans des pratiques politiciennes. Une partie des familles du CML soutient le DAL, notamment celles qui ont obtenu un relogement avec la place de la Réunion.

Le Comité des mal-logés montre l’importance de la lutte collective pour faire face à la dégradation des conditions de vie. Le CML perdure après l’occupation de la place de la Réunion. Permanences, réunions et diffusion de tracts continuent. Le CML reste un comité de lutte par rapport à un problème précis. Il a permis le relogement de nombreuses familles. Mais le CML reste trop isolé pour ouvrir des perspectives révolutionnaires. Néanmoins, le CML montre l’importance de la lutte collective et de la construction d’un rapport de force.

 

   

 

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Bilan d’une expérience de lutte

 

Cette brochure du Groupe des Prolétaires Vers le Communisme reste un document précieux qui permet d’analyser une lutte locale, avec ses potentialités et ses contradictions. La question du logement reste toujours actuelle et il semble important de puiser dans les expériences passées pour développer des pratiques de lutte. La démarche du CML semble pertinente. C’est à partir d’une lutte concrète et des problèmes que subissent les exploités que peuvent se construire des mouvements de lutte.

Une partie de la mouvance autonome et du milieu squat se contente souvent de macérer dans le folklore et la posture gauchiste avec des actions purement symboliques sans prises avec le réel. Inversement, les réformistes participent à des luttes mais sans sortir du cadre juridique ou corporatiste. Le CML tente d’ouvrir la lutte à des pratiques et des discours de rupture avec le capitalisme. Ce qui permet d’ancrer la perspective révolutionnaire dans une pratique plutôt que dans un folklore hors sol.

La brochure permet de pointer les limites et les contradictions de la lutte sur le logement. Une petite bourgeoisie intellectuelle se contente de fustiger la spéculation immobilière, sans remettre en cause l’exploitation et la propriété. Cette mouvance réformiste porte un discours moraliste, sans tenter de créer de la solidarité de classe avec les mal-logés. Cette posture paternaliste débouche également vers des pratiques ouvertement autoritaires. La gauche cherche à contrôler et à encadrer les luttes. Cette mouvance s’oppose à l’auto-organisation des mal-logés. Elle préfère l’unité des partis de gauche plutôt que la construction d’un mouvement autonome.

 

Toutefois, le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme ne précise pas certains aspects qui peuvent intéresser les collectifs de lutte. Ce groupe politique semble osciller entre la tradition de l’autonomie ouvrière et les relents d’un avant-gardisme post-maoïste mal digéré. Le rôle du groupe politique et celui des mal-logés semble peu clair. Il est difficile de savoir si les militants impulsent la lutte ou si les mal-logés se sont organisés de manière entièrement spontanée. Les relations entre les soutiens et les mal-logés sont peu clarifiées. Il faut donc se contenter du discours sur la solidarité de classe avec des militants qui proposent des initiatives, mais sans donner de directives avec un ton paternaliste. Pourtant, dans une période de résignation et de fatalisme, la mobilisation des mal-logés reste un aspect décisif.

La brochure est signée par le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme et non directement par le CML. Sans donner d’explication sur cette séparation. Pourquoi le CML ne peut pas rédiger sa propre brochure à partir de discussions sur le bilan de la lutte ? Cette démarche d’un texte d’analyse semble pertinente, mais la signature d’un groupe politique plutôt que celle du collectif directement impliqué dans la lutte peut interroger. Toutefois, le Groupe des Prolétaires Vers le Communisme permet de porter une perspective révolutionnaire au-delà de la lutte locale. C’est évidemment une révolte globale contre le capitalisme et la propriété qui peut permettre de résoudre sérieusement les problèmes de logement.

 

Source : Groupe des Prolétaires Vers le Communisme, L’expérience du C.M.L., juillet 1991

 

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Mal-logés : le mouvement à Paris (période automne 1986 – été 1990), diffusé par l'agence IMmedia en juin 1990

Vidéo : Michael Hoare, Place de la Réunion, documentaire de 1992

Une charte de comité des mal-logés, publié sur le site Nantes Indymedia le 28 février 2009

Cécile Pechu, Quand les «exclus» passent à l'action. La mobilisation des mal-logés, publié dans la revue Politix en 1996

Cécile Pechu, Les générations militantes à Droit au logement, publié dans la Revue française de science politique en 2001

Fanny Petit, Le DAL, syndicat des mal-logés, publié dans la revue Plein droit n°68 en 2006

Tonino Serafini, Place de la Réunion, premier campement, publié dans le journal Libération le 29 octobre 2010

Publié dans #Histoire des luttes

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