DOA et les thrillers politiques

Publié le 16 Mai 2024

DOA et les thrillers politiques
Les romans de DOA apparaissent comme des thrillers politiques efficaces. L'auteur explore la politique internationale et dévoile la face sombre des États. Son regard sombre et pessimiste sur le monde s'appuie sur une solide documentation. DOA s'immerge dans la violence des relations humaines et construit de véritables univers. 

 

 

Les romans de DOA proposent un regard critique sur l’actualité politique. Derrière ce pseudonyme se cache une trajectoire mystérieuse. DOA est issu d’un milieu aisé. Il devient militaire puis devient producteur de jeux vidéo. La plupart de ses romans s'amorcent par des projets de cinéma ou de télévision abandonnés. DOA décide alors d’aboutir ses récits sous forme de livres. L’obsession du détail, le goût de l’exploration et de l’envers du décor guident ses thrillers qui explorent la violence de la réalité politique.

Le 11 septembre 2001 et les attaques d’Al-Qaïda marquent un retour au réel. DOA abandonne la science fiction et le fantastique pour se pencher sur une actualité politique minutieusement documentée. Mais ses romans s’appuient avant tout sur la qualité de la narration. Les personnages sont crédibles et attachants. L’intrigue reste monumentale et intense. Il construit un monde semblable aux jeux vidéo dans lequel il est possible de se promener longtemps. La journaliste Élise Lépine explore cette littérature ancrée dans la réalité politique avec le livre d’entretien DOA, rétablir le chaos.

 

 

                  DOA, rétablir le chaos - 1

 

 

Construction d’un univers littéraire

 

DOA se lance dans la science-fiction avec Les Fous d’avril. Ce roman puise dans le cyberpunk qui explore les évolutions de la société. Le transhumanisme, la réalité augmentée, l’intelligence artificielle, les mastodontes de la tech et la privatisation des guerres sont évoqués dans cet univers. Même si le phénomène des réseaux sociaux n’est pas envisagé. Néanmoins, DOA s’éloigne de la SF et du fantastique pour se pencher sur le réel. Sa fiction s’ancre désormais dans l’histoire contemporaine et le passé proche.

DOA revient sur l’évolution de son écriture. Il abandonne la psychologie grossière qui passe par des questions. Il délaisse également le pathos. Il privilégie un style épuré et descriptif. La psychologie des personnages doit se déduire de leur comportement. « Où va le personnage ? Comment y va-t-il ? Qui l’accompagne ? Quelles sont ses relations ? Sur quel ton parle-t-il ? Quels mots emploie-t-il ? Que peut-on, à partir de son attitude, déduire de ses pensées, de son humeur ? Par cet ensemble de détails balancés au compte-goutte dans le texte, l’auteur peut dresser un portrait psychologique de son héros plus en subtilité », indique DOA.

 

Citoyens clandestins (2007) s’inscrit dans le contexte du 11 septembre 2001. L’effondrement du World Trade Center a traumatisé le monde occidental. La réplique américaine de l’invasion en Afghanistan est soutenue par tous les pays européens. La France envoie rapidement des forces spéciales sur place. L’intrigue du roman se centre sur le vol du neurotoxique VX. L’histoire n’est pas vraie, mais reste envisagée comme plausible durant cette période.

Le livre suit la trajectoire de Lynx, un exécuteur des basses œuvres. Les assassinats du tueur coïncident avec des faits divers réels, glanés dans la presse et non résolus. Cette intrigue croise une mission d’infiltration sur le territoire français. Le roman inclut également des journalistes qui font l’objet d’une intoxication de la part d’un service étranger, théoriquement allié de la France.

 

 

        Citoyens clandestins (Arte) - Que nous réserve cette série d'espionnage avec Raphaël Quenard

 

 

Réalisme politique

 

DOA se documente à travers la presse française et étrangère. Cependant, les journaux comportent de nombreux biais de ligne éditoriale, d’idéologie et de temps consacré au sujet. L’information doit également être recherchée dans les livres, essais, thèses, rapports, études, archives et autres documents. Néanmoins, la documentation sur les arcanes des services secrets reste publique et accessible. DOA ne livre aucune information « secret défense », mais uniquement des faits qui peuvent être connus après de solides recherches. L’écrivain fréquente des agents des services spéciaux davantage pour leur vécu, leur psychologie et leur approche personnelle face à une situation donnée.

DOA tient à conserver une distance et les événements qu’il décrit. Il refuse d’adopter le point de vue d’un camp ou d’une idéologie. Il préfère jeter un regard sombre et pessimiste sur le monde. « Mes livres sont le reflet de la grande violence du réel et de l’angoisse que celle-ci provoque chez moi », confie DOA. Il s’attache à décrire la complexité de la réalité sans jugement moral. Les personnages ne s’inscrivent pas dans un classement manichéen avec les bons et les méchants. « L’une des choses qui m’ennuient dans la façon dont le monde nous est présenté aujourd’hui, particulièrement en littérature, c’est la polarisation, il y a le noir, le blanc et rien entre les deux », précise DOA. Au contraire, il préfère se pencher sur la complexité des relations et des réactions humaines.

L'Honorable société (2011) est écrit avec Dominique Manotti qui propose également des romans très réalistes et documentés. « Je suppose que cela vient de sa formation d’historienne, de ses positions politiques et de ses activités de syndicalistes. Elle est ancrée dans le réel, très terre à terre », suggère DOA. Dominique Manotti reste liée au syndicalisme de lutte dans le sillage de la CFDT des années 1970. En revanche, les opinions politiques de DOA semblent plus conservatrices et pessimistes. Néanmoins, les deux auteurs parviennent à écrire une création commune. « Si l’on veut apprendre des choses, il faut aussi savoir aller vers des gens qui ne pensent pas comme soi, qui pensent même contre soi et éventuellement nous forcent à réfléchir autrement », souligne DOA.

 

 

Raphaël Quenard

 

 

Crime et politique

 

L'Honorable société n’est pas marquée à droite ou à gauche. Mais le roman critique certains travers de la police et de la politique. DOA refuse de s’inscrire dans le néo-polar de gauche avec ses présupposés idéologiques. Le roman noir reste souvent lié à la critique du capitalisme, mais peut parfois sombrer dans la caricature et manquer de nuance. « Être de gauche rend plus apte à critiquer le système, mais inapte à critiquer la gauche, qui fait partie du système », ironise Jean-Pierre Manchette. DOA assume venir d’un milieu bourgeois et n’en tire aucune culpabilité. Ce qui ne l’empêche pas d’éprouver des désaccords politiques et intellectuels avec son milieu d’origine. 

Rétiaire(s) (2023) se plonge dans l’univers du trafic de drogue. Le romancier refuse de porter un jugement moral sur le monde du crime organisé. « Le problème du trafic de drogue, ce n’est pas la drogue, mais le trafic. C’est-à-dire le commerce, la rentabilité de celui-ci, en un mot, l’argent », observe DOA. Le trafic, le crime, les meurtres et règlements de compte ont pour principale motivation l’argent. Les politiciens et la police se focalisent sur « la guerre contre la drogue », mais aucune enquête ne porte sur l’argent, la corruption et l’évasion fiscale. La répression policière permet d’éviter de chercher où circule l’argent.

 

Dans la série The Wire, le lieutenant Daniels doit arrêter son enquête sur le trafic de drogue qui lève le voile sur une partie des magouilles politiques de la ville de Baltimore. « La chose que tout le monde sait sans jamais le dire, tu vois, c’est que si tu suis la drogue, tu as une affaire de drogue. Si tu commences à suivre l’argent, tu ne sais pas où tu vas attérir », confie le personnage à sa femme.

Les personnages de Rétiaire(s) sont inspirés des frères Hornec, des Manouches sédentarisés à Montreuil. Cette fratrie règne sur le grand banditisme en région parisienne du début des années 1980 jusqu’à l’aube des années 2000. Ils parviennent à s’imposer car ils cherchent des complicités en dehors de leur communauté. Mais le roman se situe en 2020. Le clan doit évoluer et se moderniser. Il se dote des caractéristiques propres aux nouveaux groupes criminels comme celui des frères Bengler, également manouches, qui se sont imposés dans les quartiers Nord de Marseille.

 

Citoyens clandestins" : mini-série inédite diffusée sur ARTE jeudi 21 mars  2024

 

 

Réalisme et pessimisme

 

Ce livre d’entretiens avec Élise Lépine permet de lever le voile sur le mystère DOA. Au-delà de son pseudonyme, le romancier évoque l’univers des services secrets et des opérations clandestines. DOA s’appuie avant tout sur une solide documentation pour créer des thrillers politiques percutants. Ces romans sont souvent des sommes impressionnantes mais se lisent comme on regarde une série addictive. Le style rythmé et l’ambiance réaliste deviennent une véritable signature littéraire.

Les romans de DOA tranchent avec la tradition du néo-polar qui se veut plus militante et moraliste. Les récits de DOA se veulent avant tout réalistes. Il décrit des personnages, se plonge dans leurs actions et leur psychologie sans émettre un jugement moral surplombant. Le public peut s’identifier tour à tour à un tueur des services secrets, à des mercenaires ou à des terroristes. Le romancier s’attache à décrire une réalité sombre sans laisser transparaître son point de vue subjectif.

Les romans de DOA conservent l’ambiguïté politique des bons romans noirs. Son regard sombre et pessimiste sur la politique et la situation internationale peut s’apparenter à une critique virulente de l’ordre existant. Ses romans explorent la face sombre des États, avec tueurs et services parallèles. Les frontières ne sont pas étanches entre le monde du terrorisme et celui des services secrets. Le regard de DOA s’oppose ouvertement à l’idéologie néo-conservatrice qui vise à distinguer l’Occident comme incarnation du Bien face à un « Axe du Mal ». Ces romans dévoilent une réalité plus trouble et nuancée.

 

Néanmoins, DOA n’est pas pour autant un anarchiste qui appelle à la destruction des États. Il préfère dresser un constat plutôt que d’ouvrir des perspectives. Dans cet univers sombre, aucune lueur d’espoir ne transparaît. Certes, DOA tient à se démarquer du néo-polar gauchiste et manichéen en décalage avec l’univers sombre du monde criminel. Ce regard pessimiste se veut avant tout réaliste et documenté. Mais sans apporter de perspectives nouvelles.

DOA évoque également ses origines bourgeoises. Mais il ne voit pas que sa classe sociale limite sa curiosité intellectuelle. Certes, il explore les arcanes de la politique internationale. Mais les rapports de classe restent singulièrement absents de sa littérature. Contrairement à sa collègue Dominique Manotti, le monde du travail ne rentre pas dans ses nombreux centres d’intérêts. C’est pourtant la réalité quotidienne vécue par la majorité de la population. Le syndicalisme et la lutte des classes apparaissent comme l’angle mort du polar traditionnel. Mais DOA assume son regard pessimiste sur le monde et ses biais politiques.

 

 Source : Élise Lépine, DOA, rétablir le chaos, Playlist Society, 2023

 

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Pour aller plus loin :

Vidéo : DOA : l'art de raconter des histoires, diffusé par Les Artisans De La Fiction le 12 septembre 2023

Vidéo : DOA, écrivain : « La drogue supplante tous les autres phénomènes criminels », diffusée par Marianne TV le 26 mars 2023

Vidéo : DOA - Rétiaire(s), diffusé par la Librairie Mollat le 16 mai 2023

Radio : Coups de sang et coups de filet : rencontre avec DOA, diffusée sur France Culture le 7 janvier 2023

Radio : Quai du Polar avec Élise Lépine et Hervé Le Corre : "Le polar raconte le moment où quelque chose se détraque", diffusée sur France Inter le 6 avril 2024

Radio : DOA dans la Salle 101, diffusée le 28 août 2023

 

Manon Grimaud, L'art du polar selon DOA, publié sur le site du magazine Harper's BAZAAR le 11 février 2024

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Articles d'Élise Lépine publiés sur le site du magazine Le Point

Publié dans #Contre culture

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