La culture hip hop en France
Publié le 11 Mai 2023
Le rap s’impose comme un nouveau genre musical qui a transformé les industries culturelles, mais aussi la société française. La culture hip-hop comprend diverses pratiques culturelles comme la musique, la danse ou la peinture murale. La Zulu Nation d’Afrika Bambaataa devient rapidement un mouvement culturel international. Les musiques hip-hop comprennent évidemment le rap mais aussi le slam, le ragga et surtout le RnB.
Le rap français émerge dans les années 1980. Des DJs lancent des soirées dansantes informelles sur des terrains vagues investis par des graffeurs. Des émissions spécialisées se développent dans les radios locales associatives. En 1990, le rap est associé aux émeutes dans les régions lyonnaise et parisienne. Les artistes sont alors invités à s’exprimer sur la question de « la banlieue ».
Les années 1990 permettent également une commercialisation du rap. Les radios dominantes comme NRJ ou Skyrock privilégient un rap festif et dansant plutôt que les musiques qui abordent directement des problèmes sociaux. Le rap se rapproche de la RnB avec un rythme plus dansant et des voix féminines. L’industrie musicale renforce la segmentation du marché. Le rap est perçu comme la musique des minorités raciales. Ensuite, un clivage de genre s’impose. Le rap est associé à la contestation, à l’anticonformisme et à la virilité. Le RnB renvoie à la séduction et à la féminité. Des universitaires se penchent sur ce mouvement culturel dans le livre collectif 40 ans de musiques hip-hop en France.
Pratique culturelle
Alice Aterianus-Owanga et Severin Guillard se penchent sur les espaces du hip hop. Le rap reste ancré dans les villes, notamment ses zones périphériques. Aux États-Unis, le hip hop apparaît comme la voix du ghetto et des minorités urbaines. Cependant, le rap ne provient pas uniquement de la population afro-américaine. Lorsqu’il émerge à New-York, le hip hop se nourrit des échanges entre différentes populations, comme les immigrés hispaniques et de Caraïbe. Cette musique circule dans une diversité d’espaces, des clubs disco de Harlem à la scène pop de Manhattan.
En France, le rap émerge dans les années 1980 à Paris intra-muros à travers les labels, les boîtes de nuit, les radios, les espaces publics. Mais les émeutes urbaines des années 1990 associent le rap au « malaise des banlieues ». La politique de la ville s’appuie sur le rap et renforce cette association. En France, la musique hip-hop reste centralisée dans la région parisienne. La scène rap de Marseille parvient également à s’imposer. Cependant, peu d’artistes émergent encore dans d’autres villes de province.
Karim Hammou et Marie Sonnette-Manouguian se penchent sur la musique hip-hop dans les pratiques culturelles. Ce sont surtout les jeunes qui privilégient ce style musical. Les plus de 45 ans n’écoutent pas de hip hop. Le rap semble majoritairement masculin alors que le RnB reste écouté par les femmes davantage que par les hommes. L’écoute du hip hop reste majoritaire chez les ouvriers (56%), moins importante chez les employés, les cadres et marginale chez les agriculteurs.
Karim Hammou et Marie Sonnette-Manouguian reviennent sur la légitimité culturelle des musiques hip-hop. Si le genre semble désormais toucher diverses classes sociales, les artistes écoutés ne sont pas les mêmes selon les milieux sociaux. Dans les années 2000, Stéphanie Molinero montre que le public populaire s’attachent aux groupes et rappeurs comme Sniper, 113 ou Rohff. Ils préfèrent des artistes qui évoquent la réalité sociale avec des codes connus comme le refrain et les couplets. En revanche, les classes moyennes et supérieures se tournent vers Svinkels ou TTC. Ces productions se veulent originales et se réfèrent à des genres musicaux plus légitimes comme le jazz ou le rock.
Dans les années 2010, l’enquête de Julien Boyadjian sur les goûts culturels des étudiants observe également un clivage de classe. Les formations élitistes citent Lomepal et Orelsan, artistes issus de la petite bourgeoisie culturelle et reconnus par la presse généraliste. Les milieux populaires citent davantage Jul, Booba, Lacrim ou PNL qui sont issus des quartiers populaires.
Récupération et contestation
Karim Hammou et Marie Sonnette-Manouguian observent la socio-économie de la musique urbaine. L’industrie du disque est frappée par la crise dans les années 2000. Le numérique modifie les supports d’écoute, les modes de promotion et de consommation de la musique. YouTube s’impose comme un diffuseur essentiel de musique légale et gratuite. Le rap est particulièrement frappé par la crise. Les majors considèrent les artistes comme ingérables et leur public davantage tourné vers le piratage. La majorité des titres de presse musicale spécialisée dans le rap disparaissent. Mais le rôle prescripteur est joué par une nouvelle presse numérique qui remplace les fanzines des années 1990. Au début des années 2000, le rap français semble disparaître au profit du RnB et du hip-hop américain.
Dans les années 2000, les maisons de disques et les radios perdent leur monopole dans la diffusion de la musique. Les artistes se saisissent des réseaux sociaux pour se faire connaître. Des labels indépendants émergent comme Menace Records avec Alibi Montana et Tous Illicites de LIM. Un rap anticapitaliste et non marchand est incarné par Rapaces. Fianso incarne cette trajectoire d’entrepreneur. Il émerge avec le label indépendant Karismatik. Il s’appuie sur la popularité de son émission de freestyle « Rentre dans le cercle » diffusée sur YouTube. Il se trouve en position de force pour négocier avec les majors du disque. Affranchis Music, sa société de production, devient un label d’Universal. Il produit de nouveaux artistes comme Soolking.
Alice Aterianus-Owanga et Séverin Guillard se penchent sur les liens entre rap et mouvements sociaux. Dans les années 1990, le mouvement altermondialiste semble éloigné des préoccupations concrètes qui se manifestent dans les quartiers populaires. Cependant, le Mouvement Immigration Banlieue (MIB) se rapproche du label Assassin Productions qui incarne un rap militant. Madj, manager du label, participe aux rassemblements devant les prisons et les tribunaux. Il est également présent aux réunions publiques du MIB. Il organise surtout les concerts « Justice en Banlieue » en 1997 et 1998. Il produit également le disque "11’30 contre les lois racistes". Cette initiative attaque les lois Pasqua et Debré en 1997.
Le mouvement sénégalais Y'en a marre, qui s’oppose au président Abdoulaye Wade, émerge en 2012. Il est porté par des artistes de rap. Au Burkina Faso, le mouvement « Le Balai citoyen » est créé en 2013 par des rappeurs qui s'opposent au président Blaise Compaoré. En France, dans la filiation du MIB, le collectif Justice pour Adama s’appuie sur des concerts de rap pour se financer et pour populariser la lutte contre les violences policières.
Sociologie du rap
Ce livre collectif permet de se pencher sur les musiques hip hop du point de vue de la recherche en sciences sociales. Le rap apparaît comme une musique socialement identifiée. Elle se tourne surtout vers les hommes, jeunes, urbains et de milieu populaire. Le R&B devient à la mode avec les radios commerciales qui se tournent vers un public plus large et féminin. Le développement du streaming, pratique valorisée par la jeunesse, permet au rap français de se tourner vers un large public.
Les artistes de rap sont parmi les premiers à s’éloigner des gros labels pour se produire de manière indépendante. Ils s’appuient de manière pionnière sur le streaming et les réseaux sociaux pour s’adresser au public sans passer par l’industrie culturelle. Un rap moins puriste et plus dansant se développe. Ce qui permet de toucher un public plus large. Les thématiques festives, qui n’abordent pas la réalité sociale de manière frontale, permettent de s’adresser à une population au-delà de la jeunesse ouvrière.
Cependant, ce livre collectif nuance l’image du rap comme premier genre musical en France. Le hip-hop comprend des artistes très différents. Un chanteur comme Orelsan séduit davantage un public de cadres moyens et la presse culturelle de gauche. Un artiste comme Lacrim s’appuie sur un public moins embourgeoisé. C’est cette diversité sociale du rap qui semble faire sa force. Ensuite, cette musique apparaît comme la première au niveau du nombre d’écoutes en streaming. Mais c’est lié à son public jeune qui valorise cette pratique culturelle. Pour les plus de 45 ans, le rap est loin de s’imposer comme le principal genre musical.
Ce livre collectif aborde la dimension politique du rap de manière un peu décevante. La création de labels indépendants est évidemment évoquée. Mais les artistes qui privilégient cette démarche portent également un discours critique. Ils s’opposent au formatage imposé par l’industrie du disque et par les radios commerciales comme Skyrock. Ils dénoncent une musique qui propose des paroles insipides et des sonorités banales. Leur rap est plus brut et se confronte à la réalité sociale. Les thèmes comme la misère sociale, l’exploitation, les expulsions de logement ou les violences policières sont clairement abordés. Ce rap porte avant tout un point de vue de classe sur le monde. L’authenticité reste une critique majeure dans le rap. La société doit être regardée depuis la rue et ses galères.
Ce sont évidemment ces aspects qui font du rap une musique éminemment politique. En revanche, la participation directe aux mouvements sociaux apparaît comme un critère moins convainquant. La démarche politique de ces artistes ne peut pas se réduire à des concerts de soutien pour des causes militantes. C’est surtout le primat de l’authenticité de la rue sur les critères commerciaux qui fait du rap une musique politique. C’est à travers le vécu et les problèmes de la vie quotidienne que le rap s’empare de thèmes politiques. Le rap devient la musique majoritaire aussi en évoquant des problèmes qui frappent l’ensemble du prolétariat, qui reste la majorité de la population.
Source : Karim Hammou et Marie Sonnette-Manouguian (dir.), 40 ans de musiques hip-hop en France, Presses de Sciences Po, 2022
Extrait "Le rap entre médiatisation, politisation, judiciarisation et patrimonialisation" publié sur le site Les mots sont importants
Extrait "Rap et mouvements sociaux : socio-histoire d’une rencontre" publié sur le site Les mots sont importants
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Vidéo : "Émeute et rap", émission Tracks diffusée sur Arte
Radio : émissions avec Karim Hammou diffusées sur Radio France
Séléna Chauré, Compte-rendu publié sur le site Liens Socio le 2 janvier 2023
40 ans de musiques hip-hop en France, publié sur le site de l'Université d'Angers
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Jonas Bourion, Comment le rap s’est imposé dans les médias, publié sur le site de la RTBF le 27 janvier 2023
La COGIP, Attitude Rap : Dee Nasty, 93 NTM et consorts, publié dans le webzine L'influx le 11 novembre 2022
Marion Simon-Rainaud, Comment le rap s'est imposé sur la scène musicale française, publié sur le site du journal Les Échos le 3 août 2022
Samia Hanachi, Les médias invisibilisent-ils les rappeuses ?, publié dans le webzine Madmoizelle le 09 février 2023
Romain Maillot , [Critique] Karim Hammou, Une histoire du rap en France, publié sur le site Le Rap En France le 5 octobre 2022
Site de Karim Hammou Sur un son rap
JB et JB, Karim Hammou, chercheur en rap français, publié sur le site Abcdrduson le 6 novembre 2014
Articles de Karim Hammou publiés sur le site Les mots sont importants
Articles de Karim Hammou publiés sur le portail Cairn
Articles de Marie Sonnette publiés sur le site The Conversation
Articles de Marie Sonnette publiés sur le portail Cairn
Alice Aterianus-Owanga, Virginie Milliot, Camille Noûs, « Hip-hop monde(s) : approche anthropologique », publiée dans ethnographiques.org, Numéro 40 en 2020
Séverin Guillard et Marie Sonnette, « Légitimité et authenticité du hip-hop : rapports sociaux, espaces et temporalités de musiques en recomposition », publié dans la revue Volume ! n°17 en 2020