Face à la réforme des retraites : édito n°54
Publié le 9 Mars 2023
Il s'est voulu Jupiter, il a fini Neron. Macron fait songer à l'empereur qui a mis le feu à Rome juste pour contempler le spectacle. La réforme des retraites apparaît comme un puissant combustible. Les syndicats s'unissent derrière la revendication du refus du travail. Du moins après 64 ans. Mais il est évident que tout le monde travaille pour cotiser suffisamment pour pouvoir, enfin, s'arrêter de travailler. Ce qui en dit long sur l'absurdité d'un monde mortifère. "Enfin vivre !", lançait le président Mitterrand pour évoquer la retraite à 60 ans. Le travail est clairement considéré comme le contraire de la vie.
Les mobilisations du 19 et du 31 janvier démontrent la puissance de la grève et sa capacité de blocage de l'économie. L'arrêt du travail dans les transports ou l'énergie peut facilement paralyser la capitalisme. La tentation est grande de se reposer sur une grève par procuration. Mais il ne faut pas oublier que la grève ne se réduit pas à un moyen de pression pour négocier. C'est avant tout la mise en mouvement du prolétariat. La grève ne doit pas se réduire à un rituel de fonctionnaires. Dans le privé, la grève implique parfois de tenir tête à sa direction. Elle implique aussi de sortir de l'isolement, de la routine et du conditionnement managérial.
Néanmoins, la grève semble apparaître de plus en plus comme une coquetterie réservée aux cadres de la fonction publique en pré-retraite. La précarité et les bas salaires font d'une grève menée par la gauche une dépense inutile. Surtout le syndicalisme semble toujours plus décalé par rapport à la structure du salariat. La sous-traitance et la fragmentation du monde du travail rendent l'approche corporatiste plus que jamais obsolète.
Les puissants syndicats de l'énergie ou de la SNCF ne parviennent pas à lutter avec les intérimaires, les sous-traitants et les contractuels. C'est pourtant indispensable d'entraîner les fractions les plus précaires du salariat dans le mouvement. Déjà, pour des raisons d'efficacité évidentes, afin que la grève mète la pression sur l'Etat et le patronat. Mais aussi pour permettre un élargissement du mouvement au-delà du milieu militant traditionnel. Ce qui peut déboucher vers un mouvement plus original et incontrôlable.
La manifestation sous encadrement syndical n'est plus une réelle menace pour le maintien de l'ordre. C'est un simple défilé, une marche d'enterrement qui conduit vers la défaite. Il faut reconnaître que le syndicalisme est devenu une tâche particulièrement ingrate. Les quelques militants qui tentent de mobiliser leurs collègues se heurtent trop souvent à un mur de résignation. Surtout, les militants de gauche, qui ont eux-mêmes intériorisé la défaite, préfèrent se replier dans un entre-soi plus confortable. Les débrayages restent pourtant l'urgence du moment pour passer de la ralerie boudeuse à l'action collective. La dimension massive des manifestations semble alors extraordinaire. Même si ces défilés ne respirent pas la victoire.
La stratégie de l'intersyndicale vise surtout à ralentir l'effondrement du syndicalisme. C'est avant tout la retraite des permanents et autres bureaucrates qui est à sauver. Les syndicats, au moins depuis 1995, semblent surtout attachés à gagner la "bataille de l'opinion". Pourtant, sur le fond de la réforme, le combat est gagné d'avance. Mais c'est sur la stratégie à adopter que le problème se pose. La marche hebdomadaire couplée avec la grève par procuration dans des "secteurs clés" ne fonctionne plus. 1995 et 2006, victoires en trompe l'œil, sont les exceptions qui confirment la règle. Jacques Chirac, traumatisé dès sa jeunesse politique par Mai 68, a laissé place à des serviteurs zélés du capitalisme néolibéral. Les mobilisations syndicales ne sont pas impopulaires. Mais elle contribuent à associer la lutte des classes à la défaite. Le syndicalisme renforce alors la résignation. Pourquoi faire grève pour une stratégie déjà perdante ?
Ce mouvement frappe par son esprit de sérieux et son encadrement syndical. Pour l'instant, aucune trace de débordement n'apparaît à l'horizon. Il existe peu de débrayages dans les entreprises, ni d'assemblées de base pour se rencontrer et discuter des moyens pour élargir la grève et la lutte. Le mouvement semble surtout prendre dans les bastions du secteur public. Même si la mobilisation dans les entreprises reste moins visible et spectaculaire. Mais elle existe. L'action directe semble monopolisée par la CGT Énergie. Dans les manifestations, il n'y a pas de cortège festif et offensif. La force des Gilets jaunes semble avoir disparu. La jeunesse reste sagement encadrée par des sectes gauchistes avec leurs animateurs de colonies de vacances. Bref, la gauche célèbre ce mouvement comme sa victoire pour écraser la spontanéité, la créativité, la joie de la révolte et de l'autonomie ouvrière.
Néanmoins, le mouvement peut prendre un nouveau tournant à partir du 7 mars. Des grèves reconductibles sont proposées. Ce qui peut permettre de diffuser la grève et de bloquer les entreprises qui produisent encore. D'autres possibilités peuvent alors s'ouvrir. Avant ça, il faut se rencontrer, discuter, réfléchir collectivement, se donner de la force pour se lancer dans une grève reconductible. Surtout, se donner des perspectives de victoire.
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