Nouvelle révolte en Iran : édito n°53
Publié le 1 Décembre 2022
La révolte en Iran apparaît comme l'événement majeur de 2022. Bien plus que l'enlisement prévisible de l'armée russe, assez banal pour une intervention militaire au XXIe siècle. Le silence des médias sur le sujet en dit long sur un milieu journalistique en déliquescence. Les experts en géopolitique se plaisent à disserter sur le nucléaire iranien, entre autres approximations folkloriques. Beaucoup moins sur le cycle de révoltes ouvert en Iran depuis 2009. La contestation en Chine démontre pourtant à nouveau que les prolétaires s'imposent comme le principal acteur politique et géopolitique. Désormais, aucun spécialiste sérieux de politique internationale ne peut se permettre d'occulter le rôle central des révoltes sociales dans la marche du monde.
Le soulèvement iranien de 2009 conteste une fraude électorale. Les manifestants descendent dans la rue pour défendre l'un des deux pantins du régime : celui qui semble le moins conservateur. Mais la constitution iranienne est très claire : le gouvernement et le parlement restent chapeautés par l'autorité politico-religieuse du Guide Suprême. Cependant, le mouvement s'intensifie jusqu'à remettre en cause le régime lui-même. "Mort à Khomeny" scandent certains manifestants. Néanmoins la protestation reste surtout portée par une classe moyenne et une bourgeoisie tournées vers l'international. Ce mouvement reste minoritaire et isolé.
En 2017, 2018 et 2019, des révoltes sociales éclatent contre la vie chère. C'est davantage la politique économique du gouvernement qui est remise en cause. Néanmoins, la captation de la rente pétrolière par le régime débouche vers sa remise en cause. Mais ce sont surtout les classes populaires qui se révoltent. La classe moyenne semble moins touchée par la vie chère. Le soulèvement de 2022 surgit après la mort d'une femme qui porte mal le voile. La dictature théocratique est alors directement dénoncée. La cause des femmes semble particulièrement fédératrice. Le contexte économique marqué par l'inflation joue également un rôle important. Le mouvement regroupe différentes catégories sociales et semble perdurer.
Il existe peu d'informations sur la révolte en Iran et beaucoup de questionnements. Le régime semble fragilisé et divisé. Un scénario sombre à la syrienne voit le pouvoir se recroqueviller derrière la police et ses milices de type Pasdaran. Le régime peut miser sur une répression sanglante pour briser la révolte. Mais il ne peut sans doute plus compter sur l'allié russe, traditionnel massacreur en chef des soulèvements. Les tapis de bombes semblent désormais se concentrer sur l'Ukraine. Si la répression sanglante épargne pour l'instant Téhéran sous les projecteurs de l'opinion internationale, les zones frontalières subissent déjà des massacres.
Un scénario à la tunisienne voit une clique au pouvoir apeurée et divisé. Les dignitaires du régime fuient à l'étranger. Le pouvoir d'État s'effondre. Ce scénario idéal ouvre de nouveaux questionnements. La famille Palavhi tente d'exister depuis l'étranger. Elle a dirigée une dictature inféodée aux compagnies de pétrole occidentales jusqu'en 1979. Ce qui la rend peu crédible. Les religieux qui ont récupéré la révolution de 1979 sont trop liés au régime actuel pour incarner une alternative.
Le scénario démocratique peut déboucher vers une nouvelle constitution et des élections libres. C'est ce qui semble faire consensus dans le mouvement. Néanmoins les exemples de l'Égypte et même de la Tunisie montrent qu'un nouveau régime autoritaire peut resurgir. La démocratie libérale est loin d'être un idéal immuable. Il semble déterminant que les luttes sociales perdurent. Les grèves jouent alors un rôle décisif pour insister sur la dimension sociale. La révolte iranienne doit s'attaquer à la misère et aux inégalités sociales.
Cette perspective s'appuie sur les grèves mais aussi sur des structures d'auto-organisation. Des comités locaux peuvent assurer une solidarité directe face aux problèmes du quotidien et organiser la lutte. La multiplication de ces comités de base peut lancer une réorganisation politique et sociale. Mais ce type de structures semble encore peu présent. La question de l'embrasement à d'autres pays du Moyen-Orient voire du monde semble également décisive. Une révolution isolée peut rapidement s'essouffler.
Il semble important de se réjouir de cette révolte. Voir des jeunes filles chasser leurs professeurs reste une image forte. Même si le mouvement doit s'élargir au-delà de la jeunesse pour se répandre avec des salariés en grève. Seuls les soulèvements et les luttes permettent d'ouvrir de nouvelles perspectives. Les révoltes apparaissent même comme le seul moyen d'obtenir des améliorations des conditions de vie. Néanmoins ces mouvements doivent aussi faire face à la répression, mais surtout à des tensions et contradictions internes. Les intérêts de classe et les objectifs politiques ne sont pas homogènes. L'immense majorité de la population doit veiller à ne pas se faire déposséder de son mouvement pour lutter contre toutes les formes de hiérarchies, d'exploitation, d'oppression.
Les médias français ont montré d'autres images réjouissantes. Des raffineries bloquées, une pénurie d'essence, des voitures paralysées, un PDG sommé de s'expliquer sur ses émoluments plus que généreux, un pouvoir d'État complice pointé du doigt. Bref, la grève est revenue à nouveau sur le devant de la scène. Elle permet de poser la question centrale des salaires et de la vie chère. Même si les médias et les politiciens sont plus à l'aise pour causer insécurité et immigration.
Une solidarité doit s'exprimer pour toute les formes d'action collective et pour la pratique de la grève. C'est un moment qui permet de prendre conscience de notre force collective. La grève permet de redécouvrir les capacités des prolétaires à faire plier le patronat et la classe dirigeante. Et pas n'importe laquelle. Total reste une multinationale puissante, qui s'appuie sur les vestiges de la colonisation et sur la Françafrique. Total reste traditionnellement gangrené par des anciens cadres des services secrets et de barbouzes en tout genre qui démontre la collusion entre l’État et une industrie pétrolière particulièrement mortifère.
Néanmoins, cette séquence raffineries laisse un goût d'inachevé. Ces grèves restent encadrées par la CGT. La pétrochimie reste un des derniers bastions d'un syndicalisme en déliquescence. Dès lors, la grève reste sagement limitée à un cadre corporatiste et sectoriel. La grève devient minoritaire, marginale et condamnée à la routine de l'impuissance. Pourtant, il devrait être facile de s'identifier à des travailleurs qui exigent une augmentation de salaires face à une direction méprisante. Mais les prolétaires sont sommés de se contenter du rôle de soutien passif que leur assigne la CGT et les partis d'extrême gauche.
Pourtant, la pénurie d'essence pourrait être saisie comme un bon prétexte pour ne plus pouvoir aller pointer à un boulot de merde payé des miettes. De quoi élargir l'arrêt de la production et imposer un rapport de force global et une généralisation de la conflictualité sociale. Surtout, la grève des raffineries s'inscrit dans le contexte d'une multiplication des luttes dans les entreprises. Dans des secteurs comme le commerce et la logistique, des salariés découvrent la force de l'action collective. La grève peut alors permettre de briser l'isolement, de sortir de la résignation et du conditionnement managérial. Ces pratiques de lutte collective peuvent créer de la solidarité entre collègues pour lancer de nouveaux mouvements dans un contexte de contestation globale. C'est la fameuse "gymnastique révolutionnaire".
Une officine du patronat propose un sondage sur le travail. Aucun scoop, mais quelques évidences toujours bonnes à rappeler. Les prolétaires travaillent avant tout pour toucher un salaire. Il n'y a que quelques cadres supérieurs qui croient encore dans le mythe de l'épanouissement par le travail. La majorité des salariés subissent avant tout le travail comme une contrainte. La paresse devient un objectif plus prestigieux que la réussite professionnelle. Personne ne revendique la nécessité de travailler plus, en dehors des retraités et des patrons qui veulent surtout faire travailler les autres. La routine "métro, boulot, dodo" ne fait rêver personne. Mais, comme dans le phénomène de la grande démission, la résignation débonnaire et la fuite priment sur le désir de conflictualité sociale et de lutte collective. Pour l'instant...
Sommaire n°53 :
Luttes contre le racisme
C.L.R James et l'analyse du racisme
Trajectoires de militants Black Panthers
Elaine Brown et les Black Panthers
Luttes des femmes
Les luttes des femmes en France
Féminisme et révolution sexuelle
Féminismes et stratégie révolutionnaire
Nouvelles formes de lutte
Joie militante et nouvelles luttes
Sociologie des luttes spontanées
Imaginaires et pop culture