Trajectoires de militants Black Panthers

Publié le 10 Novembre 2022

Trajectoires de militants Black Panthers
Des luttes des Noirs dans la société américaine jusqu'à un quartier populaire de Caen, la trajectoire singulière d'un couple de Black Panthers évoquent l'évolution du contexte social et politique. Ce parcours de vie permet également de se pencher sur l'analyse du racisme dans les sociétés américaine et française.

 

 

La trajectoire de Melvin et Jean McNair respire l’aventure et la révolution. Ce couple de militants des Black Panthers détourne un avion pour s’évader vers Alger. Les deux militants s’installent ensuite en France. Ils deviennent travailleurs sociaux dans un quartier populaire de Caen. Leur parcours évoque deux moments décisifs. Ils sont au cœur de la contestation des années 1968 avec les luttes aux Etats-Unis mais aussi la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Ensuite, leur parcours plonge dans un quartier populaire avec les contradictions qui traversent la société française.

La trajectoire de Melvin et Jean McNair permet également d’interroger la question raciale qui fait l’objet de nombreux débats dans le petit milieu des sciences sociales. Cette notion de race vise à questionner le racisme. Elle est contestée pour sa remise en cause du modèle de l’intégration républicain censé éliminer le racisme. Surtout, la dimension raciale élude les clivages de classe qui structurent la société et les hiérarchies dans le monde du travail. Les vies particulières de Melvin et Jean McNair permettent d’observer les imbrications entre race et classe, mais aussi les différences entre le racisme de la France et celui des Etats-Unis. Sylvain Pattieu explore la trajectoire du couple de militants dans le livre Panthères et pirates.

 

 

                      panthères et pirates : des afro-américains entre lutte des classes et black power

 

Black Panthers

 

Melvin grandit dans le Sud rural marqué par la ségrégation raciale. Il découvre le baseball. Le sport apparaît comme un moyen d’élévation sociale pour les Afro-américains. La performance sportive permet de remettre en cause la hiérarchie raciale. La réussite sociale ou sportive est considérée comme un moyen de combattre le racisme.

Dans les villes du Sud se développe le mouvement pour les droits civiques. En 1955, après l’arrestation de Rosa Parks, se lance un mouvement de boycott des bus à Montgomery. Cette mobilisation s’appuie sur le réseau des Églises noires, incarné par le pasteur Martin Luther King. Cette lutte permet d’obtenir des victoires locales et nationales. En 1965, le Civil Rights Act met fin à toute forme de discrimination et de ségrégation. Malgré sa non-violence, le mouvement se heurte à une forte répression qui s’accompagne par des meurtres racistes du Ku Klux Klan.

Dans les années 1960, alors que Melvin est étudiant, d’autres mouvements émergent. Malcolm X critique ouvertement le capitalisme et la société américaine. Il propose l’autodéfense face à la violence raciste. Dans son sillage, le mouvement du Black Power s’attaque à la ségrégation institutionnelle mais aussi aux questions de logement, de pauvreté, d’éducation et de violences policières.

Des émeutes éclatent à Watts, près de Los Angeles, en 1965, à Newark et à Détroit en 1967. L’assassinat de Martin Luther King débouche également sur des émeutes en 1968. La révolte des ghettos noirs s’accompagne de la contestation étudiante dans un climat d’opposition à la guerre du Vietnam. Melvin mène la fronde qui dénonce l’autoritarisme de son entraîneur de baseball. Il est alors exclu de l’université.

 

Melvin doit subir le service militaire avec la discipline de caserne. Jean lui envoie des journaux d’une nouvelle organisation : le Black Panther Party (BPP). Des groupes d’autodéfense doivent permettre de tenir en respect les autorités. La loi de Californie autorise le port d’arme. Les Black Panthers s’adressent à la jeunesse pauvre et urbaine, souvent non scolarisée et au chômage. Ils dénoncent notamment les meurtres commis par la police à Los Angeles.

Le BPP s’inscrit dans une révolution globale contre l’impérialisme américain. Il se tourne vers les combats anticoloniaux et les guérillas d’Amérique latine incarnées par Che Guevara. Mais l’autodéfense armée s’accompagne de la solidarité directe avec des petits déjeuners gratuits pour les enfants. La contestation se développe également dans les casernes. Les soldats discutent entre eux et adoptent la coupe afro. Melvin refuse de partir au Vietnam et risque la prison.

Les autres pirates de l’air connaissent également des trajectoires singulières. George Brown passe par la petite délinquance et la prison. Il subit le racisme de la justice et des institutions. Il lit Les frères de Soledad, un livre de George Jackson sur les conditions carcérales et le racisme. Jean rencontre Melvin à l’université. Elle découvre les textes de Malcolm X et du nationalisme noir. C’est elle qui initie Melvin à la politique. Leur couple semble égalitaire, ce qui les distingue du machisme des Black Panthers.

Les futurs pirates de l’air fuient à Détroit. Le FBI attaque les groupes contestataires et cible particulièrement le BPP. Plusieurs dirigeants sont arrêtés. Surtout, l’assassinat de Fred Hampton pendant son sommeil marque les esprits. Le dirigeant de Chicago a lancé une stratégie d’alliance avec d’autres groupes comme les Young Lords. Sa lutte contre le racisme s’inscrit clairement dans une démarche globale de rupture avec le capitalisme.

 

 

       De gauche à droite : Kathleen Cleaver, Eldridge Cleaver et Elaine Mokhtefi lors d’une conférence à Alger (1969) - Karen Sharpe

 

 

Révolutionnaires à Alger

 

Les cinq pirates de l’air doivent subir la clandestinité. Ils sont isolés et ne peuvent plus militer dans un cadre collectif. Ensuite, la période reste marquée par le reflux des luttes des années 1968. L’effondrement du BPP semble lié aux concessions de l’administration Nixon, comme la discrimination positive et la fin de la guerre du Vietnam. Surtout, le centralisme démocratique, les méthodes autoritaires et violentes, les purges et le sectarisme contribuent à affaiblir le BPP.

Quand les pirates atterrissent à Alger, la position du régime algérien par rapport aux Panthers semble avoir évolué. Pourtant, des liens se sont noués entre les luttes des afro-américains et l’anticolonialisme. Frantz Fanon, intellectuel antillais, soutient le FLN qui lutte pour l’indépendance algérienne. Ses livres, comme Les damnés de la terre ou Peau noire, masque blanc, articulent une critique du racisme et du colonialisme. Ils deviennent des références théoriques pour les Black Panthers.

Durant les années 1960, l’Algérie est considérée comme l’épicentre de la révolution mondiale. De nombreux militants de gauche s’y installent dans l’espoir de construire le socialisme. Ce sont les fameux « pieds-rouges ». En 1965, Ben Bella est renversé par Houari Boumediene après un coup d'État. Ces militants gauchistes sont alors expulsés.

Cependant, la démarche des Black Panthers semble différente. Ils ne visent pas à participer à la construction de l’Algérie indépendante et socialiste. Ils considèrent ce pays uniquement comme une base arrière du panafricanisme. Néanmoins, l’Algérie conserve l’aura liée à la conquête de l’indépendance par la lutte armée. Le film La bataille d’Alger nourrit cet imaginaire.

 

En 1968, Eldridge Cleaver s’installe en Algérie pour fuir la justice américaine après une fusillade. Il tente de constituer un nouveau pôle de visibilité des Black Panthers et lance une section internationale. Le FLN soutient cette entreprise. Le BPP est considéré comme un mouvement de libération nationale. Alger se veut la capitale du tiers-monde et de la décolonisation. Elle accueille des représentants ou des exilés de mouvements divers comme les guérillas d’Amérique latine, les mouvements de libération africains ou le Front de libération du Sud Vietnam. Le BPP, qui se bat au cœur de la puissance dominante du monde, bénéficie d’un certain prestige.

Néanmoins, le régime algérien ne veut pas détériorer ses relations avec les Etats-Unis en raison de négociations pour le commerce de gaz. Durant l’été 1969, Eldridge Cleaver annonce la création de la section internationale du BPP pour accueillir tous les militants noirs pourchassés par le FBI. Quelques jours plus tard commence le premier festival culturel panafricain à Alger. Des artistes et militants afro-américains sont à l’honneur. Des animations, défilés et débats se déroulent dans toute la ville.

La section du BPP comprend une trentaine de membres. Ils sont visités par de nombreux journalistes et soutiens du monde entier. Le film de William Klein Eldridge Cleaver, Black Panther illustre le soutien apporté à ce mouvement par le régime algérien. Cependant, la section internationale est percutée par la crise, les scissions et le déclin du BPP. Eldridge Cleaver devient de plus en plus incontrôlable et assassine un rival. Ensuite, le régime algérien entretient désormais des relations normalisées avec les Etats-Unis, à travers les compagnies pétrolières. Le régime militaire algérien, fondé sur l’ordre, ne tolère plus les frasques des Black Panthers.

 

 

          D'IFS à la Grâce-de-Dieu

 

 

Départ pour la France

 

Quand les pirates de l’air débarquent à Alger, ils sont avant tout perçus comme une nouvelle source de problèmes par le pouvoir algérien. Ils sont recherchés par la police américaine pour détournement d’avion. Ensuite, ils ne sont pas des dirigeants connus, contrairement à Eldridge Cleaver qui peut se réfugier en France. Comme les autres Panthers, ils ne parlent ni arabe ni français. Ils se retrouvent isolés. Les cinq pirates rejoignent la France avec l’aide du réseau Solidarité animé par Henri Curiel.

Jean, Melvin, Joyce et George vivent en France dans la clandestinité entre 1974 et 1976. Mais ils finissent par se faire arrêter. Face à la justice, ils sont défendus par Jean-Jacques de Felice. Cet avocat sait articuler droit et politique. Il a commencé sa carrière en défendant des militants du FLN. Il écoute les pirates de l’air et comprend leur cause de la lutte des noirs contre le racisme. Un comité de soutien s’informe sur les évolutions de l’affaire et sur la situation des prisonniers. Il s’occupe également de la rémunération des avocats.

Les quatre pirates sont emprisonnés à Fleury-Mérogis deux années avant leur procès. Pour leur défense, ils insistent sur le racisme et sur la condition des Noirs américains. Cette stratégie permet de dénoncer la ségrégation et le racisme qui sont présentés comme plus importants aux Etats-Unis qu'en France. Ensuite, les quatre de Fleury disent regretter leur détournement d’avion. Ils publient le livre Nous, Noirs américains évadés du ghetto pour retracer leur parcours et appuyer leur stratégie de défense.

 

Le comité de soutien, composé d’intellectuels et de personnalités du spectacle, insiste sur « la tradition d’accueil » de la France. Les journalistes de gauche soutiennent également les pirates. Cependant, le comité ne parvient pas à s’élargir aux organisations syndicales comme la CGT ou la CFDT. Après ce combat judiciaire, les pirates retrouvent la liberté.

A leur sortie de prison, Melvin et Jean McNair déchantent sur le milieu militant français. Leur comité de soutien donne l’apparence d’un front unitaire. Mais, en réalité, l’extrême-gauche se caractérise par son sectarisme. Ensuite, les années 1980 sont marquées par un reflux des luttes sociales. Melvin et Jean McNair s’éloignent alors du milieu révolutionnaire. Melvin se tourne vers le baseball, un sport typiquement américain. Il devient éducateur. Le travail social lui semble plus concret que le militantisme révolutionnaire. Il part à Caen pour diriger un foyer de jeunes travailleurs.

En 1986, Melvin et Jean s’installent au quartier de la Grâce-de-Dieu à Caen qui leur rappelle les ghettos noirs américains. Malgré une plus importante diversité ethnique. Le tournant néolibéral des années 1980 contribue à fragiliser davantage la jeunesse des quartiers populaires. La délinquance se développe. Melvin et Jean luttent contre l’essentialisation et l’ethnicisation de leur quartier, dans la continuité de leur combat contre l’exclusion raciale aux Etats-Unis. Jean crée l’association Espérance Jeunesse qui s’installe dans les locaux du foyer de Melvin pour apporter une aide aux devoirs. L’association propose également des ateliers, des conférences et des sorties culturelles.

 

      Comment Jean et Melvin McNair ont (presque) refait leur vie après avoir détourné un avion

 

 

Race et classe

 

Sylvain Pattieu propose un livre agréable à lire qui mêle histoire individuelle et collective. Il aborde de nombreux mouvements qui ont marqué les années 1960. Il s’attache à restituer le contexte historique tout le long de son récit. Sylvain Pattieu s’appuie sur le parcours de Jean et Melvin pour tenter d’ancrer la question raciale dans des pratiques concrètes avec des trajectoires individuelles et collectives. Il compare le racisme en France et aux Etats-Unis.

L’historien distingue l’esclavage et la ségrégation de la colonisation. Il pointe la vision positive qu’il existe en France des luttes afro-américaines, notamment lorsqu’elles sont portées par des écrivains et des artistes. Ce regard s’inscrit dans un anti-américanisme qui vise également à glorifier le modèle républicain franchouillard. L’historien pointe la complexité de la racialisation qui ne se réduit pas à une opposition entre Blancs et Noirs. « Elle fait intervenir d’autres facteurs : origines nationales ou régionales, citoyenneté effective ou pas, classe sociale », observe Sylvain Pattieu.

 

Amira M, dans un article pour la secte trotskiste Révolution Permanente, pointe la principale limite de cette approche qui se centre sur des trajectoires individuelles. Les débats stratégiques sont évacués au profit d’une approche plus empathique que critique. Certes, Sylvain Pattieu évoque le déclin des Black Panthers. Mais sans critiquer leur approche militariste et folklorique qui délaisse les luttes sociales dans les usines. La stratégie de défense des « Quatre de Fleury » privilégie une approche people qui repose sur la repentance. Certes, Sylvain Pattieu montre que cette démarche individualiste semble liée au reflux des luttes collectives. La partie sur le quartier de Caen semble encore plus problématique. Melvin et Jean deviennent des travailleurs sociaux qui encadrent la population et canalisent les révoltes en collaboration avec la police de proximité.

Sylvain Pattieu semble déplorer que la dimension raciale ne soit pas suffisamment prise en compte en France. « Mais l’absence de mouvements revendicatifs d’ampleur et durables, ainsi que la multiplicité des statuts des populations concernées font qu’il y a peu de mémoire des groupes et des luttes, pas d’unification des expériences et, par la même, aucun récit légitime à la fois homogène et continu », estime Sylvain Pattieu. L'universitaire évacue l’histoire des luttes de l’immigration, avec les grèves dans les usines mais aussi les luttes de quartiers. Même si ces mouvements se développent à l’échelle locale.

Pire, Sylvain Pattieu semble déplorer que les luttes de l’immigration ne prennent pas assez une tournure raciale et identitaire. Certes, les universitaires et la petite bourgeoisie intellectuelle manœuvrent dans ce sens. Mais les problèmes concrets renvoient davantage aux conditions matérielles, comme la précarité ou le logement, plutôt que sur un malaise identitaire. Le sociologue ou l’historien doivent prendre en compte la racialisation qui permet une stratification et une hiérarchisation au sein du prolétariat. La discrimination à l’emploi ou au logement s’appuie sur des formes de racisme et d’essentialisation. Sylvain Pattieu s’appuie sur la vie quotidienne des individus pour observer ce phénomène. Il préfère pertinement l’observation empirique à l'homogénéisation théorique.

En revanche, les sociologues ont tendance à mépriser les luttes collectives qu’ils ne comprennent pas. Ils préfèrent déplorer l’ordre social existant plutôt que de le transformer. La lecture sous le prisme de la race et de la micro-histoire s'inscrit dans cette démarche de dépolitisation par la mise en avant uniquement de cas individuels. Les révoltes sociales visent au contraire à balayer les statuts et les hiérarchies pour ouvrir des perspectives égalitaires. Une dynamique de lutte doit s’appuyer sur une approche globale qui remet en cause les hiérarchies de genre, de race et de classe.

 

Source : Sylvain Pattieu, Panthères et pirates. Des Afro-Américains entre lutte des classes et Black Power, La Découverte, 2022

 

Articles liés :

Eldridge Cleaver et les Black Panthers

Les luttes afro-américaines

Idéologie raciste et société américaine

Angela Davis et les luttes actuelles

 

Pour aller plus loin :

Vidéo : L'incroyable histoire de deux Black Panthers exilés en France, diffusé sur TV5 Monde le 15 février 2017

Vidéo : Sylvain Pattieu - Nous avons arpenté un chemin caillouteux, diffusé sur le site de la librairie Mollat le 27 février 2017

Vidéo : Melvin McNair, ex-membre du Black Panther Party | Les Origines du Black Power, Interview diffusée sur Arte le 25 novembre 2020

Vidéo : Melvin et Jean (La révolte et l'exil) - Trailer mis en ligne le 31 janvier 2021

Vidéo : Conférence Melvin MacNair, diffusée par la Bibliothèque universitaire de Caen le 5 juin 2014

Vidéo : Sylvie Laurent, "Black Panthers", conférence diffusée sur l'Université populaire du quai Branly le 4 octobre 2018

Radio : «Comment un couple d’Afro-Américains sans histoires en vient-il à détourner un avion ?», diffusée sur RFI le 10 septembre 2022

Radio : Melvin MacNair, pirate de l’air et Black Panther, diffusée sur RFI le le 23 septembre 2022

Radio : Melvin McNair, un Black Panther à la Grâce de Dieu, diffusée sur France Inter le 23 janvier 2021

 

Amira M, A l’assaut du ciel, pirates de l’air et panthères noires, publié sur le site Révolution Permanente le 22 octobre 2022

Philippe Artières, Une illusion biographique, publié sur le site En attendant Nadeau le 8 septembre 2022

Sophie Joubert, Sylvain Pattieu : « Il existe une histoire française de la race », publié sur le site du magazine France-Amérique le 8 septembre 2022

Julia Wahl, « Panthères et pirates » de Sylvain Pattieu : dans la peau des pirates de l’air, publié sur le site Toute la culture le 18 août 2022

Les panthères de la casbah, publié sur le site L'œil des chats le 16 septembre 2017

Publié dans #Histoire des luttes

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C
nous nous nourrissons de la mémoire et nous souvenons
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