Le retour de la gauche plurielle : édito 51
Publié le 1 Juin 2022
Olivier Faure ou Raphaël Glucksmann, avec leur tronche insipide de gendre idéal, sont traités comme les pires racailles gauchistes. L'union de la gauche a au moins le mérite d'horrifier les éditocrates et autres intellectuels de plateau télé. Les fractions pourrissantes du PS, comme dans l'Hérault, se raccrochent au vieux monde. Avec une saveur vintage de rad-soc cassoulet du côté de la Garonne et les relents du vieux clientélisme fréchiste du côté de Montpellier. Les candidatures dissidentes du PS donnent envie de soutenir l'union de la gauche pour en finir avec les débris du règne de François Hollande.
La campagne Mélenchon a de quoi séduire les gauchistes de canapé. Transgressif sur le fond et rassembleur sur la forme, le candidat est devenu l'idole des jeunes. De la constituante jusqu'à la planification et transition écologique, Mélenchon a dégainé tous les hochets pour bercer les trotskistes. Mais, sans doute pour plaire aux journalistes de Mediapart et France Inter, il s'est lancé dans des tractations d'appareils avec des sectes de la gauche moribonde. Malgré sa critique percutante de "la soupe aux logos", il se plonge dans la tambouille politicienne la plus sordide.
Jean-Luc Mélenchon s'acoquine avec des partis haïs par leur politique gouvernementale et réduits à l'état de sectes insignifiantes. Les populations des cités populaires sont considérées comme une vulgaire monnaie d'échange entre partis qui les perçoivent uniquement comme des "circonscriptions gagnables". À force de se focaliser sur une logique institutionnelle, Mélenchon se retrouve aspiré par "la mort et le néant". Le programme commun s'aligne sur un consensus mou qui évoque une resucée de la gauche plurielle.
Des anarcho-mélenchonistes défendent l'articulation des urnes et de la rue. Les références historiques sont alors convoquées. Le Front populaire de 1936 incarne une union de la gauche qui s'accompagne d'une vague de grèves pour arracher les congés payés et des augmentations de salaires. Mais les partis au pouvoir et leurs relais syndicaux appellent à la reprise du travail pour empêcher un véritable processus de transformation sociale. Avec l'Unité populaire dans le Chili d'Allende, la gauche au pouvoir canalise les cordons industriels et les pratiques d'auto-organisation. L'expérience s'achève dans un coup d'État tragique.
Le dernier quarteron de trotskystes fantasme sur le "double pouvoir" qui finit toujours par pencher du côté de l'Etat. Les intellectuels les plus subtils osent convoquer Rosa Luxembourg. L'immense théoricienne marxiste s'appuie sur l'auto-organisation du prolétariat. Mais cette cadre du SPD insiste également sur l'importance du débat parlementaire et sur les institutions qui doivent garantir la liberté d'expression. Pourtant Rosa a fini exécutée par les camarades de son propre parti. De quoi amender post-mortem sa stratégie bancale. La social-démocratie allemande n'a pas hésité à réprimer une révolte dans le sang, et avec l'appui des futures milices nazies.
Bref, il n'est pas obligatoire de s'enthousiasmer pour le retour de la gauche au pouvoir. Surtout que la séquence électorale ne contribue pas à redynamiser les luttes sociales. L'anarcho-mélenchonisme reflète plus une résignation désabusée qu'une véritable stratégie active et offensive.
Bien plus que le confinement, les élections ont contribué à la glaciation de la lutte des classes. Les maigres espoirs de transformation sociale passent alors par le vote et la délégation plutôt que par l'auto-organisation et l'action directe collective. Pourtant, les mélenchonistes peuvent rapidement retourner dans les poubelles de l'histoire si une nouvelle révolte sociale éclate. L'augmentation des prix et du coût de la vie annonce des turbulences à venir. Un frémissement dans la lutte des classes peut déjà s'observer.
Un nouveau cycle de luttes s'est amorcé en France à partir de 2016 avec le mouvement contre la loi Travail jusqu'à l'hiver 2019 avec la lutte contre la réforme des retraites, en passant par l'explosion des Gilets jaunes à partir de novembre 2018. Ce cycle de luttes a permis de réduire à néant le Parti socialiste et de porter Mélenchon aux portes du second tour. Ce n'est pas son seul talent de tribun mais surtout la vague de contestations sociales qui porte sa dynamique électorale. Comme le PS de Rocard et Mitterrand repose sur le bouillonnement autogestionnaire des années 1968 et la gauche plurielle de Jospin s'appuie sur le mouvement de 1995 et un renouveau des mouvements sociaux. Les hommes d'État de gauche restent avant tout des vautours de la lutte des classes.
Avant sa récupération politicienne, ce cycle de luttes présente également des nouveautés qui tranchent avec les pesanteurs de la gauche et du mouvement social traditionnel. L'effondrement des syndicats casse l'hégémonie des cadres de la fonction publique et du discours social-démocrate traditionnel. De nouvelles pratiques surgissent, plus sauvages et spontanées. Néanmoins, l'ancrage dans le monde du travail reste faible. Précarité, intérim, sous-traitance, multiplication des statuts produisent un isolement et une fragmentation du salariat. Le chômage de masse et la menace de licenciement, voire la concurrence, suffisent à refroidir les tentatives d'organisation collective sur le lieu de travail.
Même si le confinement a également fait germer des réflexions sur le sens du travail et sur l'absurdité de la routine du quotidien. Les salariés refusent de se soumettre aux conditions de travail imposées par le patronat, notamment dans des secteurs comme la logistique, le commerce ou la restauration. Et même du côté des futurs cadres de la Nation, certains refusent le confort mortifère du conformisme bourgeois. Néanmoins, le mal-être ne débouche pas encore vers la conflictualité et l'insubordination. Même si un renouveau du syndicalisme de base peut s'observer aux États-Unis. Le parti démocrate, avec une campagne hors-sol, a échoué à créer un syndicat chez Amazon. En revanche, une organisation autonome s'est construite à partir d'une lutte contre des licenciements.
Les antifascistes du dimanche se sont bien gardés de pointer les déclarations de Jean-Luc Mélenchon après un 1er Mai festif et chamailleur. Le Premier ministre autoproclamé appelle à réprimer davantage les manifestations pour multiplier les nasses et les arrestations préventives. Tout ça uniquement pour pouvoir tranquillement papoter avec le PS sans être dérangé par les chants du cortège de tête. Un réformiste sincère aurait habilement brandit la menace de la révolution pour se poser en ultime recours. Un réformiste sincère aurait défendu sa stratégie pacifiste et institutionnelle contre les risques de la voie insurrectionnelle. Mais peut-être que plus personne ne croit en la "révolution citoyenne", même pas Mélenchon. Il dévoile son visage grimé de pourriture politicarde.
A travers le monde, l'extrême gauche au pouvoir semble prête à écraser les mouvements sociaux dans le sang. Au Chili, pour prendre un exemple récent, le pouvoir n'hésite pas à réprimer la contestation. Pourtant Gabriel Boric est issu de la "gauche autonome" et des secteurs agités du mouvement étudiant. En Grèce, Syriza a été le seul parti à soutenir les émeutes anarchistes de 2008 et les grèves depuis 2011 avant de réprimer les mouvements sociaux. Alors un type qui a toujours craché sur les révoltes spontanées ne peut que se révéler comme la pire ordure au pouvoir.
Mélenchon veut nous faire économiser des kilomètres de manifs. Pourquoi pas, c'est vrai qu'on s'en lasse un peu. Mais le prochain pouvoir aura du mal à échapper à des grèves, des blocages, des pillages, et autres festivités en tout genre. Matignon en feu, Mélenchon au milieu.
Sommaire n°51 :
Gauche radicale dans le monde
L'opposition sociale en Russie
La gauche alternative en Espagne
La tradition du populisme américain
La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon
Nouvelle gauche intersectionnelle
Edwy Plenel et la politique en France
Politisation depuis les mouvements de 2016
Les nouvelles mobilisations sociales
Impasse Lordon
Frédéric Lordon et l'idéologie altercapitaliste