Le mouvement des droits civiques

Publié le 5 Janvier 2022

Selma (2015)

Selma (2015)

Le mouvement des droits civiques a permis une amélioration de la vie quotidienne pour la population afro-américaine. Ensuite, il soulève de nombreux enjeux qui restent d'actualité, comme le racisme, les violences policières et les inégalités sociales.

 

Le mouvement contre le meurtre de Georg Floyd et les violences policières éclate aux Etats-Unis en 2020. Cette contestation permet également la diffusion des idées du mouvement Black Lives Matter. Cette révolte contre le racisme, les violences policières et les inégalités sociales s’inscrit dans une longue histoire. Le mouvement des droits civiques se développe entre 1955 et 1965. Les enjeux qu’il soulève restent d’actualité.

Derrière les figures connues de Martin Luther King et de Rosa Parks se construit un véritable mouvement de masse porté par des anonymes. Ensuite, le mouvement des droits civiques s’inscrit dans la longue histoire des luttes afro-américaines. L’historien Thomas C. Holt revient sur ce moment fondateur dans son livre intitulé Le Mouvement.

 

                Le Mouvement. La lutte des Africains-Américains pour les droits civiques

 

Ségrégation raciale

 

La Première Guerre mondiale relance l’exigence d’égalité pour les Africains-Américains. La protestation adopte à nouveau des pratiques traditionnelles. Pendant plus d’un demi-siècle, les Noirs se tournent vers le boycott de la consommation et les sit-ins militants pour protester contre la discimination dans les lieux publics. En 1854, Elizabeth Jennings est expulsée d’un tramway à New York. Les militants noirs organisent des manifestations et déposent un recours en justice. Les transports publics sont censés accueillir la totalité des usagers, sans discrimination. Cette victoire de Jennings reflète la montée en puissance du militantisme des Noirs libres du Nord dans les années 1850. Ils relient la campagne abolitionniste contre l’esclavage avec la lutte contre les discriminations raciales.

Après la guerre mondiale, des Noirs montent dans les transports réservés aux Blancs et n’hésitent pas à affronter les contrôleurs et les policiers. La guerre et le patriotisme modifient également la vision des Noirs qui se sont battus aux côtés des Blancs. « Le sacrifice de leurs soldats démontrait que les Noirs n’avaient plus rien à "payer" pour obtenir satisfaction », décrit Thomas Holt. Ces incidents permettent d’expérimenter les tactiques et stratégies de base des protestations, avec les sit-ins, les boycotts et les manifestations de masse.

Ces actions visent à rallier le public mais surtout à provoquer un désordre pour forcer les entreprises et l’Etat à agir. Cette lutte semble efficace après la Guerre civile. En 1875 est adoptée une loi nationale sur les droits civiques qui déclare illégale la discrimination dans tous les transports en commun mais aussi dans les restaurants, les théâtres et autres établissements ouverts au public. Cependant, au début du XXe siècle, les États du Sud multiplient les lois discriminatoires qui visent à réglementer la présence des Noirs dans l’espace public.

 

La National Association for Advancement of Colored People (NAACP) devient l’organisation centrale dans la lutte pour les droits civiques au XXe siècle. Mais les fonctions dirigeantes de l’association restent occupées par des antiracistes blancs du Nord. Les avocats et publicistes qui dirigent la NAACP valorisent les poursuites judiciaires et la dénonciation publique. Des années 1910 aux années 1950, la NAACP étudie les failles juridiques des lois Jim Crow qui imposent la ségrégation.

Cette association siège à New York et reste implantée surtout dans les villes du Nord et du Sud. La scolarisation permet l’émergence d’une élite urbaine noire. La crise économique des années 1930 approfondit les inégalités sociales. L’universitaire W.E.B. Du Bois critique l’intégration et se rapproche du socialisme. Surtout, la NAACP se tourne vers le mouvement ouvrier. Cependant, durant les années 1950, l’association préfère se plonger dans les jeux de pouvoir pour influencer le Parti démocrate.

 

      Rosa Parks.

 

Boycotts et sit-in

 

En 1955, Rosa Parks refuse de laisser sa place à un Blanc dans un bus de Montgomery. Son arrestation déclenche un mouvement de révolte. Les Noirs boycottent les bus pendant 381 jours. Ils contestent l’ordre racial de la nation. « Si l’on définit le Mouvement des droits civiques comme la mobilisation de masse des communautés noires pour contester un statut civil qui les place en situation de subordination sur des critères raciaux, ce fut à ce moment-là qu’il commença », observe Thomas Holt. D’autres femmes noires ont déjà refusé de laisser leur place à un homme blanc, comme Claudette Colvin. Cependant, toutes les classes sociales et les secteurs de la communauté noire de Montgomery peuvent s’identifier à Rosa Parks.

De même, le jeune Martin Luther King permet de dépasser les rivalités qui opposent les différents pasteurs noirs. De plus, il n’est pas hostile à un rapprochement entre les religieux et le mouvement ouvrier. « Non seulement King était particulièrement bien placé pour consolider l’alliance entre les classes sociales que l’arrestation de Parks avait suscitée, mais ses sermons parvinrent à donner des objectifs historiques, civiques et moraux à une protestation née de la colère viscérale et de la frustration », souligne Thomas Holt. Le mouvement accompagne la démarche juridique de l’action directe. Le boycott des bus de Montgomery provoque la faillite de la compagnie. Mais ce n’est pas encore suffisant pour changer la loi.

En février 1960, quatre jeunes hommes noirs organisent un sit-in pour protester contre le refus de les servir dans un restaurant du magasin Woolworth. Cette action lance une vague de sit-in qui se propagent dans plusieurs villes. Ce mouvement reste porté par les sections locales de la NAACP. Néanmoins, la direction de l’association continue de dénigrer les pratiques d’action directe. Cette dynamique de lutte participe à la création du Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC).

 

     L'historien Thomas C. Holt dans la marche des droits civiques

 

Vers la marche de Washington

 

Un mouvement se construit à Birmingham au printemps 1963. L’économie de la ville reste dépendante des entreprises du Nord. Il semble donc plus facile de faire pression sur ses dirigeants. Des boycotts de commerces, des sit-ins et des marches massives sont organisés. Les images de violences policières contre des manifestants pacifistes et des enfants provoquent le soutien de la communauté noire et surtout une importante couverture médiatique. L’URSS s’empare de ces événements pour dénoncer la violence du modèle démocratique américain. Des protestations éclatent dans différentes villes du Sud pour dénoncer les violences policières mais aussi les humiliations liées à la promiscuité urbaine dans les bus, les restaurants et les grands magasins.

C’est dans ce contexte que les organisations nationales qui luttent pour les droits civiques organisent une grande marche sur Washington. Néanmoins, beaucoup de militants privilégient les luttes locales qui permettent des avancées concrètes. « Les militants de terrain, dans les communautés locales avaient lutté pour mobiliser les masses noires et les aider à faire face aux représailles économiques, voire aux meurtres, pour faire plier les autorités locales », indique Thomas Holt.

Au contraire, la marche de Washington s’adresse au gouvernement et aux électeurs blancs du Nord. Cette démarche considère l’Etat comme un allié pour adopter une meilleure législation. La NAACP préfère le lobbying et la conclusion d’accords dans la capitale, plutôt que l’action directe dans les rues du Sud. La marche de Washington reste perçue comme un grand succès. Néanmoins, des meurtres racistes se multiplient. L’assassinat du président Kennedy laisse également planer le doute sur la poursuite des négociations avec le pouvoir.

 

           

 

Mouvement dans le Nord

 

Les organisations antiracistes se focalisent sur la situation du Sud avec la ségrégation. Pourtant, la population afro-américaine subit également le racisme et les inégalités dans le Nord. Même si ce système n’est pas légal. La ségrégation dans les écoles, les discriminations à l’embauche et les violences policières s’observent également dans le Nord. Ensuite, les Noirs américains de toutes régions observent les limites de la stratégie qui repose sur la non-violence et sur les politiques d’intégration.

Une ségrégation urbaine s’observe dans les villes du Nord, notamment à travers les écoles. Les Noirs vivent dans un centre-ville pauvre tandis que les Blancs habitent dans les banlieues cossues. « A mesure que l’émigration des Noirs du Sud s’accélérait, toutefois, la séparation spatiale au travail et à la maison s’intensifia, aboutissant vers le milieu du siècle à des frontières strictes dans les domaines politiques et économiques mais aussi à une démarcation entre banlieues blanches et quartiers noirs de la ville », décrit Thomas Holt.

 

La ville de Chicago illustre cette évolution. Face à cette situation, des associations demandent un accès au logement pour tous. D’autres démarches visent à organiser les locataires des quartiers pauvres de la ville. Des grèves de loyers permettent d’exiger l’application des codes de la construction et le ramassage des ordures. Ces luttes visent à mobiliser la communauté noire pour obliger la ville à améliorer les conditions de logement des habitants du ghetto. Cette démarche se distingue de l’objectif de l’intégration en tant que telle.

L’époque n’est plus à la non-violence. Durant les années 1960 s’observe une montée de la contestation dans le contexte des luttes anticoloniales et de la guerre du Vietnam. En 1968, des révoltes éclatent à travers le monde de Paris à Mexico. C’est dans ce contexte que Martin Luther King lance une nouvelle marche sur Washington. Elle doit conclure une campagne axée sur la dénonciation de la pauvreté et pour la justice sociale. Ce qui doit permettre d’unir les Noirs du Sud et du Nord. Martin Luther King soutient également la grève des travailleurs noirs de la voirie de Memphis. Ce qui ne fait pas consensus au sein de son organisation. En avril 1968, Martin Luther King est assassiné à Memphis. Ce meurtre politique est suivi par une vague d’émeutes qui se propage dans de nombreuses villes.

 

            Sit-In

 

Diversité d’un mouvement de lutte

 

Thomas Holt propose une bonne synthèse de la lutte pour les droits civiques. En historien, il replace ce mouvement dans son contexte économique et social. Il insiste sur les conditions de vie de la population noire, entre misère et racisme, qui restent déterminantes pour expliquer cette mobilisation importante. Il permet également de questionner la question du racisme et de la ségrégation dans le contexte de la société américaine.

Thomas Holt reste également attentif à la diversité du mouvement, dans sa composition sociale et ses pratiques de lutte. Son livre permet d’observer les clivages de classe qui traversent la communauté noire. Une petite bourgeoisie intellectuelle semble diriger le mouvement. Les avocats, les journalistes et les pasteurs restent emblématiques de cette classe sociale. Mais, derrière les grandes figures médiatiques, la lutte pour les droits civiques repose surtout sur des prolétaires anonymes.

Ce clivage de classe permet également de comprendre les débats qui traversent le mouvement. Ses dirigeants ne cessent d’insister sur les actions médiatiques et symboliques dans la perspective d’un lobbying politique en direction du Parti démocrate. C’est, en général, ce que retiennent les livres d’histoire et les manuels scolaires. En revanche, Thomas Holt montre l’importance de l’action directe. Les boycotts, les sit-in et les diverses actions permettent de protester concrètement contre le racisme dans les commerces et les lieux publics. Cette action directe de terrain reste décisive dans la lutte pour les droits civiques.

 

Il est également possible de distinguer les actions solidement préparées des révoltes spontanées. Les deux démarches ne sont pas forcément incompatibles. Une campagne de boycott bien préparée se révèle souvent efficace. Mais les émeutes et révoltes spontanées, comme après l’assassinat de Martin Luther King, semblent également décisives.

Thomas Holt montre bien que la force du mouvement des droits civiques repose avant tout sur sa diversité. Les dirigeants de la communauté noire se veulent respectables et politiciens. Mais ils sont parfaitement conscients que l’action directe et la mobilisation à la base restent décisives. Ils tentent d’imposer un discours policé qui repose sur l’intégration. Mais ils semblent ne pas chercher à contrôler et à verrouiller l’action des comités locaux. Le mouvement des droits civiques montre bien que même les politiques réformistes doivent leur avancée à des luttes sociales qui se construisent à la base.

 

Source : Thomas C. Holt, Le Mouvement. La lutte des Africains-Américains pour les droits civiques, Traduction de Jean-Claude Zancarini, La Découverte, 2021

 

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Pour aller plus loin :

Vidéo : L'idéal démocratique à l'épreuve de l'égalité ?, débat diffusé sur le site du Musée de l'histoire de l'immigration le 21 avril 2021

Vidéo : John Akomfrah, documentaire La Longue Marche de Martin Luther King diffusé en 2013

Radio : Rosa Parks, "la femme qui s’est tenue debout en restant assise", documentaire diffusé sur France Culture le 5 septembre 2020

Radio : Les pans oubliés de l’héritage de Martin Luther King, émission diffusée sur France Culture le 15 juin 2020

Radio : Sophie Lemp, Martin Luther King, le silence s’est enfin déchiré, fictions diffusées sur France Culture le 2 avril 2018

Radio : 50 ans après les Black Panthers, contre Trump, une histoire des luttes afro-américaines, émission Sortir du capitalisme mise en ligne sur le site Paris-luttes info le 29 novembre 2016

 

Philippe Artières, Dans la marche des droits civiques, publié dans la revue en ligne En attendant Nadeau le 28 juillet 2021

Gilles Biassette, « Le Mouvement » de Thomas C. Holt : le combat des Noirs américains, par-delà ses icônes, publié sur le site du journal La Croix le 13 juin 2021

Sylvain Boulouque, Une Amérique entre haine et espoir, publié sur le site de l'Ours le 3 juin 2021

Olivier Maheo, Note de lecture publiée sur le site RevueAlarmer le 5 juillet 2021

Jennifer Ghislain, Note de lecture publiée sur le site La Cliothèque le 28 août 2021

Rédac', Note de lecture publiée sur le site Critica masonica le 15 juin 2021

Henri Lourdou, Note de lecture publiée sur le site Lectures politiques le 23 août 2021

Olivier Maheo, Histoire et mémoire du mouvement des droits civiques, terrain privilégié du fratricide rassurant, publié dans la revue Textes et contextes en 2014

Nicolas Martin-Breteau, De l’esclavage à Black Lives Matter. Un musée d’histoire africaine-américaine, publié sur le site La Vie des Idées le 5 décembre 2017

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