Le mouvement des gilets jaunes
Publié le 25 Avril 2019
Le mouvement des Gilets Jaunes est resté mal perçu par la vieille gauche à ses débuts. L’appel du 17 novembre 2018 évoque surtout la taxe sur le carburant. Il apparaît comme une jacquerie fiscale soutenue par l’extrême-droite. Surtout, les militants écologistes et gauchistes sont souvent très diplômés avec un niveau de vie confortable. Ils sont éloignés des classes populaires et de leurs préoccupations immédiates. Mais les Gilets jaunes semblent prolonger le mouvement de Nuit debout avec ses occupations de l’espace public.
Néanmoins, les ronds-points et les péages regroupent surtout des personnes issues de milieux populaires qui subissent des conditions de vie précaires. Cette classe sociale reste ignorée et méprisée par les patrons et les bureaucrates aux pouvoir. Les travailleurs pauvres, les retraités, les mères célibataires, les chômeurs, les intérimaires prennent la parole. Les Gilets jaunes s’auto-organisent en dehors des partis et des syndicats pour tenter de reprendre le contrôle de leur vie. Le militant altermondialiste Patrick Farbiaz retrace l’histoire de ce mouvement original pour constituer une mémoire immédiate dans le livre Les Gilets Jaunes. Documents et textes.
Révolte sociale
Le mouvement des Gilets jaunes apparaît comme une révolte globale, à la fois sociale et politique. « Protestant d’abord contre la taxe des carburants, il s’est transformé en un mouvement global de contestation d’une politique, et parfois même d’un régime et du président de la République », observe Patrick Farbiaz.
Une pétition en ligne est lancée à la fin du mois d’octobre 2018. Un appel sur Facebook propose un « blocage national contre la hausse du carburant » pour le 17 novembre 2018. La page « la France énervée » relaie ces messages. Des blocages de routes et de ronds-points sont annoncés. Néanmoins, le gouvernement refuse de revenir sur sa nouvelle taxe.
Le 17 novembre, ce sont 2034 sites qui sont occupés dans toute la France. Ces manifestations ne sont pas déclarées. On observe aussi quelques propos racistes et homophobes. Des migrants sont même livrés à la police. Dans l’île de La Réunion, le mouvement devient immédiatement insurrectionnel. Le gouvernement impose un couvre-feu et Emmanuel Macron annonce qu’il va mobiliser l’armée. Les actions de blocage perdurent toute la semaine, avec une certaine détermination.
Le samedi 24 novembre est lancé un appel à venir manifester sur Paris. Des manifestations sont organisées dans la capitale et dans toute la France. Les lieux du pouvoir et les boutiques de luxe sont directement ciblés. « Des Gilets jaunes s’attaquent aux préfectures, aux lieux de pouvoir et à leurs vitrines : les Champs Élysées et les beaux quartiers », décrit Patrick Farbiaz.
La manifestation se distingue de la marche traditionnelle encadrée par les syndicats. Des affrontements avec les forces de l’ordre éclatent. Des barricades sont dressées. Le gouvernement propose de négocier avec des représentants du mouvement. Mais les Gilets jaunes refusent car l’entretien ne peut pas être rendu public sur facebook. Des opérations de péages gratuits sont mises en place sur tout le territoire.
Pour l’acte III, le 1er décembre, c’est une véritable émeute qui éclate à Paris. Des voitures sont incendiées, des boutiques sont pillées, l’Arc de triomphe est vandalisé. Le 4 décembre 2018, le gouvernement annonce qu’il suspend la hausse des taxes. Un mouvement éclate également dans 188 lycées. Les jeunes bloquent leur établissement et partent en manif sauvage. Des blocages de dépôts de carburant provoquent une pénurie dans les stations-service.
Malgré les images de violence, une large majorité de la population soutient fortement le mouvement. Les médias et le pouvoir évoquent une France « au bord de l’insurrection et de la guerre civile ». L’occupation militaire de Paris est décrétée. Néanmoins, la manifestation reste un succès. Le 10 décembre 2018, le président prend la parole. Il annonce une « hausse de 100 euros du SMIC », l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraites de moins de 2000 euros, une prime de 100 euros défiscalisée.
Mais les Gilets jaunes restent déterminés à continuer la lutte. Un attentat terroriste à Strasbourg rend invisible le mouvement et permet de parler de sécurité plutôt que des problèmes sociaux. Le mouvement ne faiblit pas mais il se heurte à une forte répression. A partir de la fin du mois de décembre, le gouvernement envoie la police pour évacuer les péages et les ronds-points.
Prolétaires en colère
Des chercheurs lancent une enquête sur la sociologie des Gilets jaunes dans toute la France. Des extraits sont publiés dans le journal Le Monde du 12 décembre. Ce mouvement est surtout composé d’hommes et de femmes qui travaillent. La catégorie des employés est particulièrement bien représentée. Les artisans sont également plus présents que dans le reste de la société française. En revanche, les cadres et les professions intermédiaires sont très peu représentés. Le mouvement se compose également de chômeurs et de beaucoup de retraités.
Les personnes qui participent au mouvement ne se reconnaissent pas dans le clivage politique traditionnel entre la droite et la gauche. L’extrême-droite reste marginale. Une partie du mouvement se montre hostile à l’accueil des immigrés. Mais la politisation des Gilets jaunes porte avant tout des questions sociales. La préoccupation de l’immigration reste marginale.
La colère provient d’une population qui a besoin d’accéder à la ville en voiture pour se procurer des biens et des services. Mais, derrière la hausse du carburant, ce sont les inégalités sociales qui sont dénoncées. Les gouvernements sont au service des riches et des patrons. Le mouvement exprime également une critique de la démocratie représentative. La monopolisation du pouvoir par une classe dirigeante est remise en cause. Le mouvement développe une critique des médias. Les journalistes n’hésitent pas à déformer les faits et prendre parti du côté du pouvoir.
Les références historiques des Gilets jaunes ne renvoient pas au mouvement ouvrier. La révolte de Mai 68 ou encore le mouvement de 1936 s’inscrivent dans un contexte de politisation à travers les partis et les syndicats. La Commune de 1871 peut être évoquée. Le petit peuple de Paris se dresse face au pouvoir central. Mais ces révolte historiques sont aussi portées par une perspective de révolution sociale qui n’existe plus. La référence la plus revendiquée des Gilets jaunes reste celle de la Révolution française. Les Sans-culottes et les Assemblées révolutionnaires veulent remplacer les structures de l’Etat monarchiste.
Le mouvement rejette les partis et les syndicats. Les Gilets jaunes sont le produit de l’effondrement de l’ensemble du mouvement ouvrier. Les syndicats n’ont connu que des défaites ces dernières années. Leurs journées d’action et leurs manifestations pacifistes deviennent une figure repoussoir. Les bureaucraties syndicales sont liées à l’Etat et ne veulent que négocier l’exploitation. D’ailleurs, les syndicats ont obéit au pouvoir qui les a sommé de condamner les violences.
Quelques perspectives politiques se dessinent. Des assemblées citoyennes se réfèrent au municipalisme libertaire, comme à Commercy. « L’auto-organisation des classes populaires est une condition préalable d’une alternative de transformation sociale et écologique », souligne Patrick Farbiaz. Ce mouvement a permis la politisation de nouvelles personnes qui ont pris la parole et agit ensemble. Les Gilets jaunes découvrent le bonheur de l’action collective.
Limites d’une révolte
Le livre de Patrick Farbiaz permet de bien comprendre les enjeux du mouvement des Gilets jaunes. Patrick Farbiaz propose une description factuelle des diverses étapes du mouvement, de l’appel du 17 novembre jusqu’au début janvier. C’est incontestablement la période la plus intense d’un mouvement toujours actif. Le blocage des routes permet d’attaquer l’économie pour faire reculer le gouvernement. Patrick Farbiaz ne cache pas son étonnement curieux à l’égard de ce mouvement spontané. Le militant altermondialiste, pétri par l’idéologie d’une vieille gauche en putréfaction, semble désarçonné par une révolte spontanée qui s’organise en dehors des partis et des syndicats.
C’est peut-être aussi la limite de son regard. Dans son utile compilation de textes soi-disant issus du mouvement, Patrick Farbiaz privilégie ceux qui se rapprochent le plus de la vieille gauche. Les textes de François Ruffin, de la Fondation Copernic ou les catalogues de revendications permettent de faire rentrer un mouvement original dans le moule de la vieille gauche étatiste. La portée de ces textes est d’ailleurs à relativiser. Les appels de Commercy et de Saint-Nazaire émanent directement du mouvement des Gilets jaunes. Les autres documents relèvent davantage de la récupération gauchiste et n'ont que peu d'influence.
Surtout, la force du mouvement des Gilets jaunes ne repose pas sur ses discours. Les prolétaires en lutte ne sont pas des intellectuels tatillons qui accordent une grande importance à chaque virgule. Leurs textes relèvent davantage de la prise de parole collective pour critiquer un ordre social injuste. Mais le mouvement des Gilets jaunes repose avant tout sur l’action directe. Il n’a pas fallu attendre la moindre réunion d’état-major ou autre pompeuse inter-syndicale pour prendre d’assaut les ronds-points et les péages. L’action et la solidarité dans la lutte dépassent tous les discours politiciens qui tournent à vide.
Les textes compilés par Patrick Farbiaz permettent de souligner les limites des discours des Gilets jaunes. La critique de la démocratie et de l’injustice sociale reste centrale. Néanmoins, les revendications s’inscrivent dans un cadre gestionnaire. Ce discours vise à organiser un capitalisme plus juste et plus rationnel. Il n’est pas envisagé la suppression de l’exploitation et de la classe dirigeante. Même le municipalisme libertaire de Commercy se limite dans un cadre local et ne vise pas une réorganisation de toute la société. Les Cahiers de doléance expriment bien cette démarche gestionnaire et réformiste. Les citoyens s’adressent au pouvoir pour demander quelques améliorations précises. Mais il n’est pas question de renverser l’Etat et le capitalisme.
Ensuite, le mouvement des Gilets jaunes produit peu de réflexions stratégiques. L’élan spontané du blocage des routes a donné un sentiment de toute puissance. Blocages et manifs insurrectionnelles doivent suffire à faire plier le régime. Mais, après janvier, le mouvement n’a pas trouvé un second souffle. Malgré un important soutien des classes populaires, le mouvement est resté peu massif. L’élargissement du mouvement est rarement évoqué. La sur-médiatisation donne l’impression d’une révolte puissante et omniprésente.
La question de la grève reste encore délicate. Les Gilets jaunes semblent penser que les blocages de routes suffisent pour paralyser l’économie. Mais la grève peut aussi permettre de bloquer directement des entreprises et d’attaquer la production. La grève permet aussi de libérer du temps pour permettre à davantage de personnes de se relayer sur les actions de blocage. Le mouvement de 1936 ou la contestation de Mai 68 puisent leur force dans une puissante grève sauvage. Mais ce moment des Gilets jaunes n’a pas encore débouché vers une vague de grèves spontanées. Néanmoins, ce renouveau de la conflictualité sociale peut déboucher vers une importante contestation sociale.
Source : Patrick Farbiaz, Les Gilets Jaunes. Documents et textes, Le Croquant, 2019
Gilets jaunes et nouvelles formes de lutte
L'insurrection en gilets jaunes
Réflexions sur les gilets jaunes
Gérard Noiriel, historien en gilet jaune
Edwy Plenel, journaliste en gilet jaune
Points de vue sur les gilets jaunes
Une analyse du mouvement de 2016
Vidéo : Pierre Jacquemain, Farbiaz : « Ce qui fait la force de Macron, c’est qu’il a unifié le bloc bourgeois », mis en ligne sur le site de la revue Regards le 15 février 2019
Vidéo : La Voix du Peuple avec Patrick Farbiaz "Les gilets jaunes", mise en ligne le 18 février 2019
Vidéo : Condamnations de Gilets jaunes : «La plupart du temps, les preuves n’existent pas», mis en ligne sur le site LesGiletsJaunes.fr le 23 janvier 2019
Vidéo : Patrick Farbiaz - Crise des partis et mouvements, mis en ligne sur le site de l'Institut Tribune Socialiste le 17 janvier 2018
Vidéo : Les gilets jaunes ont fait apparaître les classes populaires dans le débat public, émission mise en ligne sur le site Arrêt sur images le 30 novembre 2018
Vidéo : Gilets jaunes : comment faire plier Macron ?, mise en ligne sur le site Le Média le 31 janvier 2019
Vidéo : Antoine Chollet et Samuel Hayat, Gilets Jaunes : démocratie et émancipation, mis en ligne sur le site Hors-Série le 23 février 2019
Radio : émission Racaille Radio n°92 avec François Ruffin au Café des images, diffusée sur Radio Bazarnaom le 1er mars 2019
Radio : "Gilets jaunes", le dialogue impossible, reportage diffusé sur France Culture le 11 janvier 2019
Radio : #GiletsJaunes - Émission EC=2 / Exercice de critique à partir de l'actualité (2), mise en ligne sur le site Vosstanie le 9 décembre 2018
Patrick Farbiaz, Les Gilets jaunes sont le premier mouvement social écologiste de masse, publié sur le site Reporterre le 21 janvier 2019
Patrick Farbiaz, "J'ai participé à l'Assemblée des assemblées", publié dans le journal Informations ouvrières n°539 du 7 février 2019
Le blog de Patrick Farbiaz, mis en ligne sur le site de La coopérative politique Ecologie Sociale
Site du journal Jaune
Contributions au séisme en cours, publié sur le site du Groupe d'Action pour la Recomposition de l'Autonomie Prolétarienne (Garap) en décembre 2018
Qu'est-ce que le mouvement des Gilets Jaunes ?, publié sur le site du Garap en avril 2019
Rapide aperçu du mouvement des gilets jaunes à Boulogne-sur-mer, publié sur le site de La Mouette enragée le 9 décembre 2018
Gilets jaunes : Sur la ligne de crête, publié sur le site de la revue Temps critiques en mars 2019
Gilets jaunes ? et après ?, paru dans la revue Echanges n° 165 en automne 2018
Et maintenant ? Gilets jaunes, politique et retour à l’ordre, publié sur le site Carbure le 25 mars 2019
Réflexions sur le mouvement des gilets jaunes, publié sur le site de l'Organisation communiste libertaire le 15 décembre 2018
Communistes libertaires et gilets jaunes, publié sur le site d'Alternative libertaire le 4 décembre 2018
Benoît Coquard, Qui sont et que veulent les « gilets jaunes » ? Entretien avec Benoît Coquard, publié sur le site de la revue Contretemps le 23 novembre 2018