Cinéma français et quartiers populaires

Publié le 15 Mars 2019

Chouf (2016)

Chouf (2016)

Le cinéma français s'apparente à un robinet d'eau tiède. Conformiste et subventionné, ces films se focalisent sur un milieu social bourgeois. Mais une nouvelle génération de cinéastes issus des quartiers populaires s'attachent à montrer les problèmes sociaux. 

 

Les populations issues de l’immigration postcoloniale subissent le racisme. La France reste parisienne, jacobine, autoritaire et monochrome. Le cinéma français reflète cette homogénéité. Il n’y a que les révoltes qui permettent de rendre visibles les problèmes des quartiers populaires. Les émeutes de 2005 marquent un tournant.

Ensuite, l’émergence de cinéastes issus de l’immigration, et bercés par une culture hip hop,  contribuent à modifier un imaginaire toujours très parisien. La crise Charlie révèle le racisme important qui existe dans la société française. Mais le cinéma peut contribuer à modifier les imaginaires et proposer un regard critique sur la société actuelle. La journaliste Claire Diao se penche sur les cinéastes issus des quartiers populaires dans son livre Double Vague.

 

                            

 

Conformisme du cinéma français

 

Le cinéma français reste consensuel et refuse d’interroger les malaises qui traversent la société. « Car l’histoire qui entoure les cinéastes de la Double Vague est celle d’une histoire de France qui assimile ou rejette son passé, selon qu’il la glorifie ou ternit son image », observe Claire Diao. La colonisation, les guerres d’Algérie, l’exploitation de la main d’œuvre immigrée sont peu présentés sur les écrans. Les luttes de l’immigration sont effacées par SOS Racisme. Les violences policières et les problèmes sociaux des quartiers populaires restent peu évoqués.

Les institutions du cinéma français refusent de financer des projets originaux. Les films se ressemblent et respirent l’entre-soi de la petite bourgeoisie intellectuelle. « Le cinéma français est avant tout un art bourgeois, porté par une classe sociale éduquée, Blanche et parisienne, qui peine à se diversifier », décrit Claire Diao. Paul Carpita reste un des rares cinéastes issus de la classe ouvrière. Le cinéma français reste centré sur le nombril de la petite bourgeoisie et délaisse les luttes sociales. « De l’étranger, le cinéma français radical est perçu comme une quête intellectuelle menée par des cinéastes issus d’une classe moyenne, qui préfèrent déconstruire l’instrument cinématographique plutôt qu’enregistrer et comprendre les luttes de la classe ouvrière », souligne Ken Loach. Les cinéastes de la Double Vague se penchent sur l’exploitation au travail, sur les problèmes des sans papiers, mais aussi sur la routine de la vie quotidienne dans les cités HLM. L’argent facile et la délinquance sont évidemment évoqués.

 

Le cinéma français colporte une vision raciste et colonialiste. Les films diffusent des clichés paternalistes. Les cinéastes africains restent encore peu nombreux. L’Afrique a longtemps été montrée à travers le regard des occidentaux. La bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo a longtemps été censurée. Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb, a fait scandale en 2010. Les cinéastes peuvent encore difficilement adopter le point de vue des colonisés. Les acteurs et actrices non blancs sont cantonnés à des rôles clichés. Les asiatiques subissent particulièrement cette discrimination et peuvent difficilement jouer des rôles normaux.

Les cinéastes de la Double Vague ne se réfèrent pas aux réalisateurs français. Ils préfèrent Martin Scorcese, Spike Lee, Stanley Kubrick ou Ken Loach. Ce cinéma comporte une importante dimension sociale. En comparaison, le cinéma français reste conformiste et reste focalisé sur les petits problèmes de la bourgeoisie. Le cinéma de la Double Vague évoque d’autres thématiques, plus sociales. « Ce cinéma naît dans l’urgence et dans un besoin viscéral de partager des récits qui intéressent d’autres citoyens que ceux habituellement visés par le cinéma français », observe Claire Diao.

 

 

 

Cinéastes des quartiers populaires

 

2005 marque un tournant. Adellatif Kechiche reçoit le César du Meilleur réalisateur pour L’Esquive. La même année Zyed et Bouna meurent alors qu’ils sont poursuivis par la police. Des révoltes éclatent à travers toute la France pour dénoncer les violences policières. Une nouvelle génération de cinéastes se saisit des problèmes des quartiers populaires. « Dans la même mouvance que les rappeurs qui (d)écrivent le malaise des quartiers, des cinéastes se sont emparés de caméras », indique Claire Diao.

Ces réalisateurs ont subit des parcours scolaires compliqués. Issus d’un milieu populaire, ils ne s’adaptent pas au moule de l’école. Ils sont rapidement orientés vers des filières professionnelles. Ils subissent humiliations et injustices. Mais ils se nourrissent de cette expérience de la vie pour leurs films. Contrairement au cinéma formaté de la Fémis, ils évoquent les galères, les doutes et les échecs. Cette nouvelle génération peut contourner les circuits classiques. Internet permet de diffuser directement ses films. Canal + offre également aux humoristes issus des quartiers populaires et aux projets originaux.

 

Le film de banlieue est désormais associé aux clichés négatifs colportés par une bourgeoisie repliée sur son petit milieu parisien. Pourtant, les quartiers populaires incarnent toute une histoire du cinéma. Dans Fantômas ou Casque d’or, la banlieue apparaît comme un refuge pour les bandits et un espace de liberté. La banlieue, ouvrière et populaire, reste longtemps associée à la joie de vivre.

A partir des années 1980, la banlieue incarne la fatalité du chômage et de la misère qui conduisent vers la délinquance. Le décor est en ruines. « La jeunesse y est désœuvrée. L’espoir a laissé place à la déprime, l’exclusion et la folie », observe Claire Diao. Dans les années 1990, c’est la rage qui s’exprime avec Etat des lieux de Jean-François Richet ou La Haine de Mathieu Kassovitz. De nombreux films évoquent les cités violentes, de la chronique sociale du cinéma d’auteur aux films de gangsters inspirés par le cinéma américain.

Dans les films français, les acteurs arabes doivent se conformer à des rôles clichés. Les attentats du 11 septembre 2001 construisent la figure du terroriste islamiste. Les révoltes de 2005 créent la figure du jeune émeutier à capuche. Les quartiers sont également associés au machisme et au sexisme.

 

 

Cinéma et critique sociale

 

Le livre de Claire Diao se penche sur un sujet peu abordé. Cette journaliste ose s’attaquer au conformisme du cinéma français. Les films reflètent davantage l’entre soi de la petite bourgeoisie intellectuelle que les problèmes de la société française. Les quartiers populaires restent l’objet de clichés médiatiques. Il semble important que les classes populaires s’emparent de caméra pour exprimer un point de vue sur des problèmes qu’elles vivent directement.

Claire Diao évoque un peu les thèmes et le contenu des films qui proviennent des quartiers populaires. Mais elle choisit de se focaliser sur la trajectoire des cinéastes et leurs problèmes de carrière. Cette approche permet de montrer tous les obstacles imposés par une culture subventionnée et dirigée par un Etat dominé par le conformisme de la petite bourgeoisie intellectuelle. Néanmoins, Claire Diao évoque peu les films en eux-mêmes. Elle n’adopte pas la démarche d’un Régis Dubois ou des études culturelles qui analysent les films pour décrire une société et ses problèmes. Il semble intéressant de se pencher sur les films de ces cinéastes qui viennent des quartiers populaires. Il semble important de savoir en quoi leur manière d’aborder la société française est différente, de voir en quoi leur regard est plus critique.

 

Claire Diao ne s’appuie pas sur les films mais sur les parcours des cinéastes pour observer la société française. Claire Diao conserve une vision réformiste et citoyenniste de la société. Elle reflète bien l’idéologie du Bondy Blog, sympathique mais un peu naïve. Elle souligne l’importance des révoltes de 2005. Mais elle estime que les quartiers populaires ont besoin d’intégration et de reconnaissance. Elle insiste sur la volonté de réussite de la population des quartiers populaires. Ces cinéastes peuvent montrer qu’il est possible pour certains prolétaires de s’intégrer dans la petite bourgeoisie intellectuelle. Il faut beaucoup de travail et de ténacité. Ce discours permet de pacifier les quartiers populaires en leur vendant des illusions de réussite sociale.

Une autre lecture des révoltes de 2005 peut s’orienter vers une critique radicale de la société française. L’Etat et la police, le capitalisme et la misère, ne permettent pas l’épanouissement des classes populaires. L’intégration et l’ascenseur social de la période des Trente glorieuses ne fonctionnent plus. Il n’est plus possible d’aménager et d’améliorer l’ordre social. L’Etat renforce la répression et le contrôle policier pour contenir la rage et les potentielles explosions sociales. Seule une révolte sociale de l’ensemble des classes populaires peut permettre de changer la société. Ce discours critique de remise en cause de l’ordre capitaliste semble encore peu porté par le cinéma français.

 

Source : Claire Diao, Double Vague. Le nouveau souffle du cinéma français, Au Diable Vauvert, 2017

Articles liés :

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Pour aller plus loin :

Vidéo : Grand Angle de TV5 Monde diffusé le 20 mai 2017 

Vidéo : Cinéma français - "Double vague" : Emergence d'une nouvelle génération selon Claire Diao, diffusé sur France 24 le 23 mai 2017 

Vidéo : #Cesarssowhite ? On en a discuté avec la crème du cinéma français, publié sur le site L'Afro – news le 16 novembre 2016 

Radio : Le cinéma français peut-il se permettre de se priver de ses forces vives ?, émission diffusée sur le site Street Diamond le 25 septembre 2017

Radio : Le Grand Débat, diffusé sur le site de la radio Africa n°1 le 17 mai 2017

Radio : En sol majeur, émission diffusée sur RFI le 10 juin 2010

Radio : émissions avec Claire Diao diffusées sur France Culture 

 

Faustine Kopiejwski , Avec “Double vague”, Claire Diao met en lumière les cinéastes issus des quartiers, publié sur dans le webzine Cheek Magazine le 29 mai 2017 

Balla Fofana , La «Double Vague», nouvelle génération ciné face à la Nouvelle Vague, publié sur le site du journal Libération le 9 juillet 2017 

Balla Fofana , La «Double Vague», génération de cinéastes «de la débrouille», publié sur le site du journal Libération le 9 juillet 2017 

Régis Dubois, « Double Vague, le nouveau souffle du cinéma français » de Claire Diao, publié sur le site Le Sens des images le 20 juin 2017

Yousra Gouja, « Double vague » de Claire Diao : vers un renouveau du cinéma français, publié sur le site du Bondy Blog le 6 juin 2017 

Aphelandra Siassia, Exit la Nouvelle Vague, place à la Double Vague pour un renouveau du cinéma français, publié dans le webzine Nothing But the Wax le 16 avril 2018 

Abdessamed Sahali, L'autre French Touch, publié sur le site du journal Le Courrier de l'Atlas le 2 mai 2018 

Christophe Lehousse, Claire Diao, passeuse de cinéma, publié sur le site de Seine-Saint-Denis le magazine le 2 janvier 2018 

L'Afrique en films, publié sur le site du magazine Courrier International

Articles de Claire Diao publiés dans le Bondy Blog 

Publié dans #Contre culture

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F
En fait, la journaliste Claire Diao est une femme de cinéma...
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E
sur France Culture?
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