L’érotisme littéraire de Stella Tanagra
Publié le 12 Août 2018
La littérature érotique peut permettre d’attaquer les normes et les conventions sociales. Dans la société marchande, la sexualité doit s’exprimer uniquement dans le cadre du couple et de la famille bourgeoise. La littérature peut au contraire libérer les fantasmes et les désirs. Stella Tanagra propose une série de nouvelles érotiques dans le livre Sexe primé.
« Tout se promettre sans se le dire » évoque une aventure à la fois intense et passagère. « Je m’agrippe à la seconde où on s’est trouvé, cet instant ou ton regard a dévalé pudiquement mon corps qui ne sera jamais tien », ouvre ce poème. La fulgurance du désir s’oppose au cadre du couple et de l’appropriation de l’autre. « Même si nos yeux se sont tout dit intensément, nos bouches ne pourront jamais se le concéder car aussi beau peut être un amour qu’immoral lorsqu’il est illégitime », écrit Stella Tanagra. La sensualité peut se passer de paroles. Le partage peut passer par les corps.
« La dérive amoureuse » évoque la sensualité d’une soirée au bord d’une plage déserte. « A notre image, nous aimions tout spécialement vivre ici, à l’abri des regards indiscrets, là où nous pouvions nous balader absolument nus, en synergie avec la terre et nous même », écrit Stella Tanagra. La lumière, l’eau et la douceur de la nuit enivrent un couple marié. Ils se remémorent un orgasme, tout en musicalité. Le plaisir sexuel se mêle à l’amour. « Océane était celle que je chérissais, celle que je baisais passionnément autant que je lui faisais l’amour avec tendresse », indique le narrateur. Le couple, marié depuis quinze ans, refuse de s’enfermer dans la routine. Au contraire, leur complicité leur permet d’explorer tous leurs fantasmes et d’expérimenter divers jeux sexuels.
« Un gentil garçon » s’attaque au mythe du couple apaisé, avec le mari tendre et bienveillant.
La nouvelle « Ces messieurs me disent » ironise sur les parcs publics qui participent à l’embourgeoisement urbain à coups de « bucolique chic ». Pourtant, ces espaces verts permettent une promenade pour sortir de l’accélération du monde moderne et son artifice numérique. « A quoi bon compter les minutes, décupler les interactions superficielles en quelques clics et bâcler les rencontres pour mieux les compresser sur une clef USB ? », interroge Stella Tanagra. La promenade permet de retrouver le plaisir d’observer le paysage et toutes les sensations humaines. « C’est ainsi que je me traîne jusqu’aux plantations collectives régulièrement, tout en me réjouissant d’éventuelles rencontres amoureuses au ton champêtre », indique le narrateur.
Dans « Peau percée », la narratrice décrit une orgie avec de nombreux hommes. « Mêlée dans cette multitude de chevauchements, je ne perçois ni le début ni la fin de se désordre sensuel là où le temps à lâché les rênes de la pondération », décrit la narratrice. La nouvelle adopte ensuite le point de vue du mari de cette femme. Il décrit au contraire un spectacle violent, avec des hommes brutaux. « Je croyais que les filles aimaient les contes de fées et les princes charmants. J’étais déboussolé, mes repères mis à mal », décrit le narrateur.
« Scène de crime » sort de cette sensualité joyeuse. Cette nouvelle évoque les fantasmes mortifères et la noirceur de la nature humaine. Dans une approche sadienne, le plaisir est associé au crime et à la violence. « Les profondeurs » propose une ambiance fantastique pour découvrir un espace de libertinage qui permet de libérer tous les fantasmes. « Ma chair et tendre » évoque la gourmandise. Le plaisir culinaire accompagne la sensualité.
« Puppy love » présente la lettre envoyé par un enfant à une fillette. Il décrit la pension et l’autorité scolaire. Le règlement et les évaluations hebdomadaires imposent l’autorité de l’école pour conformer les enfants au moule de la société marchande. « Nous tous savions pertinemment que ce monde ne voudrait plus jamais de nous », indique la lettre. Les deux enfants décident alors de s’évader pour faire l’école buissonnière. Le petit garçon découvre surtout le désir sexuel et la sensualité à travers son premier baiser. Son excitation se consolide lorsqu’il transgresse l’interdit de sécher les cours.
Dans « Ecran total », le narrateur décrit Sophie, une de ses conquêtes aux formes plantureuses. « Sophie fait partie de celle qui ont le monde entre leurs cuisses et font de leurs atouts un pouvoir qui n’a ni morale ni frontière », décrit le narrateur. La nouvelle ironise sur la sensualité des autres textes. Il n’est plus question de montée du désir, mais de pulsion immédiate à satisfaire. « Non, je vous l’assure, il n’y aura jamais de romantisme quand nos hormones nous dirigent », affirme le narrateur. Il décrit sa rencontre avec deux femmes au cours d’une soirée étudiante. « Que je le veuille ou non, elle avait pris la décision de faire de moi, leur jouet, le temps d’une récréation sexuelle », précise le narrateur.
Il décrit une sexualité plus quantitative que qualitative. Il cherche à cocher les cases de diverses pratiques sexuelles. Le sexe se confond avec la performance, plus qu’avec le plaisir. « Les coups d’un soir s’accumulent au point de saturer la place disponible dans mon cerveau pour me souvenir correctement de chacune d’elles », indique le narrateur. Les relations sexuelles ne débouchent que sur des textos avec des émotions exprimées par smileys prédéfinis. La nouvelle évoque également la virtualisation de la sexualité. Les sites pornos ou encore les sites de rencontres prospèrent sur la misère sexuelle. Même dans la publicité pour le fromage, le sexe sature les écrans. Il semble d’autant plus omniprésent qu’il permet de faire vendre dans un contexte de misère sexuelle.
Les nouvelles de Stella Tanagra accordent une place centrale à la sensualité, à travers une qualité littéraire. Le plaisir des corps s’accompagne du plaisir des mots. Les chutes sont particulièrement étonnantes et peuvent donner un sens étrange au récit. Stella Tanagra transgresse les normes et les conventions. Les femmes ne sont pas réduites à de simples objets sexuels, confinés dans la pureté morale et la passivité. Dans ces nouvelles, les femmes sont des sujets de désir et de fantasmes. Elles expriment leur appétit sexuel sans tenir compte de la morale bourgeoise. Stella Tanagra refuse l’opposition classique entre la tendresse et la baise. Les deux peuvent être liées. Ensuite, la sexualité peut également se dissocier des sentiments amoureux et de la tendresse, y compris chez les femmes. Malgré quelques nouvelles plus sombres, Stella Tanagra propose une sexualité gourmande et libérée. Le plaisir et le désir priment sur l’impératif de la reproduction dans le cadre du couple.
Les nouvelles de Stella Tanagra s’attaquent également à toutes les normes sociales. Le modèle du couple, institution patriarcale, vole en éclat. L’amour libre doit au contraire éviter l’appropriation, la possession et le contrôle. La sensualité et le plaisir doivent primer sur la routine du quotidien. Une nouvelle attaque également l’école, autre institution patriarcale qui recherche le contrôle des enfants et leur soumission à l’autorité.
Stella Tanagra s’attaque également aux nouvelles normes sociales. La supposée libération sexuelle et les sites de rencontres peuvent permettre d’ouvrir les possibilités. Néanmoins, la modernité marchande ne fait que renforcer la misère et sexuelle. La performance devient le seul critère de cette sexualité supposée libérée. Les sites de rencontres révèlent un amour moderne qui repose sur la soumission à des critères et à des normes. La rencontre amoureuse impose de jouer un rôle et repose sur un calcul. Cette sexualité rationnelle et mécanique éradique la spontanéité, les fantasmes et la sensualité. Au contraire, les nouvelles de Stella Tanagra contribuent à dessiner un nouvel imaginaire érotique contre toutes les normes et les conventions sociales.
Source : Stella Tanagra, Sexe primé, Tabou, 2017
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