La libération sexuelle en France
Publié le 8 Juillet 2017
Un mouvement de libération sexuelle a secoué la vieille société patriarcale. L’ordre moral est attaqué de manière culturelle et politique. Une « parenthèse enchantée » permet une libération des mœurs. Ce moment de libération sexuelle s’ouvre dans les années 1950 pour se refermer en 1986 avec l’apparition du Sida. Le journaliste Marc Lemonier décrit cette période historique dans le livre Liberté égalité sexualité.
Ce moment de révolte permet la lutte des femmes et des homosexuels qui obtiennent de nouvelles libertés. C’est surtout une attaque contre l’ordre moral et le puritanisme. « La « révolution » qui se déroule durant ces années-là est une période de conquête et d’exercice de nouvelles libertés – depuis il, ne s’agit plus que de les défendre contre le retour à l’ordre moral et la banalisation », observe Marc Lemonier.
En France, la révolution sexuelle s’inspire de la contre-culture des Pays-Bas et des Etats-Unis. Le mouvement hippie et les Summers of Love de 1967 et 1968 inspirent la contestation en France. Le vieux pouvoir gaulliste impose une répression des désirs, mais la révolte finit par l’emporter. « La société française sous pression bouillonnait de désirs, le couvercle de la cocotte-minute explosa durant le mois de mai 1968, et plus personne ne réussit à le refermer ensuite », estime Marc Lemonier.
Le journaliste participe au bouillonnement des années 68. Il s’appuie sur ses souvenirs pour raviver l’ambiance festive et contestataire de cette période. Une vague de luttes sociales rythme la vie quotidienne. « Comme tous les hommes, et plus encore toutes les femmes, de ma génération j’ai eu durant ces années-là l’impression de conquérir chaque jour une nouvelle liberté, de participer à une aventure positive, joyeuse, libératrice en menant des combats pour davantage de respect et de plaisir », témoigne Marc Lemonier. Depuis, ces libertés semblent menacées en France et dans le monde par les intégristes, les anti-féministes et les réactionnaires de tous poils.
L’égalité entre hommes et femmes face à la sexualité, l’accès à la contraception et à l’avortement, la liberté des homosexuels à vivre leur sexualité et la libération du corps deviennent les revendications centrales de cette révolte. L’esprit libertaire de cette période doit être réactivé.
Après la guerre, les femmes restent économiquement sous la coupe de leurs maris. Les jeunes filles rêvent au prince charmant devant des romans-photos. Elles s’imaginent en ménagères idéales. En 1949, Simone de Beauvoir écrit Le Deuxième sexe. Ce livre déclenche des injures. Le Parti communiste français dénonce une « insulte aux ouvrières » et Beauvoir est traitée de pornographe. La contraception n’est pas encore une science exacte. L’abstinence devient la méthode la plus pratiquée pour éviter des naissances non désirées. La sexualité reste intime et ignorée. Les femmes arrivent encore vierges au mariage.
En 1954, le roman Histoire d’O décrit une jeune femme qui se soumet à tous les caprices érotiques des amis de son amant. C’est le jeune éditeur Jean-Jacques Pauvert qui publie ce livre sulfureux refusé par Gallimard. En 1956, Jean-Jacques Pauvert subit un procès pour avoir édité les œuvres du marquis de Sade.
En 1959, Jean-Pierre Mocky propose le film Les dragueurs. L’histoire ébranle la France puritaine. Elle montre des jeunes hommes qui tentent de séduire sans soucis du lendemain. Mais les femmes restent encore enfermées dans un carcan puritain. « La morale a construit un mur entre elles et la quête du plaisir, et pire encore, le risque de maternité fait renoncer les plus aventureuses », rappelle Marc Lemonier. Mais cette nuit de dérive parisienne semble assez convenue puisque seules les femmes « libérées » acceptent l’aventure. Surtout, les dragueurs, malgré leur démarche ludique et désinvolte, restent en quête de la femme idéale pour une vie de couple routinière.
En 1960, la nudité se diffuse à travers les Streap-tease et des photos dans des magazines érotiques. La revue Lui est diffusée à partir de 1963. Elle s’adresse à des hommes modernes avec un fort pouvoir d’achat. Des écrivains donnent du contenu à la revue à côté des photos de charme. Jacques Duhamel propose même de « développer une culture érotique et sexuelle qui serait le champ privilégié d’un nouvel art de vivre ». Mais la génération yé-yé reste peu aventureuse. Les femmes sont marquées par la peur de la grossesse. Lorsqu’elles évoquent la sexualité, c’est pour s’offrir à leur mari. C’est encore le langage de la soumission qui prédomine.
En 1964, les corps deviennent plus dénudés. Louis de Funès et Le gendarme de Saint-Tropez popularisent la pratique du naturisme et surtout sa répression. La mini jupe apparaît à la même époque, suivie du topless qui permet aux femmes de dénuder leurs seins sur la plage.
En 1966, Boris Fraenkel traduit les œuvres de Wilhelm Reich. « Quel lien y a-t-il entre l’ordre social capitaliste, son ordre sexuel et la façon dont est traitée la jeunesse ? », interroge le psychanalyste. Les militants gauchistes dénoncent le « droit au plaisir » comme une revendication petite bourgeoise. La Révolution sexuelle des jeunes considère au contraire le plaisir sexuel comme un outil de destruction de l’ordre capitaliste.
Le mouvement de Mai 68 est porté par la libération sexuelle. Le situationniste Raoul Vaneigem exalte les bienfaits de l’amour et du plaisir sexuel de manière poétique et philosophique. « La passion de l’amour porte en soi le modèle d’une communication parfaite : l’orgasme, l’accord des partenaires dans l’acmé. Elle est, dans l’obscurité de la survie du quotidien, la lueur intermittente du qualitatif », s’enthousiasme Raoul Vaneigem.
Cette humeur libertaire se propage dans la jeunesse. En 1967, les étudiants de Nanterre occupent le bâtiment des filles dans une résidence universitaire. Pendant le mouvement de 1968, de nombreux tracts appellent à une sexualité libre et épanouie. Les situationnistes incarnent le mieux ce souffle libertaire à travers la diffusion de leur slogan : « Jouir sans entraves ».
Dans le sillage de Mai 68, les femmes s’organisent et luttent pour leur libération. En 1970, un numéro de la revue Partisans adopte le thème : Libération des femmes, année zéro ». Ensuite, le Mouvement de libération des femmes (MLF) va multiplier les actions. Le journal Le Torchon brûle exprime la parole des femmes, notamment sur les contraintes dans leur vie quotidienne. Les féministes luttent pour l’avortement et pour le libre choix en matière de sexualité.
Les maoïstes spontanéistes du groupe Vive la Révolution (VLR) se penchent également sur les problèmes de la vie quotidienne. Dans le journal Tout !, ils évoquent les luttes des prisonniers, des femmes, des homosexuels, des enfants, des fous . En 1971, le numéro 12 titre « Libre disposition de notre corps ». Le ton tranche avec la grisaille de la prose gauchiste. « L’embrigadement du corps est la condition de la soumission des esprits », analyse Guy Hocquenghem.
En 1971, les luttes des homosexuels débouchent vers la création du FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire. Ce groupe veut détruire la famille et la société. Les Gazolines deviennent la frange radicale du mouvement et valorisent le travestissement et la provocation. La journaliste Hélène Hazera décrit les pratiques de ce groupe comme « une sorte de dadaïsme homosexuel psychédélique, une idéologie de la dérision, violemment anti-autoritaire ».
En 1975 se lance la revue Sexpol. Influencée par Wilhelm Reich, elle traite de la misère sexuelle. Une femme ordinaire témoigne sur la frigidité, la peur des ragots, le mari jaloux et éjaculateur précoce. La revue dénonce les nouvelles normes imposées par les magazines féminins qui tentent de récupérer la libération sexuelle. Claude Guillon évoque la sexualité des personnes âgées. Daniel Guérin dénonce l’homophobie et le puritanisme des militants gauchistes.
Après Mai 68, l’érotisme devient davantage présent dans l’espace public. Les chansons de Serge Gainsbourg illustrent ce désir de provocation de la société traditionnelle. Le spectacle Hair montre des jeunes hippies qui valorisent la nudité et la sexualité. En revanche, le film Erotissimo montre les dérives de cette libération sexuelle. Les femmes sont soumises à de nouvelles injonctions : elles doivent être sexy et assumer leur sexualité. Le film révèle le début de la marchandisation des corps avec un érotisme publicitaire et commercial.
En 1970, le mouvement hippie se développe en France. Il reste mal vu par les sérieux marxistes-léninistes. Pourtant, les hippies portent une aspiration politique à davantage de liberté et s’opposent à la guerre. Ils créent des communautés libertaires et libertines. Ils sont féministes et acceptent l’homosexualité. Les hippies valorisent également la nudité et l’amour libre. La presse underground et le journal Actuel accompagnent ce mouvement.
En 1972, le succès du film Le dernier tango à Paris semble lié à ses scènes érotiques. Mais le scénario se révèle également audacieux. Un homme et une femme, deux inconnus que tout oppose, se retrouve dans un appartement pour faire l’amour sans échanger un seul mot et encore moins refaire leur vie ensemble. Le plaisir sexuel ne suscite ni remords ni regrets.
Un cinéma érotique se développe. En 1973, le film Bananes mécaniques décrit la folie douce et libertine qui s’empare de la jeunesse. Des jeunes femmes séjournent dans une maison de campagne. Elles font de tous les hommes de passage leurs jouets sexuels. Ce film lance la mode d’un cinéma érotique et burlesque. En 1974, c’est le film Emmanuelle qui connaît le succès. Une femme en voyage en Thaïlande fait l’amour avec des inconnus, y compris des femmes. L’exotisme se mêle à l’érotisme.
En 1975 se développe le cinéma pornographique. Une sexualité explicite et non simulée apparaît sur les écrans de cinéma. Mais le pouvoir fait tout pour liquider ce cinéma. La censure et la taxation sont imposées. Ensuite, c’est le classement X qui enferme la pornographie dans un ghetto. Mais, en 1976, l’actrice Brigitte Lahaie incarne l’âge d’or du porno français. Elle aime faire l’amour en toute liberté.
Le livre de Marc Lemonier permet de découvrir ou de se replonger dans l’ambiance de la libération sexuelle. Les nombreuses illustrations permettent de faire vivre toute une période de lutte et de liberté. La culture, le cinéma, la société accompagnent la contestation politique de l’ordre moral et patriarcal. Le livre se veut essentiellement descriptif et vivant. En revanche, l’analyse de Marc Lemonier reste contestable. Il s’appuie sur le discours de l’universitaire Anne-Marie Sohn qui observe une évolution plutôt qu’une révolution. L’historienne insiste sur l’évolution de la loi et notamment sur la légalisation de la pilule en 1967.
Cette lecture historique se fourvoie. Elle laisse dans l’ombre le souffle libertaire des années 1968, et surtout les luttes des femmes et des homosexuels. Le cas de l’avortement reste le plus révélateur. Les historiens bourgeois insistent sur le vote de la Loi. Mais c’est le développement illégal de l’avortement et la lutte pour sa généralisation qu’il faut mettre en avant. En 1975, au moment de la Loi, la situation semble intenable pour le pouvoir. Les structures de lutte comme le MLAC ont construit un rapport de force qui oblige le pouvoir à plier. Les libertés accordées par la Loi découlent avant tout des luttes sociales.
Ensuite, l’évolution qui prime sur la révolution permet d’insister sur les mœurs et la vie privée. Mais cette lecture occulte la politisation de la vie quotidienne et du plaisir sexuel. L’ouverture culturelle, notamment à travers le cinéma, découle également des luttes sociales. Le mouvement féministe a permis de diffuser une autre vision du monde. Les femmes deviennent des sujets de désir et non plus de simples objets propriétés de leur mari. L’attaque de la société patriarcale passe par une réflexion politique portée par des mouvements de lutte.
Certes, la dimension culturelle reste importante. Les films et les livres reflètent les évolutions de la société. Mais la culture n’est pas à l’impulsion des changements, malgré des œuvres qui peuvent égratigner le conformisme ambiant. Le livre s’organise selon un modèle chronologique qui permet bien de voir le tournant des années 1968. Ce ne sont pas les pitreries de Françoise Sagan ou les nanars de la Nouvelles Vague qui portent le changement. C’est la révolte des années 1968 qui permet de faire vaciller la société patriarcale et capitaliste.
De même, la lutte doit continuer. De nouvelles formes de conformisme se développent. De nouvelles injonctions sexuelles émergent. La lutte pour la liberté, le désir et le plaisir doit se poursuivre.
Source : Marc Lemonier, Liberté égalité sexualité. Révolutions sexuelles en France 1954-1986, La Musardine, 2016
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