Une critique des élections présidentielles
Publié le 22 Avril 2017
L’année 2017 risque d’être sombre et difficile. Le rouleau compresseur médiatique est en ordre de marche depuis longtemps pour commenter les élections présidentielles. Et la primaire à droite donne le ton avec son idéologie sécuritaire, ses plans d’austérité, sa chasse aux pauvres et aux immigrés.
Le livre anonyme La présidentielle n’aura pas lieu mêle récit de fiction et texte politique pour aborder avec plus de légèreté cette nouvelle séquence. Cette mascarade révèle effectivement toute l’absurdité de l’ordre démocratique.
« Je n’en ai pas envie. Tu n’as n’en pas envie. Nous n’en avons pas envie. Seuls quelques-uns en ont envie et y pensent vraiment, tous les matins », ouvre le livre. Mais ce récit de fiction repose sur l’hypothèse d’une annulation du scrutin présidentiel. La petite musique politicienne est alors supprimée. « Les bureaux de vote bloqués. Les bulletins incendiés. La comédie terminée. La vieille politique congédiée », rêve l’auteur anonyme.
Les médias et les citoyennistes considèrent effectivement la présidentielle comme le summun de la vie politique, comme le moment le plus intense de réflexion. Mais avec les Fillon, Macron, Hamon, Mélenchon ou Le Pen : la pitrerie atteint des sommets. « Postures à adopter, discours à débiter, sondages à faire peur, chroniques d’humoristes dès le matin pour supporter », déplore le livre anonyme. La routine politicienne devient insupportable. Et, désormais, la droite devient même le seul rempart face à l’extrême droite.
Cette élection risque d’étouffer le renouveau des luttes, notamment avec le mouvement contre la Loi Travail. « Elle serait aussi un éteignoir. Le fond du précipice après la chute. Le verrou en acier trempé d’une République à bout de souffle. La cage de fer réduisant au silence les espoirs et les colères », prédit le livre anonyme. Il semble difficile de se passionner pour les petites nuances qui séparent chaque candidat. Le résultat des élections ne peut être que catastrophique. Comme un théâtre d’ombre inefficace et obscène. « La politique française se trouve dans un service de soin palliatif et l’élection présidentielle est le moment de la galette des rois », ironise le livre anonyme. Mais plus grand monde n’a envie de passer sous la table pour savoir qui aura la fève.
La présidentielle fait devenir fou. De nombreux petits candidats se bousculent. Leur programme va du cocasse au fascisme. Mais ils n’obtiendront pas les 500 signatures d’élus nécessaires pour se présenter. Les candidats sérieux et autres prétendants à l’Elysée ne font pas plus rêver. Leurs programmes ne changent pas depuis 30 ans. « Ces mots et ces humains sont tous usés jusqu’à la corde : il faut qu’elle craque. Entonnons le requiem pour cette classe politique fantomatique et démonétisée », décrit le livre anonyme. Aucun programme ni candidat ne semble capable de répondre aux enjeux de la crise économique et de la catastrophe écologique.
Même les choix électoraux les plus audacieux se révèlent impuissants. En Grèce, le parti d’extrême gauche Syriza a accédé au pouvoir. Pourtant, le nouveau gouvernement applique les mêmes mesures d’austérité que ses prédécesseurs. En France, l’unanimité des politiciens autour de la Loi Travail révèle une pensée unique libérale. L’élection devient le piège qui autorise les pires réformes. « La démocratie, ce n’est pas la rue ! La démocratie c’est le vote ! », s’emporte Manuel Valls en juin 2016.
Mais de plus en plus de personnes refusent cette mascarade. Des geeks citoyens veulent « hacker 2017 ». La Quadrature du Net, association de défense des libertés, renonce au lobbying inutile sur les candidats. Des anciens membres de Socialisme ou Barbarie proposent un « boycott actif de l’élection présidentielle » dans une tribune publié par Libération. Ils veulent former des comités pour débattre « non pas du choix d’un individu qui irait exercer le pouvoir à notre place mais des transformations de l’organisation politique et sociale, qui redonnerait à chacun d’entre nous les moyens d’une existence décente et une prise sur notre destin collectif ». Le site lundimatin, vitrine du Comité invisible, lance le slogan : 2017 n’aura pas lieu. L’intensification des luttes sociales doit rendre insignifiant ce débat politicien.
Une importante vague d’abstention menace le scrutin de 2017. C’est d’ailleurs ce faible niveau de vote qui donne espoir à tous les candidats, même de gauche. Pourtant, ce phénomène révèle l’effondrement d’un système à bout de souffle. Pour une grande partie de la population, les élections ne changent rien. « L’abstention majoritaire concerne en premier lieu les classes populaires, dont la foi en des scrutins qui n’apporteront pas de changement dans leur vie s’est logiquement écroulée au plus vite », souligne le livre anonyme.
Face à cette montée de l’abstention, des candidatures alternatives émergent. Jean-Luc Mélenchon se présente même comme un « candidat zéro ». Celui qui adopte la posture autoritaire de la personnalisation politique prétend vouloir détruire le système présidentiel. Le site LaPrimaire.org propose une primaire ouverte à tous les Français. Pourtant, ces initiatives contribuent à donner de l’importance à un candidat. « Mais qu’il soit simple citoyen ou politique aguerri, bien français ou bien métèque, c’est l’idée même d’un "bon" candidat qu’il faut rejeter pour entrer dans un monde nouveau », souligne le livre anonyme.
La dernière partie de ce texte devient fictive. Le récit évoque un refus de participer aux élections présidentielles de 2017. Les meetings sont perturbés mais ce mouvement n’a rien d’une insurrection. C’est plutôt une lassitude citoyenne et pacifiste.
Ce livre permet de donner une touche d’humour à une procédure politique particulièrement sinistre. Le style vif, court et percutant donne une énergie à ce petit texte. Le refus des élections semble plutôt sympathique. Ce livre saisit un climat politique étrange et fluctuant. Une importante vague d’abstention se profile pour 2017. Cette élection n’intéresse personne et ses enjeux semblent limités. Les élections ne changent rien, et cette vacuité devient criante.
Ce livre montre bien la mascarade d’une élection qui tourne à vide. Il manque en revanche une véritable analyse critique de la démocratie représentative. Le livre évoque même une « démocratie de façade corsetée par les marchés », selon la rhétorique éculée d’une secte altermondialiste comme Attac. En réalité, l’Etat détient évidemment le pouvoir, mais il reste marqué par une nature de classe. L’Etat est gouverné par les classes dirigeantes. Les hommes politiques, les banquiers et les patrons appartiennent tous à la même classe : la bourgeoisie. Ils ont grandit dans les mêmes quartiers, ont fréquenté les mêmes écoles et formations et conservent les mêmes espaces de sociabilité.
Ensuite, ce ne sont pas tant les élections le problème que la démocratie. Ce système représentatif repose sur l’appropriation du pouvoir par une classe dirigeante, une bureaucratie. La démocratie repose sur la séparation entre représentants et représentés, entre gouvernants et gouvernés. Ce système politique impose des hiérarchies avec une structure autoritaire : l’Etat. Ce ne sont pas seulement les élections qui doivent être annulées. Pour permettre un véritable changement politique, c’est la société de classe et l’Etat qui doivent être détruits.
"L’élection présidentielle n’aura pas lieu" est un mot d’ordre porté par le courant appelliste, comme le rappelle le livre à plusieurs reprises. Le Comité invisible et le site lundimatin valorisent cette injonction un peu trop incantatoire. C’est un moyen de donner des perspectives au mouvement contre la Loi Travail. Mais il semble plus important d’intensifier et de coordonner les luttes sociales. De rendre les élections anecdotiques par rapport à un mouvement social qui prend de l’ampleur. Les campagnes abstentionnistes ne servent à rien. Seule l’action directe collective permet une véritable transformation sociale. Et les révoltes ne proviennent pas du volontarisme gauchiste, mais surgissent de la spontanéité.
Source : Anonyme, L’élection présidentielle n’aura pas lieu, La Découverte, 2016
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