Royal occupé, lutte et créativité : édito n°26
Publié le 5 Novembre 2016
Le mouvement contre la Loi Travail et son monde a permis quelques débordements. Certes, aucune grève sauvage n'a pu émerger en dehors des syndicats. Les patrons, les petits chefs et les bureaucrates n’ont pas trop eu à subir de conflictualité. Ce sont les flics qui ont tout pris à leur place. En effet, le débordement s’est essentiellement déroulé lors des manifestations. Ce sont les casseurs qui ont donné le ton. Dans plusieurs villes, ils ont même ravi le cortège de tête aux bureaucraties syndicales.
Des jeunes précaires révoltés et des grévistes qui ne veulent plus se contenter de ballades syndicales ont défilé dans un même cortège. Le modèle de la grève générale expropriatrice semble plus que jamais dépassé. Partout dans le monde, ce sont les casseurs et la rue qui font trembler le pouvoir. Il reste encore à cette colère spontanée de développer le conflit de classe pour réellement bloquer l'économie et inventer ses nouvelles formes d’organisation.
Une dynamique s’est créée. Ce mouvement du printemps 2016 reste minoritaire. Mais il a construit de la détermination et des formes de recompositions du mouvement social. Des liens politiques se créent en marge des inter-syndicales. A Montpellier, la tradition de la manif « festive et offensive » est également impulsée par une jeunesse révoltée. Le 15 septembre a marqué un passage de relais. Les bureaucrates de la CGT se sont faits déborder par une joyeuse bande de K-Way noirs. Un Carnaval a ensuite permis d’associer la joie de la destruction au plaisir de la fête.
Cet esprit festif et offensif se retrouve bien dans Le Royal occupé. Cet ancien cinéma a été investi par des habitants qui désirent faire revivre ce lieu. Ils ont réussit à en faire un espace de créativité et de lutte. Ce squat abrite évidemment des réunions politiques et des assemblées de lutte. Mais ce sont aussi des soirées festives et artistiques. Ce sont souvent plusieurs centaines de personnes qui se croisent dans les soirées du Royal occupé. En dehors des carcans de la culture marchande et subventionnée s'ouvre un nouvel espace de créativité.
Les habitants accueillent avec plaisir tous les projets qui leur sont proposés. Le Royal occupé permet d'exprimer une créativité étouffée ou encadrée partout ailleurs. Des ateliers s'organisent, par exemple pour réaliser des films. Des collectifs artistiques se saisissent également de ce lieu pour s'ouvrir à un nouveau public. De nombreux concerts sont organisés : de l'électro avec images d'émeutes sur grand écran jusqu'au rap critique et exigeant de Dialectik Musik. Pour l'instant, les films projetés se conforment trop souvent au modèle du documentaire militant. Il manque sans doute une véritable programmation alimentée par une réflexion politique sur le cinéma. Mais le Royal occupé reste ouvert à toutes les suggestions. Un débat sur Guy Debord peut même s'y dérouler.
La principale force de cet espace repose sur le refus de séparer la politique et la vie quotidienne, la révolte et la fête. Les différentes pratiques artistiques ne font pas l'objet de cloisonnement. C'est au contraire un espace de rencontres et de créativité. Mais ce lieu reste traversé par des contradictions. Ce squat peut devenir progressivement un centre culturel respectable pour artistes en quête de reconnaissance. La dynamique de lutte ouverte par le mouvement contre la Loi Travail peut s'essouffler. Ce lieu draine un certain public, plutôt étudiant et habitant au centre-ville. La jeunesse des classes populaires s'est également révoltée au printemps 2016 au moment des "manifs lycéennes". Même si la jonction avec les assemblées populaires ne s'est malheureusement pas créée. La fête et les luttes spontanées peuvent permettre de créer de nouvelles solidarités.
Le Royal occupé ouvre une brèche dans un espace public qui impose un conformisme libéral. Il peut permettre de sortir de la colonisation marchande et de l'industrie culturelle. Mais le citoyennisme impose également la pacification de l'espace public. Seules les luttes sociales permettent d'attaquer ce contrôle politique et l'aliénation marchande.
Des penseurs critiques peuvent alimenter la réflexion sur les mouvements sociaux. Joseph Déjacque développe un anarchisme social. La révolte libertaire doit résoudre la question sociale. André Gorz permet de penser la capitalisme moderne, la société de consommation et la critique du travail. Ernst Bloch propose des pistes d'émancipation. Son marxisme utopique valorise la créativité, les luttes et le désir d'inventer de nouvelles manières de vivre.
Les moments révolutionnaires doivent refuser tout retour à la normale pour sortir de la logique marchande. En 1936 éclatent des révoltes ouvrières en France et surtout en Espagne. Contre les organisations anarchistes, les prolétaires refusent le travail. La révolution sociale doit avant tout permettre de transformer la vie quotidienne. L'insurrection dans les pays arabes en 2011 semble avoir échouée. Pourtant, des révoltes ont permis une forte politisation et des moments intenses. La colère sociale explosera à nouveau. Les luttes actuelles alimentent de nouveaux imaginaires politiques. L'analyse critique des luttes actuelles doit également permettre d'inventer de nouvelles perspectives émancipatrices.
Le punk permet d'exprimer une créativité. Le groupe Crass propose une musique populaire avec un discours libertaire. Il parvient à s'imposer en dehors de l'industrie du disque et développe une contre-culture. Le mouvement des Riot Grrrls associe la musique avec la révolte féministe. Chacune doit pouvoir s'emparer de la musique ou participer à des fanzines. Cette démarche libertaire favorise un monde de lutte, de créativité et de plaisir.
Sommaire n° 26 :
Espace public et conformisme libéral
La pensée libertaire de Joseph Déjacque
André Gorz et le réformisme radical
Ernst Bloch et l'utopie révolutionnaire
Les révoltes ouvrières de 1936
Les révolutions arabes depuis 2011
Les nouveaux imaginaires politiques